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9 octobre 2019

POUR UNE CRÉATIVITÉ CITOYENNE

avec un commentaire bref pour une fois de Philippe Grauer

par Bernard Ginisty

avec un commentaire bref pour une fois de Philippe Grauer

INCONTOURNABLE EFFECTIVEMENT HUMANISTES EN RELATION

par Philippe Grauer

que faire de nos valeurs

Il me plaît, ce Ginisty. Ça n’est pas à nous de redresser le système de valeurs de nos patients, qui viennent auprès de nous pour réexaminer le leur, le leurre du leur à l’occasion, ou son bien fondé et ce qu’ils estiment approprié d’en faire au cours de leur existence. Mais ça n’est pas non plus une raison pour nous abstraire de notre monde, comme on dit façon phénoménologique. Où, quand, sur quel mode, pouvons-nous — devrions-nous, même ! exprimer quelque chose de nos valeurs, si jamais elles revêtaient quelque pertinence dans les entours de la pratique de notre métier.

la psychothérapie comme Grande Muette

Nous sommes tenus par le devoir de réserve, pour laisser à autrui tout loisir d’auprès de nous dessiner, refaçonner, son espace psychique. Mais la psychothérapie relationnelle est-elle pour autant réduite au rôle de la Grande Muette ? D’autant que nombre d’entre nous apprécient publiquement Lévinas, par exemple (quand même mieux que le haïssable Heidegger). Bon, la question posée, provisoirement je me retire.

Pour une créativité citoyenne

Chronique hebdomadaire de Bernard Ginisty du 10 octobre 2019

les mots de la démission

Il est deux mots qu’affectionnent les élites de notre pays et dont peu de discours, surtout électoraux, se dispensent : un adjectif : « incontournable » et un adverbe : « effectivement ». Comme si chaque discours voulait constamment se rassurer en se définissant comme le seul possible (« c’est incontournable ») et en prise sur le réel (« effectivement »). Ainsi, depuis des lustres, on nous a appris que les règles des marchés financiers étaient « incontournables » et « qu’effectivement », nous devions nous y soumettre. On nous a informé, l’air un peu désolé, qu’il convenait de ranger au magasin des accessoires les velléités de transformation sociétale. Désormais, la concurrence généralisée « non faussée » serait le socle fondamental de notre vivre ensemble, le politique se réduisant progressivement à la gestion de l’ordre public et des œuvres sociales de la nation.

l’oppression, quoi de plus naturel ?

Nous touchons là au cœur de la crise : l’affirmation progressive de la vanité de tout engagement civique et éthique au profit des prouesses économico-financières. Il s’agit de faire paraître « naturel » ou « incontournable », ce qui est le produit historique de l’action humaine.

le droit des en fin de droits

Or la vie politique suppose que les hommes refusent ce qui se donne comme un destin, mettent à jour les conflits d’intérêt et se donnent des moyens de transformation sociale. Il y a aujourd’hui des citoyens pour qui, par exemple, le « droit au logement » est plus « incontournable » que les spéculations immobilières. Il y a aujourd’hui des militants qui inventent de nouveaux rapports économiques et financiers et qui pensent – quelle naïveté ! – que le mot commerce désigne d’abord un échange de culture, d’utilité sociale, de convivialité, de solidarité et non la monétarisation généralisée des rapports humains. Il y a aujourd’hui des acteurs dans la société qui pensent que ceux que les catégories administratives classent comme « chômeurs en fin de droits » ou « déboutés du droit d’asile » ont toujours des droits.

la justice viendra sur nos pas triomphant

Ainsi, chaque jour, sur le terrain, des femmes et des hommes nous montrent que « l’incontournable » cher à nos technocrates n’est que le fruit de nos peurs et de nos démissions. Ils se battent pour affirmer la place des exclus, des humiliés et les rendre « incontournables » dans les décisions gestionnaires. Ce travail constitue, pour Emmanuel Levinas, le socle d’une politique : « La justice, écrit-il, n’est pas une légalité naturelle et anonyme régissant les masses humaines dont se tire une technique de l’équilibre social mettant en harmonie, à travers cruautés et violences transitoires, les forces antagonistes et aveugles (…). Rien ne saurait se soustraire au contrôle de la responsabilité de « l’un pour l’autre » qui dessine la limite de l’État et ne cesse d’en appeler à la vigilance des personnes qui ne sauraient se contenter de la simple subsomption (gestion) des cas sous la règle générale dont l’ordinateur est capable » (1).

(1) Emmanuel LEVINAS : Altérité et transcendance Éditions Fata Morgana, 1995, page 150.