RechercherRecherche AgendaAgenda

Actualités

Revenir

7 février 2015

Pourquoi j’ai démissionné du lycée Averroès Soufiane ZITOUNI, précédé de « Malaise dans la civilisation scolaire », par Philippe Grauer

malaise dans la civilisation scolaire

par Philippe Grauer

menace voilée

Polémique, enquête à venir, contre-conférence de presse. Islam des Lumières vs. Islam équivoque des frères Ramadan ? Expression d’un malaise en tout cas. Dans des situations de double jeu, difficile d’y voir clair, de plus avec tout le brouillage qui va s’ensuivre. En tout cas d’amicaux avertissements à faire gaffe dans la rue quand on rentre chez soi ça s’apparente terriblement à de la menace, voilée cela s’impose en pareil milieu puisque mot féminin. En tout cas l’alerte comme quoi le lycée Averroès diffuserait de « de manière sournoise et pernicieuse une conception de l’islam qui n’est autre que l’islamisme, c’est-à-dire un mélange malsain et dangereux de religion et de politique » devra être examinée soigneusement par les autorités compétentes.

fascistes ou fous furieux ?

A priori rien d’invraisemblable à ce que rapporte M. Zitouni des propos de ses élèves. On peut imaginer que travailler en ambiance surchauffée par un établissement idéologiquement un tant soit peu ultra soit difficile par les temps qui courent. Le problème c’est aussi celui de la confessionnalité laïque, fragile équilibre de l’école républicaine. En tout état de cause les frères Kouachi étaient-ils fous furieux ou fanatiques ? Comme le soutenait l’un des Charlie ne jetons pas la réprobation sur les fous. L’épithète de fascistes leur irait aussi bien, et aurait le mérite de politiser plus exactement la signification de leur crime.

ils l’avaient bien cherché

Dans la même ligne on trouve cette idée que Charlie Hebdo «cultive l’abject» et «concourt, chaque jour, à la banalisation des actes racistes» (sic). Conviction propagandiste tout de même inquiétante. Quand je parlais d’ambiance au § précédent je ne pensais pas à cette ligne de sens. La conclusion qu’ils l’avaient bien cherché rejoint ce que nous abordions lors d’un précédent article . Et rejoint le concept de fascisme. Averroès c’est la possibilité de conjonction de la foi et de la raison. Rien à voir avec ces menaçantes imbécilités.

Soufiane Zitouni , pour un islam des Lumières

Tout cela fait peur. La barbarie à nos portes, ne nous affolons pas mais ne laissons rien passer. Maintenons le principe de dialogue. Responsables de l’ouverture d’esprit de la génération qui vient, soutenons ceux qui luttent pour la transmission du message des Lumières, et de l’islam andalou qui fut un modèle d’ouverture et de tolérance.

ados islamo convaincus et anti sémites ?

À lire l’article de Zitouni(1) on imagine certains adolescents portés à l’extrême, pas forcément réticents à l’idéologie islamo fasciste, dont on perçoit l’aspect antisémite d’un discours identitaire communautariste à caractère raciste. On arrive au niveau du phénomène local de société. Il urge de s’en inquiéter. On est loin de la passion averroiste d’un enseignant que son établissement attaque tout de même en justice, il faut le faire ! Le professeur n’a pas tenu dans un contexte qu’il dénonce comme déloyal envers la République. Il nous prend à témoin. Il est soufi, les soufis sont des doux. Prenons cela en considération et en charge, ne laissons pas un éventuel poison se répandre. Espérons que l’enquête en cours nous éclaire là-dessus davantage.


Note : dans le texte qui suit les intertitres ainsi que les mises en

capitales vertes

sont le fait de notre édition, elles ne sont pas soulignées typographiquement par l’auteur.


Soufiane ZITOUNI, précédé de « Malaise dans la civilisation scolaire », par Philippe Grauer

POURQUOI J’AI DÉMISSIONNÉ DU LYCÉE AVERROÈS

par Soufiane ZITOUNIAncien professeur de philosophie au lycée Averroès à Lille.

5 février 2015 à 18:46 (Mis à jour : 6 février 2015 à 13:30)

Depuis la publication de mon texte intitulé «Aujourd’hui, le Prophète est aussi Charlie» dans Libération le 15 janvier, il y a eu quelques «rebonds» dans ma vie, et certains d’entre eux, très négatifs, m’ont mené à démissionner du lycée musulman Averroès de Lille, lycée sous contrat avec l’État où j’ai tenté d’exercer durant cinq mois éprouvants mon métier de professeur de philosophie.

regarder derrière toi quand tu marcheras dans la rue

J’ai reçu de nombreux soutiens et remerciements après la publication de ce texte, certains m’ont même parlé de «courage». Mais pour moi, prendre la plume pour faire entendre ma voix en tant que citoyen français de culture islamique après les horribles attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher était surtout de l’ordre du devoir. Or, le jour même de la publication de ce texte, un proche de la direction de mon lycée vint m’interrompre en plein cours pour me dire en catimini dans le couloir attenant à ma classe : «Il est très bien ton texte, je suis d’accord avec toi sur le problème des musulmans qui manquent d’humour et de recul par rapport à leur religion, mais tu dois savoir que tu vas te faire beaucoup d’ennemis ici, et je te conseille de regarder derrière toi quand tu marcheras dans la rue…».

sacrilège

Par la suite, un enseignant décida d’afficher une photocopie de mon texte en salle des professeurs. Bien mal lui en prit ! Ma pauvre tribune libre sera retirée plusieurs fois du tableau d’affichage Vie de l’établissement par des collègues musulmans furieux qui crieront au sacrilège ! Puis le 20 janvier, un professeur du lycée, proche des frères Tariq et Hani Ramadan, publia une sorte de réplique sur le site L’Obs-Le plus. Dans cette tribune, il incrimina mon manque de raison, et tira à boulets rouges sur Charlie Hebdo en affirmant que ce journal «cultive l’abject» et qu’il «concourt, chaque jour, à la banalisation des actes racistes» (sic). Voilà donc ce que pensait un «représentant» du lycée Averroès d’un journal qui venait d’être attaqué tragiquement par des terroristes au nom d’Al Qaeda !

blasphème

Pas étonnant alors que certains de mes élèves m’aient affirmé en cours que les caricaturistes de Charlie Hebdo assassinés l’avaient bien cherché, voire mérité… Et évidemment, nombre d’élèves me tiendront exactement le même discours que mon «contradicteur» : «vous n’auriez jamais dû écrire dans la presse que le Prophète est aussi Charlie !», «c’est un blasphème !», «vous léchez les pieds des ennemis de l’islam !», etc. Ce texte sera ensuite affiché à côté du mien en salle des professeurs, par souci du «débat démocratique», a-t-on essayé de me faire croire…

un islam éclairé par la raison

J’ai commencé à enseigner la philosophie au lycée Averroès en septembre 2014. Bien qu’on m’ait prévenu que cet établissement était lié à l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), réputée proche de l’idéologie de Frères Musulmans, j’ai tout de même voulu tenter cette expérience en espérant pouvoir travailler dans l’esprit du grand philosophe Averroès, et donc contribuer, à ma mesure, au développement sur notre territoire national d’un islam éclairé par la raison, comme le philosophe andalou du XIIe siècle a tenté de le faire lui-même de son vivant. Mais en cinq mois de travail dans ce lycée, mon inquiétude et ma perplexité n’ont fait que s’accroître jusqu’à l’épilogue que fut cette réaction incroyable à un texte dont le tort principal aux yeux de mes détracteurs était sans doute d’être intitulé : «Aujourd’hui, le Prophète est aussi Charlie».

L’esprit d’Averroès

Pour vous donner une première idée de l’illusion qui fait office d’image positive dans la vitrine publique de ce lycée, je vais vous relater ma première mauvaise surprise : la direction m’a confié des élèves de seconde pour deux heures hebdomadaires d’enseignement d’exploration en Littérature et Société, alors en tant que professeur de philosophie, j’ai décidé de travailler avec eux sur un projet que j’ai nommé L’esprit d’Averroès afin de leur faire découvrir celui qui a donné son nom à leur lycée. Mais quelle n’a pas été ma surprise de constater que sur les rayons du CDI de cet établissement, il n’y avait ni livres du philosophe andalou, ni livres sur lui ! En revanche, j’y ai trouvé des ouvrages des frères Ramadan, très prisés dans ce lycée… J’ai dû alors me rabattre sur des bibliothèques municipales de Lille pour pouvoir commencer mon travail.

une race maudite par Allah

Pendant mes cours de philosophie avec mes quatre classes de terminale, les désillusions ont continué. Tout d’abord, le thème récurrent et obsessionnel des Juifs. En plus de vingt années de carrière en milieu scolaire, je n’ai jamais entendu autant de propos antisémites de la bouche d’élèves dans un lycée ! Une élève de terminale Lettres osa me soutenir un jour que «la race juive est une race maudite par Allah ! Beaucoup de savants de l’islam le disent !» Après un moment de totale sidération face à tant de bêtise, j’ai rétorqué à l’adresse de cette élève et de toute sa classe que le Prophète de l’islam lui-même n’était ni raciste, ni antisémite, et que de nombreux textes de la tradition islamique le prouvaient clairement.

le signifiant juif lui-même posait problème

Dans une classe de terminale ES, un élève au profil de leader, m’a soutenu un jour en arborant un large sourire de connivence avec un certain nombre de ses camarades, que les Juifs dominent tous les médias français et que la cabale contre l’islam en France est orchestrée par ce lobby juif très puissant. Et j’ai eu beau essayer de démonter rationnellement cette théorie du complot sulfureuse, rien n’y a fait, c’était entendu : les Juifs sont les ennemis des musulmans, un point c’est tout ! Cet antisémitisme quasi «culturel» de nombre d’élèves du lycée Averroès s’est même manifesté un jour que je commençais un cours sur le philosophe Spinoza : l’un d’entre eux m’a carrément demandé pourquoi j’avais précisé dans mon introduction que ce philosophe était juif ! En sous-entendant, vous l’aurez compris, que le signifiant «juif» lui-même lui posait problème !

vérité philosophique et vérité coranique

Autre cause de grosses tensions avec mes élèves : ma prétendue non-orthodoxie islamique ! Car évidemment, en tant que professeur de philosophie de culture islamique travaillant dans un lycée musulman, il m’arrivait régulièrement d’établir des passerelles entre mon cours et certains passages du Coran ou de la Sunna (un ensemble d’histoires relatant des propos et des actes du Prophète). Mais j’ai été agressé verbalement par des élèves qui considéraient que je n’avais aucune légitimité pour leur parler de la religion islamique, et de surcroît dans un cours de philosophie ! J’avais beau leur dire que c’était précisément la grande idée du philosophe Averroès que de considérer qu’il ne pouvait y avoir de contradiction entre la vérité philosophique et la vérité coranique, rien n’y faisait.

Réconcilier l’islam et la science moderne

Et puis il y avait les thèmes et les mots tabous… La théorie darwinienne de l’évolution ? Le Coran ne dit pas cela, donc cette théorie est fausse ! J’avais beau me référer au livre de l’astrophysicien Nidhal Guessoum, Réconcilier l’islam et la science moderne dont le sous-titre est justement l’Esprit d’Averroès ! [Aux Presses de la Renaissance, ndlr], qui affirme avec de très solides arguments scientifiques et théologiques que la théorie de l’évolution est non seulement compatible avec le Coran, mais que plusieurs versets coraniques vont dans son sens, rien n’y faisait non plus.

le mot sexe

Le mot sexe lui-même pouvait être tabou. Un jour, une élève (voilée) qui s’était proposée pour lire un texte de Freud, refusa de prononcer le mot sexe à chacune de ses occurrences dans l’extrait concerné, et c’est la même élève qui refusa lors d’un autre cours de s’asseoir à côté d’un garçon alors qu’il n’y avait pas d’autre place possible pour elle dans la salle où nous nous trouvions ! J’ai dû alors lui rappeler fermement que la mixité dans l’enseignement français était un principe intangible et non négociable.

perroquets bien dressés

Enfin, combien d’élèves du lycée n’ai-je pas entendu encenser, défendre, soutenir Dieudonné ! Avec toujours cette même rengaine, comme répétée par des perroquets bien dressés : pourquoi permet-on à Charlie Hebdo d’insulter notre Prophète alors qu’on interdit à Dieudonné de faire de l’humour sur les Juifs ?

disposer d’un espace neutre

Je peux vous parler aussi de la salle des professeurs du lycée Averroès, où des collègues musulmans pratiquants font leurs ablutions dans les toilettes communes, donc en lavant leurs pieds dans les lavabos communs, et où la prière peut être pratiquée à côté de la machine à café… Quid des collègues non musulmans (il y en a quelques-uns) qui aimeraient peut-être disposer d’un espace neutre, d’un espace non religieux, le temps de leur pause ?

territoire musulman sous contrat avec L’État

En réalité, le lycée Averroès est un territoire «musulman» sous contrat avec L’État. D’ailleurs, certains collègues musulmans masculins se sont permis de faire des remarques sur des tenues vestimentaires de collègues féminines non musulmanes, sous prétexte qu’elles n’étaient pas conformes à l’éthique du lycée ! Et l’une de ces collègues féminines non musulmane m’a dit un jour également qu’elle ne se sentait pas «légitime» (sic) dans le regard de ses élèves, parce qu’elle n’était pas musulmane précisément.

double jeu

Je ne pouvais donc plus cautionner ce qui se passe réellement dans les murs de ce lycée, hors caméras des médias et derrière la vitrine officielle, même si je sais pertinemment que les adultes y travaillant et les élèves ne sont pas tous antisémites et sectaires. Mais, j’ai fini par comprendre au bout de cinq mois éprouvants dans cet établissement musulman sous contrat avec l’État français (mon véritable employeur en tant que professeur certifié), que les responsables de ce lycée jouent un double jeu avec notre République laïque : d’un côté montrer patte blanche dans les médias pour bénéficier d’une bonne image dans l’opinion publique et ainsi continuer à profiter des gros avantages de son contrat avec l’État, et d’un autre côté, diffuser de manière sournoise et pernicieuse une conception de l’islam qui n’est autre que l’islamisme, c’est-à-dire, un mélange malsain et dangereux de religion et de politique.

programme politique ?

Enfin, last but not least, il y a ce propos entendu de la bouche même d’un responsable du lycée, lors d’un discours prononcé à l’occasion d’une remise des diplômes à l’américaine aux bacheliers du lycée de la session 2014, en présence de deux «mécènes» du Qatar : «Un jour, il y aura aussi des filles voilées dans les écoles publiques françaises !» Un programme politique ?