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15 janvier 2007

Pourquoi les nouveaux amendements Accoyer ne lèvent-ils pas les contradictions du premier ? Jean-Pierre Sueur

Jean-Pierre Sueur

S’employer à définir les conditions d’exercice de la profession de psychothérapeute n’est pas a priori contestable. On peut considérer, tout au contraire, que cette tâche est utile, nécessaire, et donc légitime.

Ce qui, en revanche, est hautement contestable, c’est l’acharnement à vouloir accomplir cette tâche sur la base d’un texte totalement contradictoire dans ses termes et c’est le consentement à ce que cette question légitime soit continuellement instrumentalisée par d’autres causes et tout particulièrement par la croisade que mènent un certain nombre d’adeptes du comportementalisme et des thérapies cognitivo-comportementales pour tenter de disqualifier à la fois la psychanalyse et les psychothérapies relationnelles.

Les deux nouveaux amendements que M. Accoyer vient de faire adopter à l’Assemblée Nationale relèvent de cette double dérive.

1) Le texte choisi pour inscrire ces deux nouveaux amendements est tout un symbole

Alors que le même jour – le 11 janvier – , l’Assemblée Nationale devait examiner un projet de loi sur les professions de santé et un autre sur les médicaments, c’est … dans le second texte que M. Accoyer choisit d’inscrire ces amendements ! Comme cela a été dit par plusieurs députés lors du débat, ces deux amendements n’ont rien à voir avec le sujet. Ils sont, dans le jargon parlementaire, d’authentiques cavaliers.

Mais, à bien y réfléchir, il y a là quelque chose de profondément symptomatique.

On se souvient, en effet, que ce qu’il faut désormais appeler le premier amendement Accoyer, qui a connu cinq rédactions successives au fil des débats, et dont la dernière constitue l’article 52 de la loi du 9 août 2004 sur la santé publique, témoignait dans sa première version, de la volonté d’une mainmise explicite de la sphère médicale sur le traitement de la souffrance psychique. Nul ne pouvait, selon cette version originelle, traiter de la souffrance psychique s’il n’était pas médecin. C’était un nouveau Triomphe de la médecine, un retour explicite des vieilles thèses hygiénistes, pour reprendre le terme de Jaques-Alain Miller. Et c’était la version brute, radicale du credo comportementalisme en vertu duquel il fallait désormais substituer à la psychanalyse ou aux méthodes qui en étaient issues, d’une manière ou d’une autre, les thérapies cognitivo-comportementales dont les deux composantes sont, d’une part, des protocoles fondés sur des questionnaires codifiés et, d’autre part, des prescriptions médicamenteuses.

Nous y voilà ! M. Accoyer inscrit matériellement ses nouveaux amendements sur l’exercice d’une profession traitant de la souffrance psychique au beau milieu de séries de dispositions législatives portant exclusivement sur les médicaments. C’est, au choix, un nouveau lapsus ou une vraie provocation. C’est, en tout cas, à la fois le symptôme et le symbole du prurit hygiéniste – (1)
.

2) Les nouveaux amendements ne changent rien à la contradiction patente qui obère l’application de la dernière version, inscrite dans la loi, du premier amendement Accoyer

Nous avons souvent exposé (2) en quoi l’article de loi issu du premier amendement Accoyer était contradictoire dans ses termes. En raison d’une maladresse, d’un lapsus, d’une incohérence, ou d’une incapacité à surmonter la différence entre deux approches distinctes – on peut en débattre ! – , l’avant dernier alinéa de cet article stipule que les médecins, les psychanalystes et les psychologues diplômés peuvent de droit porter le titre de psychothérapeute, c’est-à-dire sans aucune condition de formation préalable ni complémentaire, alors que le dernier alinéa du même article écrit l’exact contraire, à savoir que toute personne voulant se prévaloir du titre de psychothérapeute devra avoir suivi une formation spécifique en psychopathologie.

L’avant dernier alinéa (et les quatre avant-projets de décret qui ont été successivement rédigés) relèvent d’une logique que Roland Gori qualifie justement (« Le Monde » du 14/01/2006) d’« opportuniste » puisqu’il s’agissait – et qu’il s’agit toujours – de tenter de calmer les protestations issues de la première version de l’amendement Accoyer en donnant sans condition le bénéfice du titre à l’ensemble des médecins, des psychanalystes et des psychologues.

On qualifiera le dernier alinéa, lui, d’« exigeant » puisque son application aurait pour effet de contraindre les médecins qui ne sont pas spécialistes en cette discipline, les psychanalystes et les psychologues de suivre au même titre que les actuels psychothérapeutes des formations en psychopathologie pour pouvoir se prévaloir du titre de psychothérapeute. Cette logique est celle défendue lors du débat du 11 janvier dernier par Claude Évin, qui a notamment déclaré : « il y aurait (…) beaucoup à dire notamment sur ce troisième alinéa qui permet à des personnes n’ayant reçu aucune formation de bénéficier du titre de psychothérapeute ».

La contradiction étant donc patente, on aurait pu penser que dès lors que M. Accoyer revenait devant le Parlement pour proposer de nouveaux amendements, ceux-ci auraient prioritairement pour objet de supprimer cette contradiction pour qu’enfin les textes d’application puissent être rédigés sur une base claire.

Mais, très significativement, alors que M. Accoyer ne peut ignorer cette contradiction, sur laquelle tant de commentaires ont été faits, il choisit sciemment, non seulement de la maintenir, mais, de surcroît, de l’aggraver.

Ainsi, l’un de ses deux amendements dispose que les commissions qui seraient chargées de statuer sur la capacité des psychothérapeutes actuellement en fonction de continuer à se prévaloir de leur titre se trouveraient composées à parité de psychologues diplômés et de médecins sans que soit en rien précisée la spécialité desdits médecins. Tout médecin est a priori compétent : le présupposé hygiéniste est donc renforcé par rapport aux textes existants.

Il est clair en tout cas que la contradiction n’est en rien réduite, et qu’il n’y a aucune volonté de le faire. Il faut donc s’interroger sur cette attitude pour le moins irrationnelle.

3) Accoyer contre le Gouvernement

À l’opposé de son prédécesseur, M. Douste-Blazy qui avait déclaré qu’il ne publierait pas le décret d’application de l’article 52 de la loi du 9 août 2004, M. Xavier Bertrand, s’est lui obstiné sur la voie opportuniste s’efforçant, au fil de quatre rédactions successives, elles aussi nécessairement contradictoires (puisque le décret ne peut, par définition, lever les ambiguïtés de la loi), de mécontenter le moins possible, ou de contenter à peu de frais – c’est selon ! – les représentants des quatre professions concernées. Cet exercice est problématique, et lourd de contentieux futur : si un décret est publié sur cette base il sera aisé de démontrer qu’il n’est pas conforme à l’un – ou à l’autre – des alinéas de la loi.

Mais il y a plus. Le dispositif adopté risque de se traduire par de pures et simples modifications nominalistes. Nul ne pourra empêcher des psychothérapeutes de s’appeler psychopraticiens, par exemple, ou tout simplement psychanalystes, puisque aucun article de loi ne définit ni la psychanalyse, ni ses conditions d’exercice, ni les sociétés de psychanalyste et qu’il ne sera pas facile – si toutefois on considérait que cela soit souhaitable ! – de remédier à cette triple carence, compte tenu de la position de nombre de psychanalystes à cet égard.

Il y avait assurément une autre manière de prendre le problème du titre de psychothérapeute, qui ne se serait assimilée ni à l’avant-dernier ni au dernier alinéa de l’article 52 et qui aurait consisté à partir des exigences de formation, de déontologie et d’exercice de la profession qui ont d’ores et déjà été définies par les professionnels – comme on le fait de facto pour les psychanalystes – et d’établir à partir de là des règles, des textes réglementaires, voire législatifs. C’eût été une toute autre démarche que celle du premier amendement Accoyer qui a instauré la loi comme préalable, alors qu’elle aurait pu être un aboutissement.

En matière de formation, cette démarche pragmatique aurait été à l’antipode de ce qu’imposent les nouveaux amendements Accoyer. En effet, pour ceux-ci, la formation des futurs psychothérapeutes ne peut être qu’universitaire, et ne doit être qu’universitaire. Or il n’existe pratiquement pas de formation à la psychothérapie à l’université !

La position exprimée par les nouveaux amendements Accoyer est donc totalement irréaliste.

Je tiens à être très clair à ce sujet. Je suis en désaccord avec certaines positions qui récusent a priori toute intervention de l’université dans la formation des psychothérapeutes. L’université a, pour moi, – ou, du moins, devrait avoir – une légitimité dans ce domaine comme dans l’ensemble des champs de la science et des savoirs.

Mais alors que la plupart des formations à la psychothérapie relationnelle, sont aujourd’hui organisées par les instituts professionnels, et que l’équivalent n’existe pas au sein de l’université, il me parait absurde d’instaurer par la loi un monopole de l’université en cette matière !

On peut, tout au contraire, imaginer des agréments ou des validations par l’université ou par l’État – avec évaluation et garanties scientifiques – de formations délivrées par des instituts professionnels, ou prévoir des coopérations et complémentarités.

Telle était – ou telle est ! – la logique des avant-projets de décrets élaborés par M. Xavier Bertrand, ministre de la Santé.

Nous avons dit nos réserves sur sa démarche, dès lors qu’elle se fondait sur des prémisses contestables, mais force est de constater que celle-ci était, pour ce qui est de cette question de la formation, plus réaliste que les nouveaux amendements Accoyer qui viennent, en réalité, détruire les efforts de concertation menés par le ministre.

Une fois encore, il faut s’interroger sur les raisons profondes d’une telle démarche.

4) Triomphe du comportementalisme

Ces raisons sont très probablement liées au débat, interne à l’université, qui concerne l’ensemble du champ couvert par les quatre professions concernées. Car des enseignements universitaires de psychiatrie à ceux de psychologie, on voit que ce que nous appellerons la logique comportementaliste tend à l’emporter sur l’autre versant, issu des apports de la psychanalyse et de la psychothérapie relationnelles.

Encore une fois, il ne s’agit pas ici d’emboîter le pas, dans cette querelle, à un simplisme réducteur, mais il s’agit de dire et redire que l’acharnement à disqualifier les apports de Freud et, à partir de son œuvre, de tant d’autres relève d’une misérable haine pour un pan entier de notre culture.

Dans ce contexte, le monopole que M. Accoyer s’emploie à instaurer n’est nullement anodin.

Et cela d’autant plus que les nouvelles entreprises législatives de M. Accoyer s’accompagnent de discours édifiants. Ainsi s’est-il prévalu le 11 janvier 2007 à l’Assemblée Nationale de l’« accord de la communauté médicale, psychologique, psychiatrique, psychanalytique – à l’exception bien sûr de quelques individualités médiatiques ».

Ainsi, préalablement au dépôt de ses nouveaux amendements, M. Accoyer a-t-il écrit une lettre au premier ministre, en date du 13 décembre 2006, publiée sur le site du SNPPSY, dans laquelle il est écrit que ceux qui critiquent les avant-projets de décret de l’article 52 de la loi du 9 août 2004 sont mus « la plupart du temps, par la préservation d’intérêts financiers ou sectaires ».

Ainsi n’a-t-il pas hésité à déclarer au journal « Le Monde » (14 janvier 2007) que le dernier avant-projet de décret élaboré par le ministre Xavier Bertrand était « un compromis passé avec des gens autoproclamés psychothérapeutes, qui ne sont que des charlatans ».

Il n’est pas nécessaire de relever la rare violence de tels propos.

Et l’on en vient forcément à se poser, une fois encore, la question qu’énonçait naguère Elisabeth Roudinesco : « Pourquoi tant de haine ? » (3)

Combattre les dérives sectaires est une impérieuse nécessité : des lois existent à ce sujet, elles s’appliquent à tous. Mais il est inacceptable de qualifier l’ensemble des représentants d’une profession (ou « la plupart » d’entre eux) de charlatans ou de membres de sectes.

Jean-Marie Le Guen a clairement indiqué au cours du débat du 11 janvier à l’Assemblée Nationale que « la notion de dérive sectaire figure dans notre droit pénal », que « la sécurité des personnes est censée être au cœur des préoccupations de ce Gouvernement » et que cette question relève « du code général et non de la sécurité sanitaire », cependant que Claude Évin constatait qu’il était « particulièrement désagréable de voir M. Accoyer s’ériger en unique défenseur des libertés ».

Concluons. Ces deux nouveaux amendements ne règlent en rien les contradictions du premier. Le dispositif proposé conforte, dans les faits, les visées hygiénistes et comportementalistes au mépris du pluralisme qu’on serait en droit d’espérer. L’indispensable lutte contre les dérives sectaires ne saurait en rien justifier la mise en cause d’une profession ni de la majorité de ses représentants. Cette mise en cause ne saurait non plus servir de fondement à l’établissement des modalités de formation des psychothérapeutes ni de ceux qui pourront faire usage de ce titre. Une telle entreprise requiert assurément plus d’objectivité et de sérénité.

Jean-Pierre SUEUR
Sénateur du Loiret