La médecine baisée par l’évidence, selon un jeu de mots évocateur, manifeste l’évidence même du scientisme en vogue dans notre mondialisation en cours, ce monde fonçant droit dans le mur d’une autre évidence, celle de la Grande extinction, tellement plus réellement dangereuse que le Grand remplacement dont on nous matraque de la musique fascisante, un monde dit "scientifique" où Monsanto et le glyphosate, gérés à la néolibérale, valent mieux que la planète, ses abeilles, ses paysans et ses humains (accouchant de plus en plus d’autistes). L’ennui, avec les fausses preuves du scientisme, c’est que la condition humaine ne se prouve pas.
Voici donc que nos amis belges après nous passent à la moulinette politico médicaliste. Cette mésaventure me remémore la prophétie d’un membre du syndicat italien des psychothérapeutes nous interpelant à un colloque de la FFdP, à l’automne 1995 si ma mémoire est bonne. Il nous avertissait. Vous mettez le doigt dans l’engrenage politique, vous commencez par vous réjouir, on vous écoute, ça va marcher pour vous, puis les politiciens interviennent massivement, s’emparent de votre projet, vous en dépossèdent, le renversent en son contraire et vous vous retrouvez en slip dans le caniveau sans avoir eu le temps de comprendre ce qui vous arrivait. Ne jouez jamais à ça avec le monde des politiciens nous prévenait-il. C’était du temps de la présidence de Michel Meignant je m’en souviens bien, et je me disais, les italiens oui, mais pas nous.
Eh bien voilà, en 2012 nos amis belges fleur au fusil allaient gagner, créer en Europe un bon contre-modèle, ça marchait pour eux, le gouvernement socialiste allait accompagner leurs vœux. Certes il y avait des problèmes, les psychanalystes jouant refusant de se ranger à la psychologie, mais on y parviendrait à un juste statut.
Résultat de la course ? la majorité a changé, la médecine scientistique retourna la situation et voici nos psychothérapeutes belges confisqués tout comme nous. On vous le disait qu’il s’agissait d’un mouvement mondial. Voyez le DSM. Le rouleau compresseur passe, les fleurs derrière se requinquent et redressent, l’espace entre les pavés peut revoir l’herbe pointer. Aujourd’hui Jean-Pierre Lebrun entonne le chant du cygne. Somptueux. Exprimant notre condition professionnelle et scientifique, notre idéologie, notre espérance. Nous gagnerons pour finir, nous ne pouvons que gagner. Mais pas d’illusion. Probablement pas ce round-ci ces jours-ci en Belgique. Nous devrons nous organiser pour tenir la longueur d’un long combat.
Nous avions analysé la situation belge en 2013, complexe et grosse de dangers, la psychanalyse refusant d’être psychologisée, de fait engloutie par la psychologie, mais ne pressentions pas encore que comme dans Le chat la belette et le petit lapin, les deux protagonistes se verraient avaler pas la Médecine. Eh bien c’est en train de se faire. Et ce ne sera pas le placet profondément juste de notre confrère Jean-Pierre Lebrun qui y changera quelque chose. La médecine fondée sur la preuve apportera cette fois encore la preuve de la nocivité du scientisme dont on la voit hantée, et de sa puissance de feu politique et idéologique actuelle.
C’est que le scientisme c’est comme le dit excellemment Wikipédia une vision du monde. Cette Weltanschauung que Freud avait pour sa part rejetée, se méfiant de la philosophie, de sa doctrine, ce qui la handicapa politiquement de façon considérable, depuis sa politique face au nazisme avec lequel elle s’efforcera de négocier un honteux compromis, jusqu’aux dictatures d’Amérique du sud où l’on vit même des psychanalystes tortionnaires.
Le scientisme lui est non seulement une vision du monde et une idéologie, mais une croyance. Sur le concept de croyance lire l’excellent ouvrage d’Henri Atlan(1), dans notre métier être au clair avec cette dimension est
capital. La croyance qu’on pourrait organiser scientifiquement l’humanité(2). Ce bel optimisme aveugle déboucha sur des politiques de façonnage de l’Homme nouveau à faire frémir, dont le XXème siècle a payé la facture d’environ 50 millions de morts sans compter le zest du "détail" génocidaire, entamé en Arménie. Appliquée par Watson et compagnie à la psychologie, devenue par la suite psychologie "scientifique", scientistifique devrait-on dire, puis de nos jours neuroscientifique, DSMiste bien entendu, la même croyance débouche sur une guerre féroce que le corporatisme médico scientiste conduit contre nos sciences humaines et sociales cliniques.
Ivan Illich, Guy Debord, Jacques Ellul entre autres ont averti contre les débordements inquiétants pour l’avenir de l’humanité du scientisme, ce que de nos jours l’écologisme relaie, mettant en avant le principe de l’homme mesure de toute chose vs. l’homme mesuré en toutes choses, remettant au centre de la figure celle de l’humanisme. Comme le rappelle plaisamment l’article de Wikipédia, Gaston de Pawlowski caractérisa fort bien l’essence du scientisme, méthode imparable débouchant sur le néant :" Démontons et classons minutieusement tous les rouages de notre montre. Il serait bien étonnant qu’au terme de ce processus nous ne sachions pas enfin l’heure qu’il est."
Face à la farce de cette croyance sans âme (où est passée l’heure qu’il est ?) nous demeurons les tenants et mainteneurs de l’âme humaine. Chez nous c’est sans états d’âme que le Dr. Kouchner livra la psychothérapie aux psychiatres, relayé à la majorité suivante avec l’appui de la socialiste et anesthésiste (ça ne s’invente pas) Catherine Génisson par le Dr. Accoyer. La dure bataille des charlatans, 1999-2010, aboutit à notre mise à la marge sous le titre d’exercice professionnel alternatif de psychopraticien relationnel®, mais aussi à notre maintien et indépendance. À partir du territoire désormais nôtre, de profession non réglementée d’État mais autoréglementée, d’exercice libéral, nous pouvons librement dans notre secteur nous intéresser à l’âme et à la psychothérapie où c’est la relation qui soigne. Un trésor dont nous ne revendiquons pas le monopole mais dont nous exerçons de fait celui de la transmission et du contrôle de l’exercice. Et du rayonnement !
De ce qui se passe en Belgique nous retiendrons trois leçons. D’abord qu’il convient de mesurer le danger et de cesser de nourrir des illusions concernant l’agressivité corporatiste de la Médecine scientiste et sa volonté et capacité de tenter de se substituer à la psychothérapie relationnelle,
discipline de la dynamique de subjectivation aux côtés de la psychanalyse(3) (tout aussi menacée qu’elle l’admette ou non). Ensuite que l’Adresse des Trois sur Quatre du GLPR à la FF2P, prophétisant qu’aller quémander auprès des pouvoirs publics français un strapontin de pseudo psychothérapeute aux côtés des seuls des vrais, intronisés par la loi de 2004-2010, serait illusoire et éminemment dangereux, tant mieux vaut un petit chez soi qu’un grand chez les autres – et quels autres ! Enfin que le beau texte de Jean-Pierre Lebrun mérite non seulement d’être médité, et multi édité, mais de nous en inspirer d’autres, et nous remémore que notre responsabilité de praticiens de la libération par la parole c’est de la prendre, la parole, et de l’exercer pour la soutenir contre les tenants de son obturation hégémonique par la molécule(4).
Le public a besoin de nous entendre, dire ces choses justes d’une juste cause, d’entendre ce parler vrai qu’on retrouve dans l’œuvre de Yalom, un parler qui fasse école et qui convainque, un parler qui s’oppose à la langue de bois du dogmatisme scientiste, qui rappelons le ne fait aucun bien à la science, pétrie elle d’esprit critique et d’une sorte d’humilité, de modestie relationnelle, dont j’espère que nous saurons nous montrer dans notre domaine les exemples et les témoins. La France actuelle, rabougrie dans la désespérance et le désir de fascisme qu’y discerne Élisabeth Roudinesco, a besoin d’une psychothérapie relationnelle bien plantée dans ses institutions historiques et ses bonnes écoles, qui parle juste et fort, pour infléchir le débat public dans le sens de l’ouverture et de la libération. Merci à toi Jean-Pierre Lebrun, pour ce beau texte qui nous représente avec force. Tu vois, ici même elle connaît un premier écho. Que d’âme en âme elle bondisse et rebondisse.
Madame la Ministre, Honorée consœur,
Permettez-moi de m’adresser à vous à quelques jours de ce vote sur le projet de loi concernant les psychothérapies. Si je le fais, c’est simplement parce que je suis stupéfait du sort que, peut-être sans le savoir ni même le vouloir, vous êtes en train de faire à la parole et à la pratique – la psychothérapie – qui s’en prévaut.
En déclarant purement et simplement, comme je viens de le voir au Journal télévisé RTBF de ce dimanche soir, que « la psychothérapie devra désormais être un acte médical », vous voulez la soumettre à la seule logique de l’Evidence Based Medecine, alors que déjà partout où sévit cette dernière, elle a été aussitôt contrée par une médecine qui, a contrario, se veut « narrative ». Autrement dit, à ceux qui en appellent à l’évidence des choses, il faut toujours rappeler la portée des mots.
Madame la Ministre, je suis médecin depuis 1970 dans ce pays, et psychiatre depuis 1975. Après avoir contribué à créer les hôpitaux psychiatriques pour enfants, qui n’existaient pas encore en Belgique, j’ai essentiellement exercé en cabinet privé sans jamais prescrire un seul médicament (sans pour autant discréditer leur usage quand cela s’avérait nécessaire), autrement dit en travaillant avec seulement l’usage de la parole.
En 1993, j’ai soutenu une thèse d’agrégation de l’enseignement supérieur précisément consacrée aux effets sur le patient de la médecine devenue scientifique. Pour la résumer en une formule, j’y rappelais que depuis Claude Bernard, il s’est agi de faire de la médecine non plus « un art » de guérir, mais une « science » de guérir. Or, j’ai pu montrer, voire démontrer, que ce changement comportait un risque, celui de transformer l’art de « guérir des malades » en science de « guérir des maladies ». Bien sûr qu’il avait fallu prendre ce risque, tant c’était prometteur pour l’efficacité de la médecine ; cela s’est d’ailleurs largement confirmé depuis. Mais il fallait aussi contrebalancer ce risque grâce à la place qu’il s’agissait de reconnaître à ce qu’implique l’usage de la parole qui, sans même qu’on s’en aperçoive, constitue pourtant ce qui fait notre spécificité d’humains. La médecine ne peut en aucun cas se satisfaire d’être une pratique seulement objective, vous le savez aussi bien que moi et que tous ceux qui restent en contact direct avec les patients.
Autrement dit encore, c’était à compenser un risque de déshumanisation de la médecine qu’il s’agissait de travailler. Et n’est-ce pas ce qui, au cours de ces dernières années, a été souvent réalisé, dans les hôpitaux par exemple, simplement par la présence aujourd’hui fréquente de psychologues. Mais si ma thèse est juste, l’espace pour leur travail n’est possible que s’ils ne doivent pas entièrement se soumettre à la logique de la scientificité médicale.
Or, Madame la Ministre, en faisant de la psychothérapie un acte médical, en consonance avec l’Evidence Based Medecine, vous la faites aussitôt entrer dans l’arsenal de la médecine scientifique et vous contribuez ainsi, à votre insu peut-être, mais très directement, à une objectivation, alors que l’être humain est d’abord et avant tout subjectivité. C’est pourquoi il s’agit de laisser sa place à ce que veut dire « parler », ce qui ne se résume nullement à la communication.
Aujourd’hui, il arrive bien souvent que ce soit du fait de « pouvoir en parler » qu’est rendu viable ce qu’il y a d’irrespirable pour un humain d’être traité – même si c’est apparemment très bien – seulement comme une chose. Et vous devrez admettre sans difficulté que l’air de notre temps traite de plus en plus souvent les individus comme des choses, et les malades comme des maladies.
Honorée consœur, je sais pertinemment que votre souci est sans aucun doute de rationaliser un champ qui se présente comme d’une épouvantable complexité, mais voilà, en vous entendant soutenir ce projet de loi et en sachant où tout cela peut nous mener, je ne peux que craindre la pire des méprises, celle qui consiste à paver un enfer avec les meilleures intentions.
Non, Madame la ministre, vous ne pouvez annuler l’orientation que celle qui vous a précédée à cette même fonction, Madame Onkelinx, était parvenue à donner à ces questions et pour laquelle elle m’avait fait l’honneur de me demander – comme à bien d’autres – un éclairage. Vous ne pouvez d’un seul mouvement balayer le travail qui avait été fait par ses services pour laisser aux psychothérapeutes et aux psychanalystes le soin d’organiser leurs formations – ce qu’ils font d’ailleurs très bien depuis des lustres – autour de cette prévalence reconnue à ce que parler veut dire et implique.
Madame la ministre, merci d’avoir consenti à me lire et surtout à prendre acte qu’au travers de mes quelques lignes, c’est un nombre important de psys de toutes tendances confondues qui essaye de se faire entendre de vous.