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24 avril 2010

Principe de précaution : soin et angoisse Bernard Ginisty

Bernard Ginisty

Éditorial de Bernard Ginisty diffusé par RCF Saône & Loire 24 avril 2010


Je ne connais Bernard Ginesty que comme billettiste régulièrement acheminé par courriel par les soins d’une amie dont la villégiature se situe en Bourgogne. Il n’est pas du tout déplaisant à lire, et comme cette fois il se réfère à Lévinas, et, parle précisément du { {prendre soin par quoi se définit notre profession et discipline, je me suis dit qu’il pourrait atterrir sur le site de notre École (titré par mes soins).

Le thème est du jour, tout le monde a dit là-dessus quelque chose, pour une fois faisons comme tout le monde. Comme deux précautions prises valent mieux q’une, je prends celle de justifier l’édition de cette réflexion. Doit-on y discerner un début de trop d’anxiété ? ah ! l’angoisse, la chère angoisse !

Philippe Grauer}}


Au nom du principe de précaution, nous venons de connaître une paralysie mondiale du trafic aérien après avoir vécu, il a quelques mois, la mise en place d’un dispositif très coûteux pour faire face à la menace de la grippe A. En 2005, ce principe a été inscrit dans la Constitution de notre pays. En mai 2006, un Observatoire de principe de Précaution (O.P.P.) a été créé. Ces initiatives, comme on peut le lire sur le site de cet organisme, sont le fruit d’une « véritable révolution culturelle qui s’est jouée au cours des trente dernières années. « Se rendre maître et possesseur de la nature » (Descartes, Discours de la méthode) : telle était l’ambition fondatrice de notre modernité. Cette confiance placée dans la science en tant que vecteur d’émancipation et de bien-être s’effrite au cours du XXe siècle. (…) On découvre que ce projet moderne de la maîtrise de la nature par l’homme peut se retourner contre l’humanité elle-même.»

On se réjouirait sans réserves du sens des responsabilités que tout cela manifeste si, trop souvent, ce principe de précaution ne reflétait la peur de courir le moindre risque. Or, par définition, la vie est un phénomène fragile qui tôt ou tard s’affrontera au risque de la mort. Si le principe de précaution a pour but de nous faire croire en la capacité de maîtriser toutes les conséquences des actes que nous posons, ce serait un leurre. L’action humaine ne se réduit jamais à la conséquence logique et absolue d’une prémisse. Elle est toujours un risque pris en tenant compte des informations disponibles et accessibles à celui qui agit. L’être humain agit, non pas seulement par un déterminisme dont pourrait rendre compte des savoirs scientifiques, mais en fonction d’un désir et de valeurs, en postulant du sens.

La vie est un miracle permanent, toujours menacé par des anémies, des cancers, des déséquilibres. C’est autour d’une logique du vivant, d’un «  prendre soin  » (selon l’étymologie du mot précaution) de la qualité de la vie des hommes que nous trouverons des critères autres que la loi de la jungle des marchés mondialisés.

Pour le philosophe Emmanuel Levinas, la voie biblique de l’attention aux plus faibles constitue la précaution fondamentale de toute société. : “ Se manifester comme humble, comme allié au vaincu, au pauvre, au pourchassé, c’est précisément ne pas rentrer dans l’ordre […]. L’humilié dérange absolument ; il n’est pas du monde. Se présenter dans cette pauvreté d’exilé, c’est interrompre la cohérence de l’univers« (1). Cette attention à l’homme le plus exclu constitue le principe de précaution indispensable pour résister à la cohérence de l’ordre d’une économie financiarisée qui multiplie les désastres écologiques et sociaux.

Ce n’est que par cette responsabilité concrète de chacun d’entre nous que nous pourrons éviter que le principe de précaution ne devienne : « Un principe d’anxiété qui infantiliserait une société éffrayée par l’avenir, obsédée par le risque zéro dans les moindres gestes de la vie quotidienne”, ce qui amène un journaliste du quotidien La Voix du Nord à s’interroger : “ne devient-il pas nécessaire de prendre ses précautions… face au principe de précaution ?”(2).

Bernard Ginisty


(1). Emmanuel. Levinas, Entre-nous – Essais sur le penser-à-l’autre, Grasset, Paris, 1991, p. 71.
(2) Journal La Voix du Nord du 22 avril 2010)