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27 décembre 2010

Psychiatrie : juges et préfets se substitueront-ils aux soignants ? Roland Gori et Fabrice Leroy – introduction par Philippe Grauer

Roland Gori et Fabrice Leroy – introduction par Philippe Grauer

À verser à notre dossier Carré psy.

Cet intelligent article éclaire la situation folle de la santé mentale, un machin politique à écraser les patients. Certes nous autres psychopraticiens relationnels ne travaillons jamais qu’en réseau avec la psychiatrie, lorsqu’elle nous adresse des patients par ailleurs par elle traités en déambulatoire. Mais que faire lorsque le dispositif psychiatrique prend des couleurs répressives ? la maladie mentale ne se soigne pas à coups de pseudo garde à vue (au moment où le principe même de celle-ci est mis à mal au niveau européen) ni de prescriptions judiciaires. Que faire d’utile et d’humain, coincé entre ce marteau et cette enclume ?

C’est l’ensemble du Carré psy, qui comporte tous les métiers du soin psychique, dont le nôtre, qui se voit détérioré au motif de réformes qui cassent plutôt que modernisent, ignorant qu’en psychiatrie comme ailleurs, davantage qu’ailleurs peut-être, tout autant allez, soyons équanimes, la dimension relationnelle est capitale si l’on veut prendre en compte la souffrance psychique et porter aide à ceux qu’elle frappe.

Psychopraticiens relationnels, nous sommes solidaires de tous les cliniciens qui militent pour que le psychopathologisme scientiste de la santé mentale n’entrave ni nos concitoyens en souffrance ni par extension et contamination l’ensemble de la société aux prises avec le malaise de sa civilisation. À ce sujet nous rappelons que l’Affop et le Snppsy organisent samedi 22 janvier une journée d’étude intitulée Sauvons la pratique qui rejoint le sauvons la clinique bien connu. Ensemble prenons garde que par inadvertance civilisé ne devienne si avilisé(1).

Philippe Grauer


L’article L. 337 du code de la santé publique prévoit qu’au-delà des quinze premiers jours, une hospitalisation sans consentement peut être maintenue pour une durée maximale d’un mois, renouvelable, au vu d’un certificat médical circonstancié indiquant que les conditions de l’hospitalisation sont toujours réunies. Le conseil constitutionnel vient de déclarer cet article contraire à la constitution (Décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010).

Le conseil constitutionnel a en effet estimé qu’il y avait là une méconnaissance de l’article 66 de la constitution, selon lequel la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible.

Tout en reconnaissant dans le communiqué de presse – et encore, du bout des lèvres – que « certes, les motifs médicaux et les finalités thérapeutiques qui conditionnent la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux hospitalisées sans leur consentement peuvent être pris en compte pour la fixation de ce délai », le conseil insiste surtout sur le fait que le prolongement de l’hospitalisation sans consentement ne se conforme pas à la la règle de l’ordre judiciaire.

Sous prétexte de garantir la liberté individuelle, on ne peut qu’être frappé de ce qui relève en réalité d’une adéquation purement formelle à une règle, et que si méconnaissance il y a ici, elle concerne bien davantage la réalité de la maladie mentale et du travail des soignants qui s’en occupent.

L’un d’entre nous dénonçait récemment un projet de réforme se préoccupant plus de sécurité que de soin, tout en voyant d’un mauvais œil la perspective d’une judiciarisation du soin, ne faisant qu’assimiler un peu plus l’hospitalisation à une sanction, et le maintien en hospitalisation à un « maintien en détention ».

Ce qui se dessine, à travers cette décision du conseil constitutionnel mais aussi avec le projet de réforme de la psychiatrie, c’est véritablement l’empêchement, voire la destruction de tout projet thérapeutique, soit par le préfet pour maintenir l’hospitalisation contre l’avis des soignants, soit par le juge pour empêcher le maintien de cette même hospitalisation, toujours contre l’avis des soignants.

Au nom de la sécurité dans un cas, au nom de la liberté dans l’autre, il y aurait désormais subordination du soin au pouvoir répressif d’un côté, au pouvoir judiciaire de l’autre. Tout cela conduit à dresser un peu plus les malades contre la société et réciproquement, en identifiant le soin à une sanction et l’hospitalisation à une garde à vue (la comparaison entre les deux étant d’ailleurs faite lors des débats filmés du conseil constitutionnel, sur le mode de la « garde à vue abusive »).

Nous assistons à une véritable disqualification des métiers du soin psychique, laissant les malades en proie à une guerre idéologique entre ceux qui veulent les enfermer au nom de la sécurité et ceux qui veulent les faire sortir au nom de la liberté individuelle, entre idéologie sécuritaire d’un côté et idéologie libérale-libertaire de l’autre.

Or le soin psychique constitue un temps et un lieu en position tierce, permettant de penser et panser ce qui écartèle le sujet entre sa liberté et son inscription sociale et culturelle. Ce temps et ce lieu permettent donc de faire en sorte – malade, famille, et soignants réunis – que le malaise dans la culture ne se résorbe pas dans une pensée binaire conduisant à des affrontements idéologiques dont les malades sont les premières victimes. Cela nécessite que les conditions dans lesquelles le soin psychique peut s’exercer soient dignes de ce nom, et permettent aux soignants de mettre en acte les valeurs pour lesquelles ils ont choisis de se soucier de l’autre, au lieu de contribuer – comme c’est le cas avec le projet de réforme et ici avec la décision du conseil constitutionnel – à dresser les uns contre les autres .

Il est temps d’arrêter d’instrumentaliser le soin et les patients dans une confrontation idéologique qui masque les valeurs politiques, sociétales et anthropologiques que ces idéologies contiennent. Plus que jamais aujourd’hui la psychiatrie rebaptisée « santé mentale » révèle sa porosité avec les pouvoirs politiques qui lui confient la tâche de construite et de légitimer des normes de conduite et de définir des déviances sociales. Plus que jamais la casse des métiers du soin psychique au profit de l’objectivité d’eunuque de la biopsychiatrie sécuritaire révèle que la psychiatrie est un « fait de civilisation ». Nonobstant la validité des savoirs et des pratiques qui se disputent le champ de la psychopathologie, il convient de s’interroger sur ce qui à un moment donné conduit le pouvoir politique et/ou l’opinion à lui préférer telle ou telle orientation en fonction de la vision qu’ils se font de l’humain. Aujourd’hui au moins, les choses sont claires le débat récurrent sur les critères qui permettent de différencier le normal du pathologique se réduisent purement et simplement aux questions politiques et juridiques de savoir comment défendre la société tout en protégeant le sujet de droit. La psychiatrie n’est plus que la copule qui conjoint les dispositifs juridiques et la petite biologie des industries de santé.

Que sont les souffrances psychiques devenues ?


Paru dans le journal l’Humanité du 10 décembre 2010