Emprisonner les fous ? c’est déjà fait. Sans doute un tiers ou un quart des prisonniers sont dans un état mental passablement disons difficile, et n’ont pas atterri là où ils sont sans raison, si l’on peut dire. Il est de notoriété publique par ailleurs comme le souligne l’article ci-infra que 90% des schizophrènes sont dans la rue.
Que les pouvoirs publics judiciarisent la maladie mentale en dit long sur la conception de la santé mentale qui prévaut, conception protocolaire évidemment, le protocole étant la bonne forme de nos nouveaux psychothérapeutes à venir – TCC de préférence si l’on donne dans le penchant post-moderne de normer une population à la façon scientiste.
Une population ou un peuple ? une conception contrôlitaire du soin (1) présente des implications idéologiques puis politiques. Nous autres psychopraticiens relationnels nous trouvons indirectement concernés par l’ensemble de l’édifice de la santé mentale à la marge de laquelle nous exerçons, dans le cadre du Carré psy. Son évolution vers des formes dangereuses autant pour la démocratie que pour pour l’ensemble des professionnels du psychisme et de tous ceux que cela concerne nous préoccupe, et nous avons à cœur d’informer le public de ce qui se passe et d’afficher notre solidarité avec le Comité des 39 contre la nuit sécuritaire qui milite pour prévenir une dégradation dommageable de nos institutions et représentations de l’ordre de l’imaginaire social, relatives à l’univers anthropologiquement vital pour chaque civilisation, de la folie.
Philippe Grauer}}
La décision du Conseil Constitutionnel a eu un effet de sidération et de confusion sur les soignants en psychiatrie pour la raison qu’elle soulève un paradoxe qui n’est certes pas nouveau, mais qui était tant bien que mal traité au cas par cas jusqu’à présent dans la confiance relative aussi bien envers la justice qu’envers les psychiatres.
Cette décision a immédiatement comme corollaire que les placements sont avant tout des privations de liberté.
Là il nous faut réfléchir ensemble à la différence qu’il y a entre protection sociale discutable et qui doit être discutée et privation de liberté qui serait de fait reconnue par le contrôle judiciaire.
Cette décision veut dire que l’acte de protection sociale par HO et l’acte de protection d’une personne par HDT ne seraient plus assumés par la civilisation, mais par un « état objectivable dans son écart par rapport à une norme » puisque ce serait le trouble en lui-même, expertise à l’appui, qui orienterait la vérité judiciaire chargée de relier nature du trouble et privation de liberté.
Les personnes atteintes de troubles mentaux seraient ainsi, au nom du contradictoire, condamnées ou relaxées, en ce qui concerne leur placement. L’hôpital psychiatrique fonctionnerait alors comme un lieu de privation de liberté c’est-à-dire une prison et la folie comme une faute punissable!
Avec les mesures d’HO ou d’HDT, nous ne privons pas les patients de liberté, nous les écartons de la société pour nous protéger de leurs actes ou pour les protéger d’eux-mêmes et cela doit rester l’absolue exception.
Qu’une personne ainsi placée considère qu’on la prive de liberté c’est son droit le plus strict, et elle doit pouvoir obtenir un droit de recours juridictionnel qui doit lui être offert quel que soit son état, et cela, sans délai, c’est un principe de séparation du soin et du droit qui ne doit souffrir aucune exception.
Nous ne pouvons qu’être inquiets par la prise en compte dans nos démocraties de la question posée par l’accueil et les soins à dispenser auprès des personnes présentant des troubles mentaux quand nous constatons que ces derniers sont essentiellement proposés à la discussion sous l’angle sécuritaire ou judiciaire.
L’idée de perfectionner la loi de 1990 focalise la réflexion sur le temps de la contrainte, alors qu’elle devrait principalement porter sur les traitements, les prises en charge, l’accueil de la folie. Cela risque d’amplifier ce qui s’est produit dans la suite de la loi de 1990 qui n’a en rien amélioré les pratiques psychiatriques. Bien au contraire elle n’a fait qu’augmenter pour une part sensible le nombre de recours au placement en même temps qu’elle a, par effet d’aspiration, diminué les investissements de prévention, de club thérapeutique, de suivi, avec l’accroissement scandaleux du nombre de patients mis en errance, SDF, ou se retrouvant en prison.
Toute la psychiatrie moderne depuis la symbolique de l’acte Pinelien libérant le fou de ses chaînes, très précisément la symbolique qui initie la soustraction de la conception de l’acte soignant d’une contrainte des corps, n’a cessé de s’en départir contre le retour cyclique d’une psychiatrie hygiéniste, dégénérescence incluse, visant à établir une Raison comme norme avec les procédures de rejet et de traitement obligatoire qui en découlent, contre une fiction politique de la Raison, politique partageable parce que discutable et qui doit en permanence s’enrichir par la confrontation à ses limites, en particulier, avec ce que la folie interroge en nous.
C’est en ce sens que nous refusons de faire des moments exceptionnels de la contrainte le noyau organisateur de la psychiatrie. Le recours judiciaire doit être du côté des patients et non du côté d’un perfectionnisme procédural qui ne ferait que déplacer la question de la folie vers une vérité judiciaire de son traitement.
C’est en ce sens que nous refusons de voir les pratiques soignantes organisées sous le modèle de l’enquête judiciaire et de la peine. La folie n’est pas en soi un délit ou un crime.
Nous refusons les centres de rétention de 72 heures construits sur le modèle de la garde à vue.
Nous refusons la mise en place d’un juge d’application des soins sur le modèle du juge d’application des peines.
Nous refusons les traitements ambulatoires obligatoires construits sur le modèle de la liberté conditionnelle.
Bref nous refusons de participer à l’organisation « contrôlitaire du soin ».
25 décembre 2010
Le Collectif des 39 Contre la Nuit Sécuritaire