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18 mai 2008

Psychologues freudiens à l’hôpital : une difficile démarche psychothérapique en institution Christiane Alberti — Commentaire de Philippe Grauer

Christiane Alberti — Commentaire de Philippe Grauer

PRAGMATIQUE PARADOXALE

CHRISTIANE ALBERTI

Maître de conférences en psychologie à Paris 8


Que se passe-t-il à l’hôpital ? nos cousins les psychologues freudiens se débrouillent, dans les couloirs, pour faire passer un peu d’humanité. Leur pratique est différente de celle des psychothérapeutes relationnels en cabinet. Il importe que les uns et les autres se connaissent, échangent et partagent leur expérience clinique, sans toutefois les confondre. Nous n’exerçons pas le même métier, ne répondons même pas à la même déontologie, ne relevons pas de la même corporation. Nous rencontrons nous des personnes qui le désirent et nous demandent, cela crée une appréciable différence. Cependant la problématique freudienne nous réunit objectivement, et nous permet de nous rendre compte de notre proximité sur la base d’une pratique visant un processus de subjectivation humaniste.

Christiane Alberti s’enthousiasme pour une pratique clinique hospitalière « formidable » centrée sur la théorie lacanienne. Il s’agit d’un texte de militante, travaillant dans le cadre d’une UER de psychologie à Paris 8, dont le climat scientiste ne favorise pas toujours ce courant, on va le dire comme ça. On peut distinguer à l’œil nu les différences de types de soins administrés et de relation même, et la proximité des cliniciens ici évoqués avec la médecine. Sans verser dans la confusion, heureusement qu’ils sont là ! La pratique DSM-neurogestionnaire en usage ordinaire dans les hôpitaux rend leur témoignage précieux, voire ethnologique. Ils soutiennent ceux qui, de l’autre côté du Carré psy, travaillent à articuler scientificité médicale objectivisatrice, relation d’aide tout azimut, et posture subjective faisant place à de l’inconscient.

Qu’on ne s’y trompe pas, la pratique psycho hospitalière n’est pas toujours de cette trempe, et pas du tout dans les plans qu’on nous prépare au titre de la « nécessaire réforme » de nos institutions et services à celui, de service, d’une mondialisation psycho mécanisée à protocoles anti-relationnels.

Les psychothérapeutes relationnels laïcs multiréférentiels que nous formons, ne relevant pas de la médecine ou de la psychologie, ne travaillant pas à l’hôpital traité depuis 1986 en chasse gardée des psychologues sauront soutenir le combat confraternel aux côtés de leurs collègues hospitaliers freudiens, en discernant mieux similitudes et différences entre leur pratique et leur milieu, et les leurs propres. Ils ne se laisseront jamais diviser pour régner.

Philippe Grauer


Vient de paraître : fiche communiquée par Communiqué par nos amis de l’intercopsycho : http://www.intercopsychos.org

DOUCET Caroline (sous la dir.), Le psychologue en service de médecine. Les mots du corps, Paris, Masson, 2008, 166 pages, 24 €.

Ce petit volume est une formidable contribution à la pragmatique de la psychanalyse. Fidèle à son engagement à soutenir la nécessité de s’adresser aux gens de médecine, Caroline Doucet, y a réuni onze témoignages de psychologues exerçant dans différentes unités hospitalières : A. Abelhauser (hématologie, médecine interne) R. Adam (psychiatrie de liaison), N. Bendrihen (psycho-oncologie) J. Borie (pédopsychiatrie de liaison), V. Comparin-Ainard (soins palliatifs), C. Doucet (lutte contre la douleur et soins palliatifs), D. Jammet (médecine interne et maladies infectieuses), C. Lacaze-Paule (rééducation fonctionnelle), A. Lévy (dépistage du virus du sida), M.L Tourenq (hospitalisation à domicile), C. Valette (services pour personnes âgées dépendantes).

Ces praticiens de la parole prennent résolument rang dans le discours hospitalier contemporain, car ils ont à dire sur la clinique des malheurs du corps. Ils y investissent les apports de la psychanalyse d’orientation lacanienne pour dialoguer avec les soignants d’aujourd’hui. Surtout, ils disent ici très concrètement « sans arsenal ni pharmacie » (François Regnault), comment ils se débrouillent au quotidien avec les demandes on ne peut plus diverses, insensées parfois, qui leur sont adressées par les partenaires du soin. Jamais ils ne se dérobent à cet appel . Leur réponse nécessite au contraire de mobiliser un savoir précis, de faire des propositions, de soulever des hypothèses avec le souci de se faire entendre pour faire équipe avec d’autres. Répondre, oui, mais de façon décalée, toujours par le biais du symptôme. Rétifs à enfiler la blouse du donneur de leçon ou celle de l’expert en psy-médicale, ils témoignent d’un savoir y faire pour répondre à l’illusion de la prise de conscience, aux mirages de la compréhension ou encore au projet tout abstrait de tout assumer y compris la mort, opérant ainsi un passage de l’illusion du tout dire au régime d’un dire qui cible la cause, celui d’un certain silence aussi bien, en quoi ils ont du tact et de la discrétion.

Très instruits des spécificités cliniques, techniques et politiques du domaine médical concerné, les auteurs nous relatent comment ils se mêlent à leur façon des effets de cette médecine scientifique, sans jamais jeter l’anathème sur la réalité hospitalière, ni se délecter du malaise ambiant lié aux objectifs de spécialisation, de rentabilité, d’efficacité. Face à l’effacement de la parole nourri par l’incursion obligatoire de la technique, leur propos n’est jamais nostalgique des idéaux de la médecine d’antan. Les auteurs prennent la chose autrement. Il sont résolument modernes. Le style de leur intervention est enlevé, personnel, léger, ce qui n’est pas sans mérite vu le tragique de ce dont il s’agit en ces lieux.

Voici des praticiens, « praticiens des couloirs » ose François Ansermet dans sa postface, qui relatent comment ils rencontrent ceux qui ne l’ont pas désiré. Il s’agit pour chacun d’essayer de dégager le point à partir duquel est reçue, interprétée, déformée, la parole du médecin ou des soignants afin de ménager une marge de manœuvre subjective, afin de retrouver ce qui du plus intime de notre être semble s’estomper devant l’apparente suprématie des faits. C’est au moment même où le hasard semble récuser la vie-même, qu’il importe de démêler, interroger, discuter sa vie. Le réveil subjectif atteste, précisément là, de l’effectivité de l’inconscient dans la chair même. Bien au-delà d’un supplément d’âme, comme le souligne Didier Sicard dans sa préface, ce sont les conditions d’une expérience de parole, marquée du sceau de la vérité, que ces psychologues préservent au cœur des pratiques hospitalières.