15 Mars 2011 Par Michel de Pracontal sur Mediapart
De toute évidence la catastrophe atomique nipponne n’a rien à voir avec la psychothérapie, sinon qu’il va falloir augmenter sérieusement là-bas le budget de notre discipline pour aider les personnes concernées à faire face à l’événement dans les années à venir. Sinon surtout que penser la catastrophe nécessite de mobiliser par-delà l’impact traumatique qui précisément bloque la capacité de penser, nécessite de pousser la réflexion au-delà de ses limites antérieures.
Ce qui motive pour commencer l’insertion de ce texte dans nos colonnes c’est le désir de ne pas alimenter le catastrophisme médiatique comme c’est malheureux ce qui arrive à ces pauvres gens – et Dieu sait si ça l’est ! tout en tenant un discours technique sur les cuves, les enceintes, la céramique, ce qui arrive quand le corium fait fureur, bref en s’en tenant de façon aveugle à l’événement sans tenir compte de ce en quoi consiste l’événement : à savoir qu’il a des responsables. À savoir également que les Centrales atomiques ne sont pas en elles-mêmes problématiques, mais l’arrogance scientiste d’experts qui régissent le monde, au service d’autres qui le gèrent, pathologiquement comme on peut s’en convaincre à lire par exemple La société malade de la gestion(1). Ce qui procède de notre discipline là-dedans c’est l’absence de démocratie (2).
Qui, correctement informé, aurait pu à la légère décider d’installer au Japon, connu tout de même pour sa fragilité sismologique, des cuves dont le système de refroidissement ne résisterait pas à la disjonction provoquée par un séisme dont on avait prévu qu’il provoquerait une disjonction automatique … du système de refroidissement ? On a l’impression d’un gag écrit par un humoriste. Et quand on pense que nos experts français on calculé que Fessenheim devait pouvoir résister à un séisme intervenu il y a des siècles, mais pas à un plus grave – on cherche en vain là-dedans la logique sécuritaire (3)–, ça fait chaud dans le dos, chaud car le corium monte tout de même à plus de 3000°.
Nous vivons la même configuration par dysinformation (on sait que la psychiatrie contemporaine ne jure plus que par les dys-quelque chose) avec les professions du psychisme. Nos psychiatres à la vue courte entreprennent de coloniser le Carré psy, et d’y faire le ménage (exit les psychopraticiens relationnels puis à moyen terme les psychanalystes). Ils viennent ensuite pleurer sur le manque d’humanisme du gouvernement, qui les traite exactement comme ils entendent traiter leurs collègues. Lesquels quand ils sont psychologues crient au scandale, non de nous avoir tout à fait incorrectement maltraités nous – en toute connaissance de cause –, mais d’avoir été roulés dans la farine par ceux dont ils étaient hier encore volontiers les complices (contre nous, qu’ils appellent de leur côté à la solidarité, la boucle est bouclée).
Tant et si bien que l’affaire s’avérant compliquée (4) le nuage psychoactif irradiera l’opinion et que le corporatisme et le scientisme pourront continuer d’aller leur mauvais train. Bien entendu tout cela n’empêche pas la vérité d’être vraie, fort heureusement, et tant en matière psy que nucléaire il nous reste assez de démocratie pour l’emporter sur les corporatistes et les experts aux ordres.
Voici en quel honneur nous installons dans nos colonnes cet intéressant article de Mediapart sur une catastrophe annoncée.
Philippe Grauer}
« À moins que des mesures radicales ne soient prises pour réduire la vulnérabilité des centrales aux tremblements de terre, le Japon pourrait vivre une vraie catastrophe nucléaire dans un futur proche. » Cet avertissement est tiré d’un article paru le 11 août 2007 dans le quotidien International Herald Tribune/Asahi Shimbun (l’article est à lire ici). Son auteur est le sismologue Ishibashi Katsuhiko, professeur à l’université de Kobe (sa biographie est à lire ici).
vulnérabilité fondamentale
Ishibashi Katsuhiko faisait partie du comité d’experts chargé d’établir les normes sismiques des centrales nucléaires japonaises. Il en avait démissionné pour protester contre la position du comité. Il estimait que les recommandations fixées par le comité étaient beaucoup trop laxistes.
En d’autres termes, le professeur Katsuhiko avait prévu ce qui est en train de se produire à la centrale de Fukushima. Il avait prévenu les autorités de son pays que les centrales japonaises souffraient d’une «vulnérabilité fondamentale» aux séismes. Mais ses avertissements ont été ignorés tant par le gouvernement que par Tepco (Tokyo Electric Power Company), premier producteur privé mondial d’électricité, qui exploite un tiers des centrales nucléaires japonaises, dont celle de Fukushima.
Katsuhiko a lancé son alerte en 2006, année où les normes de sécurité anti-sismiques japonaises ont été renforcées. Selon le sismologue, ce renforcement était encore très insuffisant. Les faits lui ont donné raison dès l’année suivante. Le 16 juillet 2007, un séisme de magnitude 6,8 a provoqué des incidents sérieux à la centrale de Kashiwazaki-Kariwa, la plus importante unité de production d’électricité nucléaire au monde. Cette centrale se trouve sur l’île de Honshu, la principale île du Japon, comme presque toutes les centrales nucléaires japonaises, qui encerclent les trois plus grandes villes du pays, Tokyo, Nagoya et Osaka.
Avant le séisme de juillet 2007, un autre s’était produit en août 2005, affectant la centrale d’Onagawa, au nord de Fukushima ; encore un autre en mars 2007, dont l’épicentre était à 16 kilomètres de la centrale de Shika. Et cela s’est répété l’année suivante, avec une secousse de magnitude 6,8 à l’est de Honshu, près d’Onagawa et de Fukushima. Même s’il n’y a pas eu de dégâts importants, Tepco a signalé alors trois fuites de liquide radioactif à Fukushima Daini.
Ainsi, l’accident qui vient de se produire à Fukushima ne peut être considéré comme une véritable surprise, même s’il a pris de court les opérateurs de la centrale comme les autorités. Cet accident est la reproduction, en beaucoup plus grave, d’événements qui se sont répétés au moins depuis 2005.
Ishibashi Katsuhiko avait analysé le risque, expliquant que, dans les différents cas, «le mouvement sismique à la surface du sol causé par le tremblement de terre était plus important que le maximum prévu dans la conception de la centrale». Lors du séisme qui a affecté la centrale de Kashiwazaki-Kariwa, le pic d’accélération sismique était plus du double de la valeur que la centrale était censée supporter. «Ce qui s’est passé à Kashiwara-Kariwa ne devrait pas être qualifié d’inattendu», écrivait le sismologue.
C’est malheureusement encore plus vrai du drame actuel, dont Katsuhiko avait anticipé la possibilité: «Si l’épicentre du séisme avait été un peu plus proche du site de la centrale et si la magnitude avait atteint 7,5 […] , il aurait pu se produire un « genpatsu-shinsai », un événement catastrophique associant tremblement de terre et fusion partielle ou complète du cœur d’un ou plusieurs réacteurs.»
C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui, et le séisme est encore plus puissant que ce qu’avait imaginé Katsuhiko. En 2007, il estimait que les centrales devaient être conçues pour résister à un mouvement de surface du sol d’une vitesse de l’ordre de 1000 gal, alors que les normes de 2006 ne prévoyaient que 450 gal (le gal est une unité utilisée pour mesurer l’accélération du sol et correspond à 1 centimètre par seconde carrée).
L’une des raisons pour lesquelles les centrales japonaises sont vulnérables aux séismes est qu’elles ont été construites pendant une période où il s’est trouvé que l’activité sismique était relativement faible – du moins pour le Japon. On s’est basé sur cette activité pour définir la résistance anti-sismique des installations nucléaires, et on en a construit 55, ce qui fait du Japon le troisième producteur mondial d’électricité nucléaire.
Or, à partir de 1995 et du grand tremblement de terre qui a dévasté la ville de Kobe, il y a eu un regain d’activité sismique sur l’archipel. Il aurait été donc nécessaire de revoir à la hausse la protection anti-sismique des centrales. Pour Katsuhiko, les centrales qui ne pouvaient pas être suffisamment sécurisées devaient être fermées. Cela n’a pas été fait. Et Tepco n’a pas pris en compte les failles sismiques sous-marines, notamment dans la zone de Kashiwazaki-Kariwa. Le risque lié aux tremblements de terre a été systématiquement sous-estimé, aussi bien par les experts nationaux de la sûreté nucléaire que par l’industriel.
Au demeurant, Tepco n’en est pas à son premier manquement en matière de sécurité. En 2002, l’entreprise a été au centre d’un scandale après avoir falsifié des documents d’inspection pour dissimuler des problèmes survenus sur certains de ses réacteurs. Le PDG, le vice-président et le président du conseil d’administration durent démissionner en chœur. La falsification concernait au moins trois incidents qui affectaient déjà les centrales de Fukushima et de Kashiwazaki-Kariwa…