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23 février 2011

Psychothérapie et entreprise : sortir de la souffrance au travail Emmanuel Renault

Emmanuel Renault

L’exaltation de la performance individuelle et l’évaluation incessante s’accompagnent d’une baisse de la productivité. Une meilleure coopération dans l’entreprise permet d’échapper à un stress qui mène parfois au suicide.


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Le chapeau même de l’article proposé mériterait analyse. Comme MAM proposant à Ben Ali l’assistance et le coaching de ses services de police « intelligents » et plus « humains » pour l’aider à passer de la dictature à la démocrature, la question est-elle de maintenir un système détestable, intrinsèquement pervers comme Pie XII le disait du communisme, par une meilleure coopération avec la perversion, ou de porter le fer au cœur même d’un empire du mal en pire qui nous conduit à l’abîme ? lire à ce sujet notre présentation du dernier ouvrage d’Edgar Morin. Nous avons la responsabilité professionnelle et politique, citoyenne pour tout dire, de continuer de réfléchir à tout cela. Ce qui signifie que la psychothérapie relationnelle ne saurait être ni partisane, ça n’est pas notre office, ni politiquement déconnectée. Toute une posture, on appellerait ça éthique.

le modèle social néolibéral en question

Ils arrivent dans nos cabinets et ne s’en prennent qu’à eux. La question n’est d’ailleurs pas de retourner l’accusation à la Reich ou Rousseau – paranothérapie ! le mal ne vient pas non plus uniquement de l’extérieur. Nous n’avons rien à faire de spécifique pour permettre aux gens de finir par se repérer dans ce monde complexe qui les fait souffrir, d’y comprendre quelque chose et de s’y comprendre. Nous avons à les recevoir comme ils nous arrivent et à les aider dans leur entreprise de clarification d’eux-mêmes et de le devenir, eux-mêmes.

Cela ne nous empêche pas d’avoir réfléchi nous à la dureté de ce monde que nous partageons avec eux, et de disposer d’une intelligence critique et sensible de la nature de la souffrance qui les oppresse. Voir à de sujet l’intervention de Vincent de Gaulejac au colloque de l’Affop sur le thème Sauvons la pratique, intitulé psychothérapie et sociologie : j’ai compris que c’était pas tout dans ma tête.

Philippe Grauer


Échapper au métro, boulot, tombeau

Article paru dans le Monde du 22.02.11

Sortir de la souffrance au travail

L’ÉMERGENCE du néolibéralisme s’est accompagnée d’un processus d’invisibilisation du travail. Au cours des années 1980 et 1990, le travail a perdu son rôle de symbole de la question sociale, le chômage et l’exclusion l’ont remplacé. La question des conditions de travail a été délaissée par les partis politiques et les syndicats au profit de celle de l’emploi. La manière dont le passage aux 35 heures a été négocié par la gauche plurielle aussi bien que le discours sur la valeur du travail à droite s’inscrivent de façon caricaturale dans ce mouvement.

Depuis quelques années, une dynamique inverse semble être enclenchée. Le mouvement contre le contrat première embauche (2006) a constitué une première étape. La précarité n’y était plus contestée du point de vue de ses effets sur l’emploi mais sur le travail lui-même. Dans un contexte de précarité accrue, il apparaissait crucial de contenir doublement les rapports de domination inscrits dans la relation de subordination salariale : en amont par le code du travail, et en aval par des collectifs de travail.

Reconquête politique

La seconde étape de cette nouvelle critique du travail a été le débat sur la souffrance au travail à la suite des séries de suicides chez Renault et France Télécom-Orange. On aurait pu craindre que la médiatisation de ces événements tragiques produisît des effets d’aveuglement plus qu’une véritable sortie du travail de l’invisibilité. Comment rendre compatibles les effets de sidération induits par de tels événements avec une discussion approfondie de la nouvelle question sociale du travail ? Comment passer de la mise en scène spectaculaire d’une série d’actes individuels à une mise en cause générale de la condition contemporaine du travail ?

Si la souffrance au travail affecte profondément un grand nombre de salariés, seuls certains d’entre eux voient leur santé sérieusement affectée, et parmi ces derniers, seule une minorité commet l’irréparable… Mais la préoccupation publique envers ces séries de suicides s’inscrivait bien dans la dynamique d’une prise de conscience progressive des effets structurels du néolibéralisme sur le travail. Ainsi, au-delà de la précarité et de ses conséquences délétères, c’était la manière dont la flexibilité et l’évaluation individualisée des salariés participaient d’un nouveau dispositif d’organisation du travail qui était mise en lumière.

colonisant l’ensemble de l’existence

Le mouvement social de septembre-octobre 2010 contre la « réforme » des retraites marque la troisième étape de cette prise de conscience. Des slogans comme métro, boulot, tombeau, ou l’affirmation paradoxale selon laquelle un allongement de la durée de cotisation « nous priverait de la plus belle partie de la vie, » indiquent que le travail est conçu aujourd’hui comme une expérience difficilement supportable et colonisant l’ensemble de l’existence, y compris après la journée de travail. Ils indiquent que les salariés s’attendent à toujours devoir en faire plus à l’avenir alors que bon nombre d’entre eux sont convaincus d’avoir déjà atteint leurs limites. Malgré cette apparente résignation face aux évolutions lourdes inscrites dans le modèle social néolibéral, les salariés expriment encore un fort attachement au travail (davantage que les salariés des autres pays européens selon les études statistiques) et par l’intermédiaire du mouvement contre les retraites, ils trouvent également l’occasion de protester contre leurs conditions de travail, et d’exiger ainsi une reconquête politique du travail.

Emmanuel Renault