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16 avril 2011

Psychothérapie et psychothérapies Yves Lefebvre

Yves Lefebvre

Par Yves Lefebvre


Yves Lefebvre reprend ici le titre de l’ouvrage de référence de Nicolas Durruz, hélas épuisé, s’attachant à préciser avec sa tranquille limpidité en quoi consiste la psychothérapie relationnelle. On s’appuiera sur notre Carré psy pour mieux situer les protagonistes et champs épistémologiques concernés.

{La question de la différenciation entre pluralisme, pluralité (voire éclectisme), intégrativisme et multiréférentialité méritera une reprise du débat terminologique. Nous y reviendrons.

Philippe Grauer}


La psychothérapie : prendre soin de l’âme

La psychothérapie au sens général du terme veut dire soin de la psyché. Le mot thérapie s’origine dans le soin que des serviteurs donnaient aux statues des dieux grecs en les lavant ou les revêtant pour les cérémonies. Plus tard on appela thérapeutes, d’après Philon d’Alexandrie, des ascètes qui prenaient soin de leur âme et de celle d‘autrui par la méditation. Plus tard encore, en particulier vers le IV° siècle, on continua d’appeler thérapeutes les premiers Pères du désert du christianisme. Ils traitaient les passions de l’âme par l’ascèse, d’abord celle qu’ils s’appliquaient à eux-mêmes, puis celle qu’ils conseillaient à leurs patients. On retrouvera dans la psychanalyse et les psychopratiques relationnelles contemporaines qui s’en inspirent quelque chose de cette ascèse par l’exigence d’un long travail accompli sur soi-même pour acquérir la compétence de psychopraticien et par l’engagement des personnes en psychothérapie, ce qui présente en effet des aspects ascétiques.

Cependant l’idée de thérapie avait aussi de tout temps une connotation médicale, en particulier avec le chamanisme et la sorcellerie qui prenaient soin du corps et de l’esprit pour les guérir, leurs soins s’inscrivant dans les croyances d’une culture et d’une époque. Mais c’est surtout à partir du XIX° siècle que la médecine scientifique s’empara de la chose. Celle-ci veut toujours aujourd’hui s’approprier le terme de thérapie et l’idée de soigner pour s’en assurer le monopole et le limiter aux seuls soins médicaux rationnels c’est-à-dire fondés sur les connaissances scientifiques actuelles concernant la physique, la chimie et la biologie. Elle oublie que ce mot s’applique depuis toujours à toutes sortes d’autres soins qui lui échappent, comme celui que la mère prend de son enfant, l’artiste de son œuvre ou le moine de son âme, et que ces soins-là ont toujours de surcroît des effets sur la santé du corps et de la psyché indépendamment de la médecine.

C’est donc à partir de ses lointaines racines et du sens élargi de son nom que la psychothérapie d’aujourd’hui se décline en toutes sortes de psychothérapies c’est-à-dire de méthodes, techniques et théories – la plus prestigieuse et souvent contestée d’entre elles restant encore de nos jours la psychanalyse.

Dans le vaste champ de la psychothérapie contemporaine on peut fondamentalement distinguer deux grands courants principaux : les psychothérapies objectives et les psychothérapies subjectives.

Les psychothérapies objectives : soigner des troubles mentaux

Les psychothérapies objectives, qu’on pourrait aussi qualifier de médicales, cherchent essentiellement à réduire les symptômes psychiques répertoriés dans la nosographie psychiatrique, considérés en tant que troubles mentaux à traiter, selon le mode de pensée de la médecine qui cherche à éradiquer rationnellement des maladies. Elle utilise pour ce faire des méthodes qui suivent des protocoles reproductibles, avec des effets statistiquement évaluables. Ce sont en particulier les psychothérapies cognitivistes et comportementalistes qui se déroulent selon des protocoles précis, les entretiens et techniques d’expression, de soutien, de recadrage ou de déconditionnement, l’hypnose et tous les soins psychiques visant à contenir ou réduire les symptômes psychopathologiques, ou encore les techniques de rééducation psychologique visant à former ou conditionner les personnes dans le sens de comportements perçus comme non pathologiques selon les critères de la culture dominante et de la science. Ces psychothérapies répondent à des besoins spécifiques dans un esprit scientiste et contribuent à réadapter des personnes perturbées pour qu’elles se réinsèrent dans le fonctionnement de notre société et guérissent de leurs troubles mentaux.

Du point de vue des professions psys, ceux qui pratiquent les psychothérapies médicales sont surtout les médecins psychiatres et les psychologues cliniciens ou leurs nouveaux concurrents les « psychothérapeutes » universitaires récemment créés par décret (et qui sont en réalité des psychopathologues ayant acquis une bonne connaissance de la nosographie psychiatrique, tout comme les psychologues cliniciens), ainsi que quelques personnes ni médecins ni psychologues universitaires, souvent issues de l’entreprise ou du coaching, qui ont appris à pratiquer certaines de ces techniques (PNL, sophrologie, EMDR, etc.) – sauf ceux d’entre eux qui ont suivi une psychanalyse ou une psychothérapie relationnelle et peuvent alors se reconvertir dans l’exercice d’une psychothérapie subjective, qui est un accompagnement d’une tout autre nature.

Les psychothérapies subjectives : prendre soin du sujet

Le second grand courant psychothérapique, les psychothérapies subjectives, ne s’occupent pas directement des symptômes décrits par la psychopathologie médicale. Elles considèrent que l’homme n’est pas seulement neuronal, mais qu’il est aussi fait de mythes, de culture, de fantasmes et de créativité. Elles s’occupent du processus de subjectivation. Elles intègrent la notion d’inconscient. Elles diffèrent fondamentalement de la technicité scientifique parce qu’elles sont d’abord l’exercice d’un art, au sens artisanal du terme, et parfois aussi au sens artistique du terme.

Il s’agit donc essentiellement, dans les psychothérapies subjectives, d’accompagner une personne unique qui souhaite devenir pleinement sujet de sa propre vie par le soin pris sur elle-même par elle-même. Cela devient possible du fait d’une relation spécifique au thérapeute. Le symptôme se reçoit alors comme un langage à entendre, exprimer puis dépasser plutôt qu’un trouble à guérir. Il s’agit bien de permettre à la personne d’advenir à elle-même dans la rencontre de ses propres aspects inconscients qu’un Je commence à penser, en particulier dans la psychanalyse et dans les psychopratiques relationnelles qui s’en inspirent, ou bien qu’il commence à éprouver dans une nouvelle créativité, en particulier dans l’art-thérapie. La guérison des troubles mentaux advient éventuellement de surcroît parce que la personne se remet dans le courant de la vie. Elle perd son identité de victime ou de malade psychique qu’il faudrait rendre socialement normale – ce que certains ont qualifié de normose, maladie dont le symptôme serait le conformisme par perte de créativité personnelle. Au contraire en retrouvant sa créativité, la personne devient alors sujet vivant responsable d’elle-même, au risque de n’être pas obligatoirement « politiquement correcte ».

Les psychothérapies subjectives n’entrent donc pas dans la catégorie des soins médicaux parce qu’elles sont un soin de l’être pris par le sujet lui-même. Cela revient au fameux précepte attribué à Pindare : « Connais-toi toi-même et deviens ce que tu es.(1) »

Psychothérapie relationnelle et psychanalyse

Les psychothérapies de la subjectivation sont essentiellement pratiquées par les psychanalystes et par les psychopraticiens relationnels qui se sont d’abord formés par un long travail de rencontre de soi effectué sur eux-mêmes et par eux-mêmes, suivi d’une formation pratique expérientielle, les aspects théoriques et universitaires s’avérant un complément utile mais pas du tout premier. Certains peuvent venir de la médecine ou de la psychologie, mais d’autres se sont reconvertis après diverses expériences professionnelles, philosophiques, artistiques ou sociales. Tous acquièrent leur légitimité d’abord par le travail de transformation effectué sur eux-mêmes et par une formation pratique impliquante. Ils sont validés par des pairs plutôt que par un diplôme. « L’analyste s’autorise de lui-même… et de quelques autres » dira Lacan, non pas qu’il puisse s’autoriser d’une inflation égotiste ou de sa névrose mais de sa nature profonde, de sa propre forme d’être qu’il a pu rencontrer lors du long travail de subjectivation, qui seul permet d’intégrer l’insu de soi puis d’accompagner d’autres personnes sur ce chemin particulier où l’on devient sujet.

Dans le courant des psychothérapies subjectives, les psychothérapies relationnelles se distinguent de la psychanalyse par la créativité de leurs méthodes et la variété de leurs outils, même si elles se réfèrent très souvent aux fondamentaux théoriques de la psychanalyse et poursuivent le même but, à savoir le processus de subjectivation. On y trouve donc une très grande diversité de pratiques, toutes fondées sur la relation comme principal axe thérapeutique : relation au psychopraticien, relation à l’œuvre accomplie dans les séances, relation à soi-même, débouchant sur une modification de la relation à autrui dans la vie concrète.

La tendance actuelle des psychopraticiens relationnels est le plus souvent plurielle (et non pluraliste – parenthèse de PHG) dans les méthodes et intégrative(2) dans les théories qui les sous-tendent, pouvant intégrer des approches corporelles, émotionnelles, analytiques, groupales, artistiques, avec différents médias créatifs utilisés comme outils d’accès à l’inconscient.

S’enrichir de la rencontre des diverses approches

Les différentes approches des psychothérapies sont toutes intéressantes, mais on ne peut pas tout mélanger ni tout confondre. On ne peut pas non plus hiérarchiser les approches, même si certains nous disent que la seule pensée scientifique donc sérieuse et efficace est l’approche médicale, toutes les autres relevant soit du charlatanisme soit d’une technique annexe qui permet d’occuper les malades ou, au mieux, de faciliter leur expression ; ou à l’inverse même si d’autres disent que seule compte la rencontre de l’inconscient et que les approches scientifiques et médicales se fourvoient. Dans les deux cas il s’agit d’une pensée réductrice qui appauvrit la recherche et rétrécit le vaste champ de la psychothérapie où chacun peut développer sa juste spécificité et où des rencontres fructueuses peuvent enrichir la pensée et les pratiques. C’est le cas par exemple de certains pédopsychiatres cognitivistes qui travaillent avec des psychanalystes à la suite de Winnicott, pour étudier la constitution précoce du sujet à travers le geste spontané, comme quand l’enfant prend et jette un objet, constatant que ceux qui n’ont pas cette opportunité construisent plus difficilement leur propre subjectivité. La recherche peut en effet s’enrichir de la rencontre d’approches qui paraissaient antinomiques.

Cette tentative de classement des psychothérapies est donc utile pour positionner chaque méthode dans un ensemble plus vaste et clarifier un domaine souvent confus dans l’esprit des personnes concernées, mais elle doit aussi tenir compte des pratiques mixtes, de l’approche multiréférentielle et des ponts qui se construisent de plus en plus entre le courant objectiviste et le courant subjectiviste, et à l’intérieur de chaque courant entre les différentes méthodes de psychothérapie.