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13 juillet 2011

Psys: sauveurs ou imposteurs ? Aujourd’hui, chacun cherche son psy. Vincent Olivier dans l’Express

Cottereau.


Vincent Olivier dans l’Express

Par Vincent Olivier

Freud pas mort ! 1 Français sur 10 a suivi une psychothérapie, le plus souvent, il est vrai, hors du divan. Techniques comportementales, humanistes, séances de groupe, voire virtuelles… La gamme ne cesse de s’élargir. Elle gagne même l’entreprise. Enquête sur ce grand remue-méninges.

Elle s’en amuse, comme d’une bonne blague qu’elle se ferait à elle-même, pas vraiment dupe: « En ce moment, je suis en plein transfert amoureux avec mon psy. Sans doute parce que l’on va se quitter à la fin du mois et qu’on fonctionne comme un vieux couple. Quand je l’ai rencontré, c’était une question de vie ou de mort, je sabotais tout ce que j’entreprenais – ma vie personnelle, affective, professionnelle. Depuis, il m’a remise sur les rails. L’essentiel est déchiffré. Aujourd’hui, j’ai envie d’autre chose. A la rentrée je passe au divan… Et ça me fait fantasmer à mort ! » lance en éclatant de rire Sandrine, 43 ans, une brune resplendissante, loin de la névrosée caricaturale et mal dans sa peau.

Ce monde, longtemps réservé aux névrosés, s’est ouvert

Max, lui, a attendu cinquante et un ans pour entrer dans le cabinet d’un psy. Un peu « pour voir », un peu pour « aborder des questions personnelles« . Et voilà qu’à l’idée de voir cette expérience s’interrompre la semaine prochaine il se sent « bizarre, presque angoissé. Moi qui jusque-là étais resté pudique sur ces questions, j’en parle à mon entourage, je me lâche. Je n’aurais jamais cru qu’une psychothérapie me ferait cet effet-là. Pour un peu, je finirais par regretter ma décision d’arrêter« . Près de quatorze ans pour l’une, seize mois pour l’autre et, pourtant, le plus déstabilisé n’est pas celui qu’on croit…

Psychologue, psychiatre… qui fait quoi?

Comme Sandrine, comme Max, plus de 5 millions de Français ont déjà poussé la porte d’un thérapeute, par curiosité ou par nécessité, sur les conseils d’un médecin ou d’un ami. Après avoir été longtemps réservé aux grands névrosés, puis aux intellos qui en avaient les moyens, ce monde s’est ouvert: souffrance réelle ou sentiment de malaise diffus, thérapies par la parole ou par le corps, expériences New Age ou analyse pure et dure, aujourd’hui, chacun cherche son psy. Et le trouve sans difficulté, tant l’offre s’est étoffée, avec des professionnels attelés à des techniques nouvelles qu’ils croisent pour mieux s’ajuster à leur patient.

Dans nos conversations courantes aussi, les psys se sont immiscés. On « fait son deuil » à la mort de Théodule, le poisson rouge. Les gamins se traitent de « mytho » dans les cours de récré. « T’es parano » n’est plus une insulte et « Je suis schizo », même pas un aveu de difficulté. On dit « acte manqué », « lapsus » ou « projection » pour tout et n’importe quoi. À la moindre question de société, il y a toujours un « psy vedette » (Marcel Rufo, Boris Cyrulnik, Serge Hefez) pour s’exprimer. Avec de vrais succès de librairie à la clef : chacun des livres de Christophe André se vend ainsi entre 35 000 et 90 000 exemplaires.

Les souvenirs oubliés ne sont pas perdus

Mais qui sont-ils, ces Français – 9,5% de la population, selon une enquête de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) – à « avoir déjà suivi une psychothérapie« ? Dans un ouvrage collectif, Psychothérapie et société (Armand Colin), deux chercheurs, Xavier Briffault et Béatrice Lamboy, tentent d’en dresser un portrait type: une femme, de 35 à 44 ans, cadre et habitant en région parisienne. Mais on trouve aussi des ouvriers et des plus de 65 ans. Les raisons invoquées pour engager une thérapie tournent autour de quatre grands thèmes, qui vont déterminer, pour une part, le mode de prise en charge : la dépression, les « événements de vie » (deuil, rupture, difficultés professionnelles), un sentiment de mal-être et, enfin, un désir de mieux se connaître. Les séances se déroulent en général une fois par semaine et prennent fin moins d’un an plus tard (60%), même si, dans 15% des cas, elles se prolongent au-delà de trois ans. Enfin, pour 58% des personnes interrogées par l’Inpes, leurs problèmes « ont diminué » après une thérapie. Et ils ont même « disparu » pour 26% d’entre eux. Un bilan plutôt positif, donc.

La guerre des écoles et les querelles de clocher font rage

Le type de prise en charge est très varié : psychothérapie d’inspiration psychanalytique pour le plus grand nombre (30%), devant les thérapies humaniste, cognitivo-comportementale (TCC) ou interpersonnelle à égalité, avec 15% environ. Sans oublier les consultations sur Internet, autorisées en France depuis octobre 2010, ainsi que les thérapies virtuelles, par visio-casque ou en 3D sur écran. Ajoutons que 20% « ne savent pas » et que 30% en ont suivi plusieurs. Comme Arthur, qui, à 37 ans, a expérimenté quatre approches différentes et a successivement « détesté [s]es parents, puis moins, éprouvé la nostalgie de l’enfance, puis plus du tout. Aucune thérapie n’a ressemblé à la précédente« , constate ce cadre célibataire au visage juvénile.

Difficile, donc, pour le néophyte, de s’y retrouver. D’autant que chacun le vit à sa façon – Claire a ressenti dès la troisième séance « une révélation brutale« , quand Sylvie, qui espérait « trouver la lumière », a découvert à l’inverse « un travail très progressif« . D’autant, surtout, qu’en la matière la guerre des écoles et les querelles de clocher font rage. « La psychanalyse repose toujours sur les mêmes bases qu’il y a un siècle« , accuse Jean Cottraux, psychiatre et fervent défenseur des TCC, auteur de Choisir une psychothérapie efficace (Odile Jacob).

Le Pr Jean Cottraux répond à vos questions ce mercredi à partir de 11h. Pis, ajoute-t-il, Freud aurait « inventé » des cas d’hystérie. En d’autres termes, « Sigmund fraude », selon sa jolie formule. Réponse de Jacques André (rien à voir avec son homonyme Christophe André), un des héritiers de la pensée freudienne: « Le combat contre la psychanalyse remonte à la psychanalyse; cent vingt ans plus tard, sa pérennité parle pour elle, loin de l’impérialisme des TCC et du caractère lénifiant des théories de développement personnel. » 1 point partout, balle au centre.

De fait, l’analyse a beau ne plus être le passage obligé d’une thérapie, elle n’en continue pas moins à cristalliser tous les fantasmes. Dans l’esprit du grand public, la pratique du divan reste en effet mystérieuse, souvent incompréhensible, toujours interminable. À entendre ceux qui s’y adonnent, la réalité est tout autre. Le simple fait de s’allonger et de ne pas avoir de vis-à-vis favorise l’émergence de l’inconscient, qui va s’exprimer dans la bouche du patient. « Des images sont revenues à la surface, des peurs archaïques aussi, témoigne Arthur. J’ai pu remonter ma propre histoire. »

« Aider le patient à s’accepter tel qu’il est »

Une séance constituant une répétition de ce qui s’est joué pendant l’enfance, « mieux vaut ne pas être trop fragile sur le plan psychique« , rappelle Sophie Benoit-Lamy, psychiatre, psychanalyste, et qui reçoit, à 45 ans, des patients de tous âges, « y compris avant 30 ans« . La demande doit émaner du patient et non être le fruit d’une pression de l’entourage: « S’engager à dire ce qu’on ne sait pas soi-même représente, en soi, une aventure personnelle, complète Jacques André. C’est une affaire de temps. De temps long, surtout. En ce sens, l’analyse s’oppose à ce que j’appellerais le présentisme de notre époque. »

La psychanalyse est un remède contre l’ignorance. Elle est sans effet sur la connerie

On conçoit dès lors que, par leur côté pragmatique et leur durée relativement brève, les TCC aient pu séduire une large clientèle. Venues des États-Unis dans les années 1950 pour leur volet comportemental, et dans les années 1970 pour leur approche cognitiviste, les TCC affichent en effet clairement la couleur: vous avez un problème d’agoraphobie, de boulimie ou de trouble panique? C’est cela, et cela seul, que l’on va traiter. Pas besoin de raconter sa vie! Mieux encore, ces démarches se réclament d’une approche objective, scientifique, « évaluable », souligne Jean Cottraux. En 2004, un rapport de l’Inserm concluait ainsi à la supériorité des comportementalistes – à 15 contre 1 selon les symptômes – sur les psychanalystes, ces derniers s’étranglant à l’idée que l’on pût même envisager de quantifier une amélioration psychique. L’empoignade fut mémorable, réalimentée récemment par Michel Onfray avec son brûlot sur Freud, Le Crépuscule d’une idole (Grasset). Mais, en réalité, la guerre ne se déroule déjà plus entre deux camps. Le champ de bataille s’est élargi : on jongle maintenant entre développement personnel, travail en groupe, psychologie positive, MBCT…

Formée en psychiatrie, passée par les services fermés en hôpital réservés aux psychotiques, Yasmine Lienard pratique justement la MBCT, ou « thérapie de pleine conscience« , qui s’appuie sur la méditation, le travail sur la respiration et les émotions corporelles. « Dans les TCC, on a d’abord cherché à rectifier le comportement des patients; puis, dans un deuxième temps, à modifier le contenu de leurs pensées. Désormais, il s’agit de l’aider à s’accepter tel qu’il est, avec ses peurs et ses angoisses. L’idée, révolutionnaire dans notre société qui a du mal avec les émotions, c’est que nous sommes tous égaux face à la fragilité« , explique cette jeune femme de 35 ans, auteure de Pour une sagesse moderne (Ed. Odile Jacob), et qui a mis en œuvre la MBCT à l’hôpital Cochin et à Sainte-Anne à Paris, avec succès, notamment dans la prévention des rechutes de dépression.

Et c’est bien là que réside la nouveauté: de plus en plus de professionnels puisent aujourd’hui dans l’arsenal thérapeutique existant sans nécessairement se référer à une école donnée. A l’approche dogmatique, ils préfèrent le syncrétisme des techniques. On peut ainsi, comme Yasmine, pratiquer la MBCT sans abandonner ce qui fait aussi le champ de la psychanalyse. Quitte à égratigner, au passage, les TCC, qui s’intéressent plus au symptôme qu’à la personne elle-même. Poussé dans ses retranchements, Jean Cottraux reconnaît lui aussi de nombreux « ponts » entre Freud et les TCC : les processus inconscients, l’alliance thérapeutique, l’importance de la mémoire, du traumatisme. « Mais la formulation est différente. Le dispositif aussi« , nuance-t-il.

Tout se joue dans la rencontre entre deux personnes

Ah, le « dispositif« ! Le premier d’entre eux est le divan, bien sûr, utilisé uniquement en psychanalyse. L’argent en est un autre, qu’il soit donné en liquide ou par chèque, à chaque séance ou tous les mois. Sandrine se souvient du jour où elle rédigea un chèque, en inscrivant en chiffres « 200 francs » et en lettres… « deux francs ». Un bel exemple d' »acte manqué« . Il y a aussi la salle d’attente, les tableaux aux murs, les livres exposés, la durée du rendez-vous, la distance physique entre le thérapeute et son patient, le fait de se serrer – ou pas – la main.

Encore ne s’agit-il là que d’éléments simples, car tout « fait sens » en la matière. Jeanne est tombée aphone juste avant son premier entretien. Olivier a « oublié » ce qui devait être sa dernière séance. En thérapie de couple, Frédérique et Frédéric ont « joué » à changer de siège à chaque fois pendant deux mois, avant de se choisir enfin une place. Et ce qui est vrai pour deux l’est plus encore en thérapie familiale ou en thérapie de groupe. Y compris dans le monde du travail, où chacun se situe dans l’espace, bon gré mal gré, par rapport aux autres. C’est ainsi : tout dispositif est opérant en soi. Que l’on se rende chez le psy trois fois par semaine ou une fois tous les deux mois. Que l’on « révise » avant son rendez-vous, comme Max qui, la veille au soir, réfléchissait systématiquement à ce qu’il allait dire. Ou que l’on s’y rende « les mains dans les poches« , comme Arthur.

Le contraire de l’amour, ce n’est pas la haine, c’est le pouvoir

Dès lors, tout se joue dans le « savoir-faire » du psy et dans la rencontre entre deux personnes, dans le rapport singulier qu’elles entretiennent, le temps d’une séance. C’est dire l’importance du « cadre » établi lors des premiers contacts et la nécessité, pour le patient, de le respecter scrupuleusement. Pour le psy aussi. Hélas, dans les faits, parfois… Que dire de ce « professionnel » qui reçoit individuellement un frère et une sœur, pourtant en conflit ouvert ? De celui qui demande à son patient de venir à 5 heures du matin, sous prétexte d’un agenda surchargé ? De cet autre qui avait deux cabinets, l’un à Paris et l’autre à Rennes, et alternait les rendez-vous au gré de ses disponibilités ? Quant à Gérard, il s’est, lui, senti « dupé, presque trahi« : au début de sa thérapie, il avait remis son journal personnel à son psy, dans des conditions floues qu’il a oubliées depuis. Mais il se souvient parfaitement que, le jour où il a voulu arrêter, ce dernier lui a rétorqué: « Si vous lâchez, je ne vous rends pas votre journal. » Gérard n’a jamais remis les pieds dans son cabinet. Et y a laissé une partie de lui-même.

De telles dérives demeurent toutefois l’exception. D’ailleurs, lorsqu’on leur demande ce qu’est un « bon » psy, quels que soient leur statut et leur formation, les professionnels interrogés emploient les mêmes mots: attention, empathie, bienveillance, écoute. On pourrait ajouter la capacité à saisir le « bon moment« . Celui où le patient est disponible, prêt à entendre. Y compris des choses désagréables. Y compris que le mot « fin » n’est pas loin. Ce qui n’est jamais simple, même si Jacques André assure qu’il « aime beaucoup quand une analyse se termine, car cela montre un mouvement d’achèvement ».

Pour le patient aussi, la question du « bon moment » est essentielle. Pour entreprendre une thérapie, mais aussi pour la clore. Encore faut-il savoir ce que l’on souhaite. Se changer ou s’accepter soi-même. Comprendre ou ressentir. Aller mieux ou être mieux. En psychothérapie, le travail commence souvent avant la première séance. Et se poursuit après la dernière.