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4 septembre 2010

Que philosopher c’est apprendre à mourir à soi Bernard Ginisty

Bernard Ginisty

Art de vivre. La psychothérapie relationnelle peut y conduire, à chacun la responsabilité de s’en trouver un bien à soi, d’une singularité qui n’ôte pas au contexte ses mérites, nous inventons peu, nous reprenons et aménageons, incarnant la plupart du temps notre époque à notre insu. Le philosophe et le religieux permettent à certains de tenir. Leur vie dans le cadre de contraintes parfois bien contraignantes. Faire de sa contrainte l’outil de sa libération voilà le paradoxe pas forcément à la portée de tous, il reste aux autres l’admiration ou la modélisation plus ou moins lointaine. Il reste aux autres la réflexion. Et aux praticiens en psychothérapie relationnelle une petite pointe de méditation distanciée.

Où l’on distigue que notre discipline évite l’idéologisation et ne propose aucun modèle. C’est ainsi que nous vous répercutons ce billet que nous adresse une collègue chère.

Bonjour,

Alexandre JOLLIEN vient de nous donner un nouveau livre où il partage son combat pour un art de vivre qui, à ses yeux, justifie toute quête philosophique (1). Après avoir vécu 17 ans dans une institution spécialisée pour personnes handicapées physiques, suite à un grave accident lors de sa naissance, Alexandre Jollien poursuit une œuvre qu’il appelle lui-même son « métier d’homme ». « Elle gravite, écrit-il, autour de trois vocations : celle de père de famille, celle d’écrivain et la dernière, celle à côté de laquelle je serais bien volontiers passé : la vocation de personne handicapée ». Ce mot de vocation est pour lui important : « Je préfère parler de vocation plutôt que de sens de la vie car elle m’installe dans le présent alors que le sens vient toujours après, semble-t-il » (2). Et il poursuit « Mourir à soi par les vocations constitue à mes yeux la voie royale ! Je souhaite accomplir impeccablement la tâche que m’assigne la vie ! (…) Embrasser une vocation réclame une reddition venue de l’intime. Jamais on ne dictera à quiconque d’épouser la réalité. Tristes sont les mariages forcés » (3)

Cet authentique philosophe nous fait partager, au quotidien, son travail intellectuel et spirituel aux prises avec ce que le philosophe Emmanuel Kant appelle « les trois manies : la manie de l’honneur, celle de la possession et la manie de la domination ».Avec un grande lucidité, il débusque les pièges de la possession jusque dans la recherche du dépouillement : « À côté de mon rêve de normalité, je débusque un autre désir, tout aussi violent : mon désir de dépouillement a déjà fait déborder quelques rayons de ma bibliothèque ! Confondant paradoxe. A quoi bon chercher dans l’avoir ce qui ne s’obtient que dans la pratique et l’abandon ? » (4).

Jollien découvre qu’il convient d’oublier la quête d’un idéal qui, « trop exigeant, m’épuise et me tue » pour faire de la joie un guide, un moteur sur les chemins de l’existence. « Retenir que la joie n’advient pas qu’au bout du chemin. Elle est l’unique bagage que je me dois d’emporter. Souvent je sacrifie le plaisir de cheminer pour ne considérer qu’une idéale et trop lointaine destination : « quand j’aurai accompli cela, je serai heureux ! » (…) Comment savourer la joie dans le présent ? Comment cesser de vivre toujours à un stade préparatoire ? » (5).

Dans la pratique du Zen, il trouve un chemin vers cette libération. « Je pourrais, écrit-il, continuer à aligner les pages et faire mille théories sur l’art de vivre : tant que je m’accrocherai à ce que je suis et à ce que je possède, je n’irai pas loin ! tant que ne m’ouvrirai pas au présent, tout ce que j’accomplis ne sert de rien ! » (6).

Alexandre Jollien ne sépare pas sa réflexion philosophique, ses exercices spirituels et sa foi. « Se blinder contre l’existence, voilà la tare invétérée ! La vie me donne sans cesse des maîtres et des guides. L’humour et le rire de ma famille m’ont révélé que le goût de l’existence peut triompher de la souffrance : le père Morand m’a convié à me tourner vers l’intériorité plutôt qu’à chercher au-dehors les motifs de ma joie ; l’enthousiasme de mes enfants, tous les jours, m’enseigne à désapprendre mes peurs et à oser tant bien que mal un tout petit peu d’amour de soi… »

Et ce philosophe qui affronte au quotidien les regards apitoyés ou amusés que provoque sont handicap conclut : « je note que le rire me réconcilie avec l’existence, qu’il me met en paix, qu’il fait la paix. Il atteste une réconciliation avec nos limites, il incarne la douceur, la tendresse. Il exige une sincérité, une franchise, une transparence et, dans le même temps, un petit recul envers le personnage que bien des fois nous jouons. Rire conduit à un généreux détachement » (7).

(Chronique hebdomadaire de Bernard Ginisty diffusée sur RCF Saône & Loire le 04/09/2010)


(1) JOLLIEN Alexandre . Le philosophe nu. Éditions du Seuil 2010, 200 p., 15 euros.-

Site Internet d’Alexandre Jollien: www.alexandre-jollien.ch
(2) page 73
(3) page 188
(4) page 101
(5) page 33
(6) page 144
(7) page 176