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27 mai 2010

Quelques éléments d’histoire pour resituer le Décret dans son contexte Philippe Grauer

Philippe Grauer

Document

Nous avons remanié ici la première partie du document adressé au Conseil d’État à titre d’observations par le SNPPsy et l’Affop en janvier 2010. Nous mettons ce fragment en ligne afin de fournir l’information historique, sociologique et idéologique nécessaire à qui chercherait à mieux contextualiser l’arrivée du décret d’application de l’article 52 de la loi dite Accoyer.

Vu l’étendue du remaniement que nous avons opéré mieux vaut considérer ce texte, encore incomplet, comme re-signé Grauer.


I. SUR L’INTÉRÊT À INTERVENIR DE L’AFFOP — Association fédérative française des organismes de psychothérapie et psychanalyse ET DU SNPPsy — Syndicat national des praticiens en psychothérapie et psychanalyse.

1981 le SNPPsy …

Le SNPPsy, créé en 1981 pour regrouper et les professionnels et donner des garanties au public, encadre la profession de psychothérapeute à partir des cinq critères suivants :

… et ses Cinq critères

– avoir suivi un travail psychothérapique personnel suffisant (psychanalyse ou psychothérapie) pour un professionnel
– avoir reçu une formation de haut niveau spécifique en psychothérapie
– être supervisé pendant toute la durée de la vie professionnelle
– adhérer à un code de déontologie spécifique de la profession
– avoir été reconnu par des pairs qualifiés

Pluralisme

Inspiré et nourri par les principes fondateurs de la psychanalyse, il intègre dans ses statuts la pluralité des psychothérapies et créé, sur la base de ces cinq critères, un processus rigoureux de titularisation des professionnels d’une part, d’agrément des organismes de formation d’autre part.

À noter : ne pas confondre le pluralisme du SNPPsy, qui réunit des praticiens de méthodes et disciplines différentes, et la multiréférentialité, qui désigne l’art dans sa pratique d’un professionnel d’articuler, en dépit du fait que les théories soient plus ou moins incompatibles, plusieurs méthodes et disciplines.

Amorce d’une réglementation nationale

Il amorce ainsi dès sa création, en se dotant d’un code de déontologie, d’un cadre de titularisation des praticiens, puis d’un cadre d’agrément des Écoles, le processus d’une réglementation nationale. Nourrie de contacts réguliers et de concertation avec les pouvoirs publics : dialogue avec le ministère de la Santé, avec les services du Premier Ministre de lutte contre les sectes, initiative d’un processus AFNOR de normation de la fonction professionnelle libérale en matière de psychothérapie humaniste et relationnelle.

Réplique au premier amendement Accoyer : la proposition de loi Marchand

Enfin, à partir de sa réponse au premier amendement Accoyer (1999) avec la proposition de loi MARCHAND, le SNPPsy (1)alimente la réflexion publique en organisant un colloque au sein même de l’Assemblée nationale, intervient régulièrement par la suite comme partenaire responsable du débat sur la psychothérapie.

1999 création de l’Affop

L’AFFOP, créée en 1999 dans le même esprit et sur le fondement des mêmes critères, réunit une fédération d’organismes. Elle en regroupe actuellement 23 (dont le SNPPsy), écoles, organismes de pratique professionnelle, syndicat, sociétés savantes.


Avant d’aborder la question proprement dite du décret (III), l’AFFOP et le SNPPsy estiment important d’apporter à la Haute Assemblée, pour lui permettre de mieux en appréhender les enjeux, des informations sur la genèse et l’épistémologie de la psychothérapie et des psychothérapies qui expliquent la situation concrète actuelle et sur les différentes pratiques co-existant avant l’article 52 modifié de la loi 2004-806 du 9 août 2004 (II).

II. LA PSYCHOTHÉRAPIE , LES PSYCHOTHÉRAPIES , LES PSYCHOTHÉRAPEUTES : GENÈSE ET ÉPISTÉMOLOGIE

Deux familles

• Le terme psychothérapie recouvre des théories et des méthodes fort éloignées par leurs référentiels théoriques et conceptuels. Parler de psychothérapie sans davantage préciser c’est employer un terme générique qui renvoie à des formes, des espaces épistémologiques, des axiologies contradictoires, ayant pour seul facteur commun de proposer de l’aide à des personnes en difficulté et souffrance qui cherchent un recours auprès d’un professionnel du psychisme. Ce groupe de pratiques comporte des familles psychothérapiques, issues d’une évolution des connaissances et des pratiques, qu’une analyse épistémologique permet de classer en deux groupes :

Prescriptives

– les psychothérapie prescriptives issues d’un savoir construit sur le modèle des sciences de la nature par la méthode expérimentale : psychologie expérimentale, neuropsychiatrie, thérapies comportementales et cognitives, thérapie systémique. Elles utilisent des protocoles que les praticiens appliquent sans avoir besoin d’une expérience psychothérapique personnelle. La formation se fait par enseignement théoriques et stages.

Relationnelles

– Les psychothérapies relationnelles, issues d’un savoir implicatif développé par la psychologie humaniste américaine. Celle-ci s’est, constituée en réaction à l’inadaptation de l’application à la psyché humaine de la méthode expérimentale et comportementaliste (aujourd’hui cognitiviste), s’inspirant des sciences dites dures, et à une psychanalyse nord-américaine devenue médicale organiciste et normative. Face aux bornes du comportemental et du médical, elle s’est dressée en Troisième voie sur la base d’une protestation humaniste inspirée de Sartre. C’est de sa protestation psychologique et citoyenne qu’hérite la psychothérapie relationnelle.

La relation motrice du changement

Ce groupe de psychothérapies se fonde sur la méthode expérientielle. On peut y ranger aux côtés de la psychanalyse (2), les psychothérapies post-freudiennes et existentielles (3). La relation psychothérapeute-patient y fonctionne comme motrice du changement. Les praticiens de cette classe de psychothérapies doivent avoir effectué un travail psychothérapique personnel important et réussi, préalablement puis concurremment à l’acquisition des connaissances théoriques et à l’engagement dans la formation pratique.

Deux courants : un rénovateur, un novateur

Au cours de la seconde moitié du XXème siècle les théories et les méthodes humanistes relationnelles (psychanalyse et psychothérapies) ont pris une grande ampleur dans les pays démocratiques, l’émergence du patient – sujet allant de pair avec le processus démocratique. Durant cette période dans le domaine du psychisme à fort degré d’implication du praticien, psychanalyse et psychothérapie relationnelle, la France fut le terrain de deux rénovations capitales.

1) Avec Jacques Lacan la psychanalyse française connut un essor et renouveau spectaculaire, s’intégrant l’héritage du surréalisme, de la philosophie hégelienne, du structuralisme et d’un « retour à Freud » original et créatif.

2) Avec la pénétration de la psychologie humaniste, européanisée au passage sous le jeu de l’influence du renouveau psychanalytique, apparut un mouvement psychothérapique profondément innovant qui allait devenir la psychothérapie relationnelle. Son éventail méthodologique et théorique, toujours fondé sur le ressort de la relation (interaction des protagonistes engagés dans le processus) relevait de trois axes scientifiques, référés respectivement

a) au groupe (théorie du champ, groupe de Rencontre, non directivité) ;

b) aux méthodes post-freudiennes issues des travaux de dissidents européens de la psychanalyse ayant principalement émigré aux États-Unis (4) ;

c) au corps et au mouvement, ainsi qu’au travail émotionnel.

Formation au sein d’Écoles privées

Les psychothérapeutes en recherche dans le champ (2) ont reçu leur formation au sein d’écoles privées et sociétés savantes, d’abord aux États-Unis et en Grande Bretagne, puis en Europe où elles se sont développées à partir des années 70.

La diversité et la multiplicité des concepts et des méthodes de l’École relationnelle témoignent de la richesse et de la créativité de leur recherche sur la complexité de la psyché humaine et sont vécues par les patients, confrontés aux limites en matière de changement des thérapies médicamenteuses, comme une garantie, alternative ou heureux complément.

Proclamation d’indépendance de la psychothérapie [relationnelle]

• L’échec de l’intégration de la psychothérapie relationnelle alors dite humaniste, à la profession de psychologue à la suite du rejet des psychothérapeutes non diplômés en psychologie par les Commissions d’homologation créées par le décret n° 90-259 du 22 mars 1990 portant application de la loi n° 85-772 du 25 juillet1985 créant le titre de psychologue, a abouti à la proclamation, à côté des trois autres professions (psychologues, psychiatres, psychanalystes), de la spécificité d’une profession de psychothérapeute alors émergeante, demeurée fille de la psychanalyse tant sur le plan épistémologique et son organisation, que par son fonctionnement, ses règles éthiques et déontologiques.

C’est à partir de cela que les termes psychothérapeute et psychothérapie ont acquis deux sens distincts :

– un sens générique utilisé par les quatre professions (psychiatre, psychologue clinicien, psychanalyste, psychothérapeute), se le disputant de façon corporatiste ;

– un sens spécifique correspondant à une pratique professionnelle particulière, impliquée dans le transfert (erreur sur la personne dans une relation forte) qui distingue et caractérise les psychothérapeutes relationnels des trois autres professions. Dès 1996 le SNPPsy dégagera le concept de psychothérapie relationnelle pour désigner la nouvelle discipline et profession, et cessera de revendiquer pour elle seule la souveraineté épistémologique et scientifique sur l’ensemble du champ psychothérapique. C’est à ce moment que se dégagera corrélativement le concept de Carré psy, articulant la pluralité et complexité du champ psy.

Reconversion

Une dernière spécificité se fera jour alors. Les Écoles de formation à la psychothérapie relationnelle forment majoritairement des personnes issues d’une cheminement psychothérapique relationnel ou psychanalytique, âgées en moyenne de quarante ans, se destinant à la nouvelle profession par reconversion. Le caractère particulier de cette situation ne sera jamais clairement pris en compte par le législateur, préoccupé uniquement de la formation de la classe d’âge universitaire.

Carré psy

Les quatre professions pratiquent des psychothérapies, soit de manière uni-méthodique, soit en combinant des méthodes issues des deux grandes familles prescriptive et relationnelle. On comprend mieux au terme de cet exposé l’articulation épistémique et méthodologique de ces quatre composantes du champ psy en les figurant dans le cadre conceptuel du Carré psy. On y constate que deux familles s’y trouvent regroupées.

– Les psychiatres et les psychologues (cliniciens ou non) reçoivent leur formation théorique dans le cadre de l’Université et leur formation pratique dans des stages. Formation sanctionnée par un diplôme universitaire.

– Les psychothérapeutes relationnels et les psychanalystes reçoivent leur formation théorique en partie dans le cadre universitaire et leur formation pratique dans le cadre d’organismes professionnels, car la nature spécifique de cette formation passe par une implication des personnes en formation. Le cadre universitaire ne permet pas de mettre cela en œuvre. De là vient l’accent mis sur la définition des cinq critères spécifiques qui conditionnent la titularisation syndicale des professionnels et l’agrément des organismes de formation par l’AFFOP ;

Ces critères sont à ce point spécifiques et constitutifs du champ pratique et théorique de ces domaines que les psychiatres et les psychologues recourent d’ailleurs le plus souvent à ces organismes lorsqu’ils souhaitent se former véritablement à la psychothérapie au sens où nous l’entendons.

Enfin la coopération entre les différents professionnels a fonctionné de façon tout à fait positive sur le terrain jusqu’à la période de la mise en œuvre publique des projets de réglementation légale de la psychothérapie, c’est-à-dire jusqu’à l’intervention de l’amendement Accoyer qui allait devenir l’article 52 de la loi du 9 août 2004.

III. SUR LE PROJET DE DÉCRET PORTANT APPLICATION DE L’ARTICLE 52 MODIFIE DE LA LOI 2004- 806 DU 9 AOUT 2004.

III-1 GENÈSE DE L’ARTICLE 52

À l’origine de l’article 52, un amendement dit Accoyer, le deuxième de la série, voté par l’Assemblée nationale le 8 octobre 2003 par surprise et sans concertation préalable avec les professionnels concernés. Il réservait le monopole du titre de psychothérapeute aux deux professions à diplôme (médecin et psychologue), invoquant les risques sectaires, la protection des patients Il soupçonnait de ces dérives, sans distinction, l’ensemble des psychothérapeutes non issus de l’Université.

Technoscientisme vs. subjectivation

En réalité une âpre lutte d’influence se livre dans le cadre de la mondialisation entre un projet qui est aussi un projet de société, technoscientiste et comportementaliste, appliqué, soutenu par une psychiatrie retombée dans la neurologie, intégrée à la santé mentale d’une part, et le champ de la dynamique de subjectivation, partagé par la psychanalyse et la psychothérapie relationnelle. Cette entreprise de mondialisation à l’américaine (et canadienne) se trouve relayée par une pseudo science grise, fondée sur la religion du Chiffre, consistant dans une perspective managériale qui n’a rien à voir avec nos sciences humaines, à évaluer à tort et à travers hommes, écrits et pratiques, comme s’il pouvait s’agir de sciences physiques. Un tel maniement de la statistique épidémiologique à des réalités pour elle incommensurables aboutit à leur dénaturation et mise hors circuit.

C’est dans un tel cadre que la médecine depuis longtemps nourrissait le projet de s’emparer de la psychothérapie comme ensemble générique, et de se l’annexer comme profession paramédicale. Aidée en ceci par la psychologie dite « scientifique », désireuse d’en finir avec l’influence de la psychanalyse datant du temps de « l’unité de la psychologie » du dr Daniel Lagache, psychanalyse rénovée et montée en puissance avec le lacanisme. L’affaire politisée au grand jour fit grand bruit, alors qu’était prévue initialement une mainmise en douceur par le biais des rapports de l’Académie de médecine (Rapport Piel-Rolland). Il faut savoir que le corporatisme est très fort dans l’univers psy, il serait intéressant de déterminer pourquoi.

Bien entendu les phénomènes sectaires et d’incompétence imputés aux psychothérapeutes relationnels pour justifier de leur traitement discriminatoire, étaient en réalité fort limités et, en tout cas pas plus nombreux que ceux impliquant les autres professionnels à diplôme étatique et à statut.

Forte mobilisation

Cette méconnaissance, à laquelle un Groupe de contact de psychanalystes éminents, espérant un régime de faveur au détriment de leurs collègues désignés comme porteurs publics d’un supposé scandale de charlatanerie, cette méconnaissance tant de la spécificité de ces psychothérapeutes que de la mise en place par les organisations professionnelles de la psychothérapie relationnelle d’un véritable cadre éthique et déontologique assorti de conditions rigoureuses de formation, a provoqué une forte mobilisation qui a ouvert un intense débat public et législatif. Le mouvement psychanalytique s’impliqua lui-même en dépit de ses conflits historiques internes, par le moyen de la Cause freudienne conduite par Jacques-Alain Miller, allié à l’historienne Élisabeth Roudinesco.

Coordination psy

L’ECF organisa une série retentissante de forums prenant fait et cause pour le soutien d’une psychanalyse insoumise et de la psychothérapie relationnelle. Une Coordination psy alliant l’ensemble des institutions résistant à la confiscation du titre générique de psychothérapeute au détriment de ceux qu’on continuait d’appeler les psychothérapeutes (relationnels) conduisit sous la direction de Jacques-Alain Miller avec la participation de trois institutions historiques de la psychothérapie relationnelle, de 2003 à 2009 le combat politique contre le mauvais sort que l’on destinait à la psychothérapie relationnelle d’abord, à la psychanalyse ensuite quoi qu’on en dise.

Une heureuse alternative

La philosophie, les concepts mêmes de la psychothérapie relationnelle, tout orientée vers l’émergence d’un Sujet en mesure de faire face avec autonomie et responsabilité aux difficultés et aux souffrances de son existence, est vécue par les patients, confrontés à l’inefficacité, dans le changement, des thérapies médicamenteuses, comme une alternative et une garantie que leurs organisations revendiquent.

(à suivre)}