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17 mai 2010

Retour à l’asile — Vol au-dessus d’un nid de coucou comportementaliste Guy Baillon, psychiatre des hôpitaux.

Guy Baillon, psychiatre des hôpitaux.

Paris le 12 mai 2010

Ce qui se passe à l’hôpital psychiatrique nous concerne, car au sein du Carré psy tout se tient. Avec à l’horizon de la santé mentale le retour à l’asile du siècle dernier sinon du XIXème, nous voici appartenir à un système où les soins psys baissent dramatiquement de qualité. Nous autres psychosouciologues (1)de la psychothérapie relationnelle, nous efforçons d’adresser ceux qui ont besoin de la psychiatrie à un moment donné auprès de lieux psychiatriques sains qui n’aggravent pas leurs difficultés. C’est en connaissance de cause que nous nous portons solidaires de la protestation des psychiatres lucides assistant au naufrage de la psychiatrie contemporaine.

Les valeurs humanistes, et la liberté, fondatrices de la psychothérapie relationnelle et de la psychanalyse constituent des « remèdes » de base incomparables. Qu’il ne soit jamais question de céder là-dessus. L’injonction comportementaliste TCC et la cellule d’isolement, sorte de mitard pour malades encombrants — qu’il faut bien soumettre quelque peu c’est bien connu de la misère hospitalière, n’en devraient jamais représenter le paradigme naturel, puis le cadre ordinaire, finalement installé par nécessité et idéologie confondues. Il faut bien admettre que nous sommes loin du compte. Raison de plus pour s’en rendre compte.

« L’association de la compétence relationnelle et du respect des valeurs humaines » que prône Guy Baillon, c’est précisément notre programme et identité. Nous ne pouvons qu’approuver son analyse et nous joindre à l’alarme qu’il sonne.

Philippe Grauer


Regardez les ‘Infiltrés’ sur ‘la 2’ mardi 18 mai à 22:00

Le spectacle qu’offre ici la psychiatrie est terrifiant. « Armez-vous de courage » m’a informé Claude Finkelstein présidente de la FNAPsy (fédération nationale des associations des patients de la psychiatrie), il y a 15 jours aussitôt après avoir participé au débat qui suit le film. L’équipe des Infiltrés a filmé, à la manière d’Albert Londres, la vie quotidienne d’un service de psychiatrie banal. C’est ce service et cet hôpital qui vont mal diront certains. « Absolument pas ! répond Claude Finkelstein, c’est partout comme cela. J’ai été presque partout, j’ai entendu les mêmes propos et je reçois des commentaires des usagers dans le reste de la France qui témoignent de la réalité de ces faits. »

La violence observée là n’est pas une exception qui serait le résultat d’une histoire locale, même si l’on sait que la pénurie des moyens est là extrême, et si nous apprenons que cette équipe est en train de se ressaisir après avoir été abandonnée par son chef de service pendant de nombreuses années (pour preuve sa demande faite il y a 10 ans de transformer 10 chambres sur 40 en cellules d’isolement, anticipant l’abandon dans laquelle il laissait l’équipe). Affirmons « la violence quotidienne montrée dans l’émission survient dans tout espace clos où sont rassemblées des personnes vulnérables, et où l’équipe qui soigne n’est pas assez formée, n’a pas la détermination, soutenue par un effort quotidien de réflexion collective, de s’armer contre les effets de cette vulnérabilité. Les mêmes faits se reproduisent dans de nombreuses maisons de retraite, services pour Alzheimer, internats pour enfants, à chaque fois que le soutien apporté aux professionnels est défaillant ! »

Si nous sommes projetés dans le quotidien de la vie d’un groupe de personnes très vulnérables se montrant en incapacité de s’approprier pour leur bien et leur survie les données simples de la vie quotidienne, notre premier mouvement est de chercher à les protéger ; puis comme leur incapacité se renouvelle constamment notre réaction spontanée est de croire à leur laisser-aller, alors nous commençons à agir à leur place avec de plus en plus d’énergie sans percevoir que notre attitude devient à chaque moment plus sadique ; enfin nous agissons de plus en plus fermement sans comprendre un instant que nous ne laissons plus aucune place à la liberté d’agir de ces personnes démunies, devenues anonymes, interchangeables comme des numéros. Seul un travail de tous les instants redonnant à chacun son identité, son histoire, sa personnalité, pour refonder des capacités d’amour, d’accompagnement de chacun dans sa redécouverte du monde peut le faire sortir du cloaque immonde ou amène toujours l’accumulation des vulnérabilités.

C’est ce spectacle des services asilaires des hôpitaux psychiatriques des années 60 vécu au début de ma carrière qui m’avait fait dire « plus jamais ça ». Cette réalité à cette époque était évidente pour toute personne qui entrait en psychiatrie, mais restait cachée aux yeux de la société. Ma réaction pendant longtemps fut de dire qu’il faudrait que des journalistes viennent et montrent cela à tous pour que la société comprenne l’abandon dans lequel se trouvaient ces personnes. Aujourd’hui, je continue de penser que des films comme celui-ci devraient être refaits régulièrement pour permettre cette prise de conscience, jusqu’à ce que nous n’ayons plus peur de la folie. Nous comprenons ici le sens de notre peur, elle est l’anticipation de notre sadisme, et nous permet de justifier notre démission. La folie n’est pas dangereuse en elle-même, elle entraine de notre part des réactions que nous ne supportons pas et que nous devons ‘travailler’ au lieu de nous cacher les yeux.

Il est clair que les médicaments ne suffisent pas pour maîtriser ces attitudes sadiques, ils ne permettent pas de comprendre les mouvements psychiques qui se mettent en jeu ici, ils ne font pas naître spontanément l’amour, ils ne donnent pas accès aux techniques psychothérapiques qui seules peuvent permettre de transformer cette vulnérabilité en créativité. Il est clair que l’éducatif et le comportemental sont tout aussi impuissants s’ils sont seuls ici, d’autant qu’ils masquent la réalité des troubles psychiques à l’origine de cette vulnérabilité, fonctionnement qu’il faut connaître de façon précise pour comprendre comment un changement psychique pourra se réaliser.

C’est dire à quel point les projets contenus dans la nouvelle loi 2010 sur la psychiatrie vont à l’encontre de tous les efforts de formation qu’il faut déployer. Ce n’est ni par un enfermement de plus en plus fréquent, ni par l’obligation de soins que sont obtenus des changements psychiques, l’obligation de soins n’utilisant que les médicaments et le comportementalisme. Les personnes présentant des troubles psychiques ne peuvent changer que si elles vivent dans un climat de liberté ; ce ne sont ni les médicaments ni les injonctions comportementale qui diminuent la vulnérabilité, et qui peuvent permettre de dépasser les mouvements sadiques qui naissent toujours chez chacun de nous devant une grande vulnérabilité. Au contraire le sadisme deviendra l’arme courante couverte par l’obligation : voyant se déployer chez les patients résistance et incompréhension, leurs attitudes seront ‘interprétées’ toujours comme des refus ; chacun ira alors de son initiative pour écraser ce refus, le faire taire, écraser cette résistance, obliger à obéir.

Nous ne pouvons que remercier les ‘Infiltrés’ d’avoir eu le courage de faire ce film. Ils doivent renouveler régulièrement leurs intrusions jusqu’à ce que les ghettos ayant sauté nous soyons sûrs les uns et les autres que sous l’effet de ce regard nos pulsions perverses ne peuvent plus se déployer.

La psychiatrie doit être faite et défaite par tous nous ont dit nos anciens. Le soin psychique établit peu à peu l’intime que ceux qui souffrent ont perdu, et peu a peu donc il restaure l’autre en l’aidant à se construire par des échanges individuels et collectifs basés sur la parole.

Car pour conclure, nous devons affirmer que limiter le sadisme, rester humain, être généreux ne sont pas des données suffisantes pour faire face à ces vulnérabilités ; l’acquisition des compétences associant savoir-faire et capacités psychothérapiques et leurs différents niveaux sont indispensables. Il est nécessaire à la fois de les acquérir par la formation initiale et surtout de les maintenir par une formation continue.

Toutes les évaluations qui ont été pensées et appliquées à la psychiatrie venant de la médecine voire des entreprises vont à contresens de ce qui est nécessaire ; l’ensemble de ces données, laissant croire qu’une bonne comptabilité des actes et du temps est suffisante, évite l’essentiel de ce qui est à évaluer : l’association de la compétence relationnelle et du respect des valeurs humaines.

La violence de la réalité avec toutes ses composantes ne peut plus être masquée à personne : violence des troubles psychiques, violence de nos pulsions, violence de l’indifférence de la société, violence de l’accumulation du pouvoir et des biens comme seule valeur sociale, violence de l’effort à faire pour acquérir les compétences nécessaires pour faire face à ces réalités, violence des débats que nous devons assumer, à la recherche d’une créativité qui épanouit et élève l’humain. La parole est notre grande force.

Guy Baillon, psychiatre des hôpitaux.