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5 septembre 2005

Riposte au LIVRE NOIR (SUITE) Philippe Grauer

Philippe Grauer

Il existe encore de bons journalistes. Comme il y a deux façons de vendre du papier.

a) En organisant le marronnier de la Rentrée à partir d’un faux débat rebattu sur le thème pour ou contre la rotation de la terre et la liquidation de la psychanalyse en deux coups de cuillère à sourd comme un pot, par les nouveaux chevaliers blancs du scientisme des thérapies cognitivo comportementales — TCC pour les initiés, qui n’y vont pas par quatre chemins dans l’à-peu-près diffamatoire et le détournement de textes.

b) En dressant un tableau honnête et le plus complet possible d’une situation complexe rendant compte clairement des faits et enjeux d’une crise ouverte depuis bientôt deux ans, mais qui occupe le monde et la mondialisation depuis bien plus longtemps, à coups de DSM et de subventions des laboratoires pharmaceutiques.

C’est ce dernier parti qu’a pris Gilbert CHARLES, en une excellente introduction à l’interview d’Élisabeth Roudinesco dans l’Express de cette semaine. Soyez créatifs, achetez-en deux numéros au lieu d’un, vous trouverez toujours l’utilité du second, c’est du papier intelligemment vendu.

Dans le genre opposé, le Nouvel Obs fut navrant. Il portera la responsabilité d’avoir contribué de son autorité morale à porter la confusion dans son propre camp. Le manque d’exigence éthique et scientifique qui a présidé à son opération de Rentrée nous montre un hebdomadaire amorçant une dérive. On s’attendrait à ce que Jean Daniel réagisse. Ce Livre noir est désolant par son manque de rigueur. Qu’est allé faire dans cette galère cet hebdomadaire-là ?

L’Express permet de reprendre ses esprits. Il donne à Madame Roudinesco l’occasion de manifester la rigueur d’une pensée servie par l’érudition historiographique nécessaire, et une capacité d’analyse et une pénétration qui sont déjà saluées par l’ensemble des psychanalystes. Une performance, quand on sait les tiraillements de ce milieu. Les psychothérapeutes relationnels saluent pour leur part la qualité de son intervention. Dans un débat parti pour voler plutôt bas, voici que se fait entendre une voix qui sonne juste et qui situe la réflexion à bonne hauteur. Beau travail d’universitaire, ça fait plaisir.

Dans ce genre de situation et de faux débat, il demeure toujours une sorte d’aura grise, provenant du fait qu’on a tendance, c’est le but d’un certain jeu médiatique, à renvoyer dos-à-dos les deux antagonistes comme deux clowns symétriques. Gardez-vous de tomber dans le piège. Gardez-vous de vous souvenir de l’arrogance de certains psychanalystes se croyant toujours au faîte de la poussée hégémoniste psychanalytique des années 60 dans notre pays, pour alimenter celle des jeunes loups aux longues dents creuses (car tout cela est bien vide) qui veulent tout simplement en finir avec vous comme sujet et votre liberté. Qui veulent vous normaliser et reconditionner scientifiquement, et vous permettre d’apprivoiser l’araignée de votre plafond en quinze séances.

La réalité est plus complexe que cela, le simple bon sens le laisse deviner, nécessite l’ouverture et non la chasse aux sorcières. Lisez ce numéro de l’Express et reprenez espoir. La sottise prétentieuse de nos nouveaux médecins de Molière et les fausses symétries médiatiques trouvent déjà là en face d’elles les éléments du barrage nécessaire. Qu’elles trouvent ainsi, non pas à qui parler, on ne dialogue pas avec ces gens-là, et c’est le mérite d’Élisabeth Roudinesco d’avoir tenu sur cette ligne, mais qui leur barre le passage.

Bien entendu, en dehors des jeux et enjeux économiques et de pouvoir que l’article de Gilbert CHARLES démonte bien, l’existence d’un débat scientifique constant entre disciplines adverses est indispensable. Nous ne sommes pas contre les TCC par principe et ne réclamons nullement leur éradication en retour. Nous exigeons par contre qu’ils nous respectent, que leur critique de la psychanalyse comme de la psychothérapie relationnelle s’effectue dans les règles, et que le politique ne soit pas le jouet de leurs forces — parfois étrangement conjuguées à celles d’une psychanalyse trop assise, vissée dans des fauteuils dont les occupants ne se sont pas toujours rendu compte qu’il pourrait s’agir à terme de sièges éjectables.

Bref, pour y voir plus clair lisez l’Express de cette semaine. Manifestez auprès de sa direction votre satisfaction, il n’y a pas de raison de ne pas faire savoir de quel côté vous vous situez, cela pèsera sur la situation, faisant de vous une actrice, un acteur, de cette histoire qui se joue sous nos yeux et dont nous sommes parties prenantes.