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9 avril 2011

Roudinesco : la haine de la pensée transpire partout Élisabeth Roudinesco – introduction par Philippe Grauer

Élisabeth Roudinesco – introduction par Philippe Grauer

« Il y a aujourd’hui dans le monde entier un fantastique marché des psychothérapies qui va se développer encore davantage, » peut-on lire dans le bel article que nous vous proposons ici sous pdf. Rançon de l’essor de l’individualisme dit-elle encore, mais pas seulement. Le formidable élan de recherche dans la sphère du psychisme et de la dynamique de subjectivation, héritière de cinquante ans de psychologie humaniste fondée sur l’existentialisme et la phénoménologie, dont la psychothérapie relationnelle est de nos jours l’héritière, poursuit sa marche en avant aux côtés de la psychanalyse. Une psychanalyse française souvent aveugle à son contexte, enfermée dans un dogmatisme corporatiste arrogant – le corporatisme constituant une des plaies du Carré psy.

La psychothérapie relationnelle tout autant que cette dernière, se doit de sortir de tout enfermement dans la clinique, se doit de s’armer de bonne pensée et elle y procède. Face à la rigidité hostile de l’actuelle université elle poursuit inlassablement sa tâche de préservation et transmission du trésor clinique théorique et méthodologique de l’héritage de la psychologie humaniste américaine, comportant le domaine du psychocorporel, du travail émotionnel, de l’exploration systématique de la régression, de la poursuite des avancées du dialogal et du groupal, toutes dimensions propices au traitement des organisations limites dont Jean-Michel Fourcade nous rappelle qu’ils représentent la forme de pathologie majoritaire dans notre patientèle aujourd’hui. Elle prolonge le dialogue avec l’École anglaise de psychanalyse, avec Anzieu et Kaès, avec l’héritage post-reichien. Elle évolue dans le champ de la psychodiversité : ouverture et dialogue, pluralisme, intégrativité, multiréférentialité.

Elle le fait à partir du cadre de ses courageuses (petites pour la plupart) Écoles, dont celles notamment validées par l’Affop sont triées sur le volet. Face à la désolante incapacité de l’université d’accueillir, comprendre et diffuser ce précieux savoir, elle a su maintenir et préserver des lieux de transmission qui garantissent avec dévouement et passion le développement de ce quartier du Carré psy qu’elle continue d’habiter, dont les locataires s’affichent à présent à l’enseigne de la nouvelle appellation professionnelle qui accole relationnel au nom de métier de psychopraticien pour en faire un titre.

André Malraux achevait un ouvrage sur le cinéma par une dernière phrase restée célèbre : « Par ailleurs le cinéma est une industrie ». La psychothérapie comme marché ne saurait l’être que par ailleurs. Nous ne saurions nous considérer comme acteurs d’un marché de l’âme, à l’instar du supermarché du bonheur que dénonçait Max Pagès. Les étudiants en reconversion qui consacrent de longues et fructueuses années de leur vie d’adultes ayant souvent atteint la quarantaine à accéder au titre de psychopraticiens relationnels, représentent un secteur de recherche humaniste important et bien vivant dans l’univers du travail du psychisme centré sur la dynamique de la subjectivation. Ils répondent ainsi à un immense besoin dans le public – un public assez éclairé pour tenir à la ressource que constitue la psychodiversité – besoin de soin par la relation et le dialogue prenant en compte la dimension émotionnelle, psychocorporelle et existentielle du travail psychique, à côté de la psychanalytique, si bien défendue et illustrée par Élisabeth Roudinesco dont on va lire ici la belle interview.

Dernier point. Il n’est pas assuré comme le mentionne Anne-Laure Gagnac que les personnes qui s’adressent par la suite à la psychanalyse aient généralement entamé leur carrière de patients par du comportementalisme, ce qui place la psychanalyse en position de recours au comportementalisme, ignorance faite au passage de notre propre existence. Max Pagès émet l’hypothèse que les patients d’aujourd’hui, modernes abeilles (urbaines le plus souvent, les autres, Monsanto est en train d’en venir à bout), parcourent des itinéraires souvent complexes faisant leur miel de toutes fleurs, dont principalement celles de nos bouquets relationalistes. Il serait intéressant à ce sujet d’étudier les types de parcours et les parcours types. Seule une vaste enquête pourra à ce sujet nous apporter des éléments de réponse (1). Aux universitaires d’y aller voir.

Bref aux couleurs arc en ciel de l’humanisme les deux champs disciplinaires extra universitaires centrés sur le processus de subjectivation résistent ensemble dans le domaine des sciences humaines cliniques à l’idéologie scientiste du tout neurone tout comportemental tout managérial, à l’occasion sécuritariste à la barbare, s’affairant à l’impossible suppression de la pensée vivante.

Philippe Grauer


Cliquer sur l’icone ci-dessous pour obtenir l’interview d’Élisabeth Roudinesco par Anne-Laure Gagnac [Document : Interview d’Élisabeth Roudinesco]