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4 janvier 2009

Roudinesco : sécurité et inculture. Élisabeth Roudinesco, présentée par Philippe Grauer

Élisabeth Roudinesco, présentée par Philippe Grauer

Décoder le populisme anti psy

Le discours sur la sécurité en lieu et place d’ouverture du débat politique réel, représente une constante de la politique française à droite depuis des lustres. Cela, c’est de la politique générale. Quand nos professions psys se trouvent concernées, il est de notre devoir de décoder les manipulations populistes pour affirmer notre revendication éthique et humaniste.

Élisabeth Roudinesco analyse que si le pouvoir recule c’est sous la pression — déjà ça ! — mais pas d’avoir compris quelque chose. Il faut donc maintenir et soutenir notre action et argumentation. Le coup des récidives tombe sous le sens, le cercle ne se dévicie pas comme ça. Comme la loi sur le titre de psychothérapeute, née pied bot, qu’aucun appareillage ne redressera. En tout cas pas davantage une belle chaussure orthopédique universitaire au pied de la psychanalyse, née Œdipe souvenons-nous en, ce qui fait un peu figure du comble.

Quant à l’antisémitisme dont le chiffon rouge agité trouble les analyses de certains de nos intellectuels en sorte que critiquer la politique du gouvernement d’Israël serait se montrer antisémite c’est gros, et surtout tragique. Mais il s’agit d’un autre débat, pour l’instant pas directement lié à nos histoires psys, sauf que Sartre et Foucault sur les sujets qui nous concernent représentent une ressource sans faille.

Nous vous livrons tel quel en attendant le billet paru dans Libé le 31 décembre.

Philippe Grauer


Sécurité et inculture

Élisabeth Roudinesco

       L’élection de Nicolas Sarkozy a eu une conséquence désastreuse: c’est la première fois qu’il y a à la tête de l’État, quelqu’un qui revendique son inculture et qui, du coup, lance en permanence des défis aux intellectuels. Il brouille les cartes :  tantôt il lit du Guaino, tantôt du Gallo, tantôt du Patrick Buisson. Même chose pour l’économie : tantôt il prône la dérégulation libérale, tantôt il propose des mesures de gauche. Il n’hésite pas à désavouer ses propres ministres qui pourtant mettent en oeuvre ses propres décisions et s’en trouvent mortifiés.

On peut dire qu’en 2008, le pouvoir présidentiel a été incohérent et prédateur. Il a profité de la crise de la gauche et de la crise de la société pour faire sans cesse une politique inverse de ce qui est annoncé. Pour prendre un exemple : le gouvernement a renoncé à mettre les enfants en prison dès l’âge de douze ans: très bien, j’avais signé la pétition contre cette mesure. Mais le pouvoir a reculé sous la pression de l’opinion, non  parce qu’il a compris la vérité de cette opposition. Donc il va recommencer…

       En fait, nous, les Français, avons installé un pouvoir populiste et, là où on devrait trouver l’autorité, on trouve désormais le discours sur la sécurité. Ainsi le traitement des malades mentaux et des prisonniers va-t-il à contre-courant des progrès réalisés, par exemple, en Europe du nord, où il est prouvé que plus on réinsère intelligemment les délinquants et les malades mentaux, moins il y a de récidive. C’est un cercle vicieux: l’état des prisons ne va pas s’améliorer, les services psychiatriques ne recevront pas plus de moyens, donc la réinsertion va se passer toujours plus mal et on justifiera ainsi les pires mesures.

     La France vit des années sombres et l’un des symptômes en est l’état de la vie intellectuelle. Je me rends souvent à l’étranger, notamment dans les pays anglophones et en Amérique latine, et je peux vous dire que, là-bas, on peine à comprendre les termes du débat  français. Le travail des historiens et des anthropologues bénéficie d’une solide réputation et continue d’être traduit; en revanche, la production philosophique est considéré comme réactionnaire et beaucoup se demandent pourquoi les héritiers de Sartre et Foucault abordent de façon aussi manichéenne le conflit israléo-palestinien en y mêlant à tout instant la question de l’antisémitisme, du sionisme ou de l’antisionisme.

Il me semble qu’une attitude raisonnable — si l’on aime Israël et qu’on souhaite sa survie, ce qui est mon cas — serait, au contraire, de pouvoir critiquer la mauvaise orientation de sa politique, comme le font d’ailleurs de nombreux Israéliens. Certes, la remontée spectaculaire de l’antisémitisme est un phénomène planétaire, qui va de pair avec l’islamisme radical, mais ce n’est pas une raison pour jouir de cela en croyant voir des antisémites là où ils ne sont pas. Au lieu d’intellectuels critiques, nous avons maintenant des intellectuels procureurs.

Libération, 31 décembre 2008.