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10 mai 2010

Rumeurs et vérité en histoire Elisabeth Roudinesco

Elisabeth Roudinesco

Il est des moments où transiger avec la question de la vérité nous rendrait complices d’un mauvais coup. Nos disciplines et professions, de psychanalyse et psychothérapie relationnelle, disciplines de la relation, du souci de soi et de l’avènement de soi à soi, via de l’autre, se fondent et prennent leur sens de cette fondation et de ce fondement, sur une éthique impérative. Celle de chercher, dissolvant à mesure les illusions et fantasmagories de toutes sortes, les effets de ce que Sartre appelle la mauvaise foi, à atteindre un peu de vrai de soi, et du monde, et de la relation de soi au monde.

Il importe à ce titre de ne pas laisser passer les rumeurs, mieux, de s’en prendre à elles, s’agissant de leurs fondements et fondations en tant que sciences humaines cliniques (lire la suite au bas de l’affiche) …/

[Image : Sans titre]

/… Aussi n’est-il nullement indifférent que Freud soit ou non un salaud, pour reprendre le vocabulaire sartrien, un homme de mauvaise foi. Il existe des cas avérés de ce type, comme celui de Heidegger, grand philosophe et homme de petite estime comme on dit de la vertu, impliqué jusqu’au cou dans le nazisme. On sait faire avec. L’ennui c’est que ça n’est strictement, rigoureusement pas, le cas de Freud. Et que de la rigueur, précisément, relèvent et la psychanalyse et notre psychothérapie relationnelle.

En toute rigueur intellectuelle, il s’agit d’établir la vérité en histoire et en philosophie : Freud était-il un affabulateur, un pervers sexuel, un adepte du fascisme, persécuteur de son propre peuple ? Son œuvre n’est-elle qu’une forme de pathologie impossible à universaliser ? Est-ce la vérité, est-ce une rumeur ?

Le révisionnisme américain en matière de psychanalyse arrive, avec le décalage horaire classique, jusqu’à nous en Europe. Qu’Onfray choisisse de le relayer en affabulant comme s’il s’agissait de nouveautés des ragots de l’arrière cour de l’Histoire ornés de petites inventions à lui, ne le situe pas précisément parmi les grands esprits de notre temps.

On n’a pas le choix de l’indifférence face à la production de faits inexacts agencés en pseudo preuves d’une thèse controuvée. Il faut établir par le débat rationnel, une fois la question de la vérité ouverte, en quoi celle-ci consiste. On n’a jamais le droit de dire ou laisser dire n’importe quoi. Une paresse désinvolture dirait peu importe. Oubliant le courage. Il importe si bien que la vérité comme la liberté exige qu’on se batte pour elle. Question de responsabilité, de morale intellectuelle et professionnelle.

Laisser passer l’imposture demeure nuisible. Merci à ceux qui l’ont compris et assurent, protégeant dans l’esprit public l’idée freudienne libératrice, ferment de civilisation non négligeable par les temps qui courent, au bénéfice de tous.

Philippe Grauer