par Roland Gori
Publié le vendredi 12 octobre 2012
Roland Gori, invité de Raoul Locatelli à Bastia :
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Cet éminent psychanalyste, auteur de L’Appel des appels, fustige la société sclérosée dans des normes gestionnaires et technocratiques. Une voix contre la mondialisation et pour la dignité de pensée
Psychanalyste, professeur émérite de psychologie et de psychopathologie clinique à l’université d’Aix-Marseille, Roland Gori est l’initiateur de L’Appel des appels qui dénonce le « phénomène idéologique et de convergence de méthodes qui vise à araser l’humain au profit des logiques comptables et marchandes ». En un mot, desserrer l’étau de la globalisation pour favoriser l’émancipation et le libre arbitre de l’homme. Il est l’invité de l’association « Paroles vives ». Logique. Les siennes le sont.
Un laboratoire d’idées pour déconstruire les modèles imposés de soumission sociale et professionnelle des soins, de l’éducation, de la justice, de la culture, de la formation. Tous ces métiers qui perdent leur sens parce qu’ils sont calibrés selon des normes gestionnaires. Les conséquences sont dramatiques.
Dramatiques pour tout et tous. Pour le journalisme qui traverse une crise parce que l’information s’efface devant l’industrie qui vend des scoops et façonne l’opinion à sa guise. Pour la recherche où ce qui compte, ce n’est plus la qualité des travaux mais leur publication dans des revues où ils seront broyés dans une conception hégémonique de la connaissance. La culture, où il s’agit moins de favoriser l’innovation et la créativité que la consommation à grande échelle, etc.
Oui, cette rationalisation technique et gestionnaire de notre société est une atteinte à la capacité et à la dignité de pensée. Notre démocratie est devenue une démocratie d’expertise qui se double d’une démocratie d’opinion car elle est proposée de manière séduisante. Ce que l’on démolit ainsi au profit d’une conception du monde étroitement économique, c’est la conception de l’individu citoyen, libre et émancipé.
Face à des conditions de vie qui s’érodent, à ce système de management par la peur et la précarité, des jeunes refusent d’être des surnuméraires et rejettent la financiarisation généralisée de la planète. Ce mouvement croît parallèlement à l’ombre de la dégénérescence du politique, de l’effondrement de ses forces, matérielles et symboliques. Il n’y a plus de contre-pouvoirs, de contre-propositions à la toute-puissance libérale et néolibérale, et nous en sommes les orphelins. Le pire ennemi de la démocratie, c’est son manque de confiance en elle-même.
Il faut encore laisser sa chance à Hollande et au gouvernement Ayrault. Déjà, on respire mieux, on sent moins la corruption des esprits par un président entrepreneur d’opinion. Il y a des personnalités sympathiques pour s’occuper de la culture, de la justice, du redressement productif. Parce qu’il n’y a pas de rupture dans ce qui est proposé, je suis plus réservé sur l’éducation et sur la santé.
Plus que ça même. La ratification du Pacte budgétaire est une occasion politique ratée, un sursaut qui aurait pu réhabiliter la démocratie. Cette gestion technocratique des problèmes politiques et sociaux est tout simplement désastreuse.
Dans notre « appel », nous demandons la tenue d’États généraux du travail et du citoyen, parce que les droits politiques sont indissociables des droits sociaux. Nous n’avons toujours pas été entendus. Dommage, car la manière dont on éduque, dont on soigne, dont on rend la justice révèle l’état d’une société et les véritables valeurs qui sont les siennes.
Il constitue une forme inquiétante de recyclage des mécontentements populaires. Ce n’est pas un mouvement qui favorise le vivre ensemble. La meilleure réponse vient de l’historien grec Thucydide : « La force de la Cité, ce sont ses hommes, ce n’est pas ses remparts ni ses vaisseaux qu’ils ont désertés. »
C’est le sophisme dans toute son horreur. Dans cette société du spectacle qui a perdu la raison au sens émancipateur du terme, on ne cherche pas à affranchir l’individu mais à le séduire pour mieux le soumettre. Un slogan, aussi habile soit-il, n’a jamais fait un projet.
Sarkozy est un chantre complexe du libéralisme dans toute son obscénité. Mais je lui ai reconnu le courage et la cohérence de ses opinions.
Quel regard portez-vous sur la « normalité » revendiquée par François Hollande ?
Sur un plan étymologique, Norma signifie équerre. Il faut donc lui donner le sens de « juste » plutôt que de « normal ». S’il a voulu dire par son expression qu’il prenait le contre-pied de son prédécesseur, tant mieux. S’il a voulu dire aussi qu’il ne souffrait pas de trouble psychopathologique, tant mieux. Si c’est pour exprimer sa volonté de se fondre dans la norme et la technocratie, je serais plus inquiet.
La société de la norme, c’est la société des termites. Ce n’est pas l’idéal humain car cela risquerait, comme l’a dit Hannah Arendt, d’anéantir l’humanité dans l’homme.
Je suis souvent venu en Corse, j’ai beaucoup échangé ici et ma réponse est oui. La revendication légitime du Peuple corse pour préserver son histoire, sa culture, sa langue constitue un antidote majeur au néolibéralisme. Surtout si elle est exprimée dans un désir de partage et non pas d’exclusion.
D’abord, je dirais qu’il ne faut pas proscrire la violence parce qu’elle est violente. Sinon il n’y aurait pas eu de résistance face aux nazis et l’apartheid existerait toujours en Afrique du Sud. Mais la violence doit être le dernier recours en désespoir de cause. Ce qui n’est pas le cas dans notre pays et dans cette île en particulier où la violence est même contre-productive.