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14 mars 2009

Santé mentale : après les fonds de pension les fonds de folie Vincent Lucas, Du collectif Ile-de-France de l’InterCoPsycho, Jean-François Cottes. Présenté par Philippe Grauer

Vincent Lucas, Du collectif Ile-de-France de l’InterCoPsycho, Jean-François Cottes. Présenté par Philippe Grauer

Nos amis psychologues freudiens s’inquiètent d’un projet de réforme du Secteur au profit d’une organisation pas vraiment service public du « marché » de la folie.

Pour réaliser cette privatisation il faut transformer les psychologues en profession de santé. Ils ont toujours refusé, à juste titre, cette classification qui les situe comme auxiliaires et subordonnés des médecins. Ça ils n’aiment pas. Imaginons un seul instant que la nouvelle catégorie en voie de création par la mainmise et mise sous séquestre du titre générique de psychothérapeute, de psychothérapeute précisément, soit réputable profession de santé. Les psychologues conservent sain et sauf leur privilège, les psychothérapeutes Accoyer — appelons-les comme ça ils lui doivent une honteuse chandelle (on ne peut tout de même pas dire fière) — font l’affaire, car c’en est une. Comme il se trouvera que les « psychothérapeutes » Accoyer seront des psychologues ou des psychologues n’ayant pu atteindre le Master 2, c’est du gagnant-gagnant.

Et qui serait perdant-perdant ? la psychiatrie réintégrée au corps de la neurologie a déjà perdu son âme. La psychologie en voie de réorganisation s’apprête à prendre la succession, mais pas pour l’âme. Les psychopraticiens relationnels, nous après changement de nom, occupés à œuvrer en dehors du champ neuro-privatif, n’ont rien à perdre, c’est déjà fait ils auront perdu jusqu’à leur nom, ils pourraient devenir les heureux alternatifs d’une opération haut les mains qui les laisserait mains propres.

Trop tôt pour dire. Affaire à suivre. Un feuilleton hallucinant, vu qu’il s’agit de psychose. Vous me direz, nous la psychose ça n’est pas notre champ d’action. C’est vrai. Méfions-nous, au sein du Carré psy tout se tient, et une malfaisance quelque part a tôt fait de se répercuter de toutes parts.

Philippe Grauer


Le commerce des âmes façon Couty

Il faut recourir à cet anachronisme dans le discours — l’âme — pour prendre la mesure de la réforme proposée par Edouard Couty dans son rapport « Missions et organisation de la santé mentale et de la psychiatrie ». On voit facilement alors apparaître le principe de cette réforme : mettre les outils du « secteur » à disposition du domaine commercial. Suivons en la mécanique.

Le dépeçage du secteur

Le secteur accueille jusqu’ici la psychose dans une continuité, traitant ses moments productifs en articulation avec ses possibilités de stabilisation, indistinctement en intra-hospitalier (« l’hôpital ») ou en extrahospitalier (autour du pivot du « CMP »), ce qu’illustre et conceptualise des formules mixtes intra-extra, particulièrement efficaces. Cette continuité nécessaire autant pour les soins que la conceptualisation de la « maladie mentale » — et donc la recherche, Edouard Couty la rompt : l’hospitalisation est désectorisée et mutualisée entre institutions publiques ou privées, l’extrahospitalier du secteur est quant à lui mis au service d’un « Groupement Local de Coopération pour la santé mentale » (GLC) à la direction propre et regroupant tous ceux qui étaient jusque-là ses interlocuteurs. Le secteur n’est donc plus le lieu où se conçoit et donc se centralise efficacement une prise en charge, il devient un prestataire de service pour le GLC, soit, comme le dit Edouard Couty qui choisit avec soin ses mots : «les médecins contestent le fait que le secteur psychiatrique n’ait plus le monopole et c’est d’ailleurs ce que je propose !» (« Bientôt une réforme de la psychiatrie en France », Le Figaro du 13 février 2009).
À qui profite cette fin de « monopole » ?

Des citoyens faustiens malgré eux

La diffusion dans le discours ambiant de « la santé mentale » doit s’accompagner d’une prise de conscience : notre âme ne nous appartient plus. Nous l’avons capitalisée et la voilà déjà en bourse. Il ne s’agit pas seulement de la prise de contrôle par des fonds de pension de cliniques privées, mais d’une totale mise sur le marché. Décidés à faire fructifier notre capital santé mentale, nous allons être débordés d’offres alléchantes à haut rendement pour notre « bien-être », par ailleurs pourvoyeuses de marges substantielles.

Pour ceux chez qui les interventions plastiques sur l’être, visant quelques symptômes dérangeants, auront échouées, pour ceux qui auront fait de mauvais placements, il reste le second marché, celui du handicap, appelé à un fort développement.

La formule matérialiste du commerce des âmes

Le dépeçage du secteur lié à la promotion de la santé mentale provoque donc une formidable ouverture commerciale. Economies pour les uns, profits pour les autres, c’est un deal gagnant-gagnant que propose Édouard Couty à la nation de ceux qui veulent gagner plus. Au prix de la construction de la plus improbable usine à gaz « GLC », vouée constitutionnellement à l’échec, là où il était efficacement si simple de préciser les missions et les moyens du secteur déjà existant. Mais qui veut encore se soucier des errements de la jouissance des parlêtres quand travailler à la réussite du commerce mondial est si grisant ?

Et les psychologues dans tout cela ?

Une partie à trois se joue pour la redistribution des rôles entre médecin, infirmier et psychologue, ces deux derniers devant assumer une partie des anciennes tâches du premier. C’est pour les infirmiers que c’est le plus clair : en contrepartie d’une spécialisation en psychiatrie les menant à un niveau Master 2, ils seront le pivot du système, dès un premier contact d’orientation.

Contrairement aux deux autres, les psychologues sont légion. Mais pas encore en état de marche. Pour y remédier, il faut soit reconnaître leurs actes soit en faire une profession de santé. Édouard Couty ne se prononce pas, renvoyant à de mystérieuses négociations en cours, qui, à la réflexion, semblent bien être celles autour du titre de psychothérapeute (souligné par nous, NDLR).

Edouard Couty propose à la psychiatrie de rentrer dans la marche forcée imposée à notre pays pour satisfaire aux critères de la compétitivité économique devant assurer le bonheur de tous, après celui de quelques uns. Cela au moment où ce modèle social révèle au grand jour son inconsistance et les désastres qu’il génère. Par delà la « santé mentale », qui est un agent économique appréhendé tantôt comme coût tantôt comme gain, la psychiatrie touche pourtant au plus intemporel de l’humanité, au plus unique, au non échangeable. Monsieur Couty feint de croire que nous l’aurions oublié. L’avons-nous fait ?


Jean-François Cottes

La mission Couty a rendu son rapport « Missions et organisation de la santé mentale et de la psychiatrie » qui fait le point sur la mise en œuvre du plan psychiatrie et santé mentale 2005-2008 et propose des orientations pour l’établissement d’un nouveau plan ainsi que pour la loi annoncée sur la psychiatrie.

On se souvient des recommandations de la sous-commission Jouvin à propos des psychologues (voir nos Instantanés 282, 284 et 286) et le tollé qu’elles suscitèrent.

Ce tollé n’aura pas été vain puisque ces recommandations n’ont pas été inscrites au rapport.

C’est plutôt l’orientation générale de ce rapport qui est critiqué en tant qu’il trace la perspective de la disparition du secteur psychiatrique et, finalement, de la psychiatrie.

On peut lire ce rapport sous pdf ici 

Vincent Lucas nous donne ci-dessous sont point de vue très informé sur la question.

Le Syndicat national des psychologues a publié un communiqué que l’on peut lire ici


Instantanés de l’InterCoPsychos – N°293