Époustouflant, magique et tragique, Scoop est un film majeur dans l’œuvre de Woody Allen. Dans ses interviews, il minimise ce film comme s’il tenait à satisfaire ses interlocuteurs qui ne peuvent s’empêcher de comparer ce film au précédent, Match Point, unanimement consacré comme un chef d’œuvre. La fantaisie et la légèreté délirante de ce film contraste il est vrai avec la gravité de Match Point. En même temps elle lui répond et cet ensemble est proche de la perfection.
La subtilité de ce film construit en référence à Match Point en mettant en scène une jeune femme américaine de basse extraction, interprétée par la même actrice et confrontée à l’aristocratie anglaise, est époustouflante. L’Illusion comique de Corneille ou La tempête de Shakespeare ne sont pas loin.
Woody Allen vient à la rescousse de son personnage. Grâce à lui, elle aura sa revanche. Il sera son sauveur. Grâce à ce film il peut nous dire : tout ce que vous avez vu est une illusion. La vie est terrible et injuste en particulier lorsqu’on ne naît pas dans les bonnes familles mais au bout du compte, il n’y a rien car nous sommes tous de pauvres misérables dans le même bateau. Celui qui nous conduit au rivage éternel de la mort. Devant cette chose inéluctable, moi Woddy Allen, j’ai pris le parti d’en rire.
Il endosse les habits du magicien et dans un mauvais tour de passe-passe, il nous raconte une histoire parce que c’est la loi du genre et qu’il le faut bien puisqu’il s’agit d’un film. En réalité, il nous parle de lui et nous livre ses réflexions sur le monde et l’inéluctable pente vers laquelle il s’en va, la mort.
Ce n’est pas un film testament mais un film dans lequel il délivre peut-être inconsciemment — mais on peut en douter après toutes ces années de psychanalyse, un véritable message. Celui d’un homme qui, après avoir eu très peur de cette mort et l’avoir tournée en dérision pour mieux la combattre dans ces précédents films, se décide à l’affronter pour la première fois. La mort est traitée avec les traditionnels oripeaux de la mort faucheuse. Loin de nous la montrer intraitable et terrible comme dans Bergman, il lui donne une allure de bourreau compréhensif. Si le passage est inéluctable, la traversée sera douce et si la passation est inachevée, le désir de le faire maintient le mort à la frontière de la vie.
Réanimé grâce à la magie de la caméra, il parvient à revenir à la vie pendant de courts instants et sous le regard bienveillant de la mort qui le presse mais le laisse finir pourtant ce qu’il tenait à achever. Peut-être est-ce un appel que Woody Allen lance à la mort : laissez-moi encore un peu de temps, le temps d’achever ma mission sur terre ?