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19 mai 2009

Sectes — quand des charlatans se font passer pour des thérapeutes : quand des journalistes se font passer pour vertueux Marianne Gomèz, commentée par Philippe Grauer

Marianne Gomèz, commentée par Philippe Grauer

« Quand des charlatans se font passer pour des thérapeutes » — et quand des journalistes ne manquent pas d’air mais d’éthique.

Dans son dernier rapport, rendu public mardi 19 mai, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes épingle de nouveau les psychothérapies déviantes


La photo en pleine première page de La Croix en date du mardi 19 mai

représente de neuf à dix personnes floutées, filoutées devrait-on dire, chacune avec un document sous les yeux, il s’agit de l’horreur des « psychothérapeutes déviants », légendée Thérapie de groupe. Vous direz, il ne s’agit pas de psychothérapie, il n’y a que demi mal. En page deux, en couleur, elle est annoncée la couleur : « De 25 à 30 % de ceux qui se disent psychothérapeutes ne sont ni psychiatres, ni psychanalystes, ni titulaires d’un diplôme de psychologue ». Nulle mention des psychothérapeutes relationnels encadrés par leurs institutions historiques. Celles-ci n’existant tout simplement pas aux yeux de Marianne Gomez.

Depuis Moreno, Lewin, Bion et mon maître Max Pagès

il en passé sous les ponts de la science, jusqu’à l’excellent Un singulier pluriel du Pr. Kaès, pour valider et faire valoir l’extraordinaire instrument que constitue le groupe psychothérapique. En intitulant « Thérapie de groupe » une image représentant la malhonnêteté sectaire, La Croix pousse le bouchon un peu loin. S’attendant sans doute à ce que comme d’habitude nous laissions l’éclaboussure sècher pour tapoter la poussière le lendemain. Une fois n’est pas coutume, nous protestons.

La pratique de l’amalgame

figure de réthorique aussi vieille qu’elle, consiste à dire du mal de Pierre en indiquant plus ou moins subrepticement qu’il est aussi mauvais que Paul, qu’on attaque officiellement. Si Pierre proteste c’est qu’il s’est reconnu dans le portrait de Paul, si ce n’est toi c’est donc ton frère, CQFD. S’il ne dit rien c’est que c’était bien vrai ce qu’on disait à demi mot.

Nos institutions historiques se sont contituées également contre la menace sectaire

Allez comprendre comment il se fait qu’à la veille d’un débat au Sénat sur le titre générique de psychothérapeute, à l’occasion d’un rapport sur les sectes, on entreprenne d’éclabousser médiatiquement nos praticiens respectables avec de vieilles histoires de charlatanerie qui ne nous concernent pas ? l’hypocrisie puritaine va de pair avec la perversion. Le Seigneur nous en protège, lui dont les impénétrables voies font passer le scandale par celles de sa presse catholique.

{Quant à la Scientologie qui a transformé un simple super voltmètre, axé sur le principe du pont de Wheatstone, en « instrument du culte » vendu à prix d’or, il n’est pas révélé dans l’article consacré par le même journal à son sujet, qu’elle est protégée et favorisée par le maire UMP de Marseille, où Tom Cruise lui faisait tenir boutique sur le vieux port il y a peu.

Philippe Grauer} }


Jamais les psychothérapeutes n’ont eu autant de succès. Les « vrais », c’est-à-dire ceux qui ont été formés à des techniques éprouvées ; mais aussi les « faux », les charlatans, qui n’ont de thérapeutes que le nom. Si le phénomène n’est pas nouveau, il est en constante augmentation, alerte la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Son rapport annuel publié mardi 19 mai parle d’une « explosion de la bulle psy accompagnée de nombreuses déviances ».

Cet engouement s’explique par un croisement de l’offre et de la demande. D’un côté, « face aux difficultés des sociétés contemporaines et devant le recul de certaines institutions, dont la famille, l’accompagnement psychologique est de plus en plus sollicité pour des publics fragiles (malades, jeunes en difficulté, personnes dépendantes…), pour gérer des situations de crise (catastrophes naturelles) ou des fléaux sociaux (violence urbaine, toxicomanie, délinquance…). Cette évolution coïncide avec un élargissement constant des pratiques et des méthodes, dont le nombre se situerait aujourd’hui entre 200 et 400 », explique le chapitre du rapport consacré au « Risque santé ».

Une enquête faite au début des années 1980 par la Fédération française de psychothérapie sur un peu plus de 8 000 Français estimait, par extrapolation, que près de 3 millions de personnes avaient suivi ou suivaient encore une psychothérapie. Mais, si l’on admet que l’entourage d’un patient en thérapie est fortement concerné, en réalité huit à dix millions de personnes en subissent les effets, souligne la Miviludes. Aujourd’hui, « il est raisonnable d’estimer l’impact des pratiques psychothérapeutiques à environ douze millions de personnes », lit-on dans son rapport.

Témoignages inquiétants
Or, de 25 à 30 % de ceux qui se disent psychothérapeutes ne sont ni psychiatres, ni psychanalystes, ni titulaires d’un diplôme de psychologue. « Ils se réclament de disciplines diverses et ont des parcours de formation hétérogènes », note la Miviludes. Car le titre de psychothérapeute n’est pas protégé : n’importe qui peut s’en réclamer. Plus pour longtemps toutefois, puisque l’article réglementant la profession devrait enfin être adopté dans le cadre de la loi sur l’hôpital. Chacun pourra alors savoir à qui il se confie.

En attendant, la Miviludes dit avoir été alertée par des témoignages inquiétants sur deux types de déviance : d’abord, la nouvelle médecine germanique, inspirée par le docteur Geerd Hamer. Celle-ci « développe la thèse que toute maladie, et en particulier les cancers,


FENÊTRE COULEUR : « De 25 à 30 % de ceux qui se disent psychothérapeutes ne sont ni psychiatres, ni psychanalystes, ni titulaires d’un diplôme de psychologue »

Mensonge par omission

Mais quel est le pourcentage de psychothérapeutes relationnels dûment titularisés au Snppsy, ou relevant de sociétés savantes titularisantes soigneusement sélectionnées, fédérées à l’Affop, répondant aux cinq critères de base du Snppsy ?

Quel pourcentage de psychothérapeutes relationnels relevant de la FF2P, autre institution historique de la psychothérapie française, filiale de l’Association européenne de psychothérapie ?

En omettant sciemment, car l’existence d’institutions historiques de la psychothérapie relationnelle est connue de tous, y compris du Ministère de la Santé, et de l’ensemble des collègues, qui savent très ce que nous sommes et représentons, que simplement le corporatisme aveugle — comme quoi on peut être excellent psychothérapeute et pas trop éthique citoyennement parlant, en omettant notre existence, à quelle manœuvre se livre La Croix ?

Notre discours et les documents que nous émettons depuis des lustres ne sauraient se voir ignorer que de qui ne veut pas savoir. Pour le coup, nous ne relevons pas du faux souvenir induit, ils se souviennent parfaitement de nous, professionnels et journalistes partiaux, mais d’un vrai savoir frappé de déni — forclusion locale non induite ou ténébreuse manipulation ? allez savoir. Nous nous rappelons ici à leur bon souvenir.


naissent de graves conflits psychologiques non résolus (…) enfouis dans l’inconscient du malade. Le décryptage de ce conflit conduit à la guérison. » Un important réseau de « thérapeutes » auto-institués s’est ainsi développé sur ces bases, en dépit de plusieurs condamnations prononcées à l’encontre du fondateur de cette théorie.

La mission de lutte contre les sectes s’inquiète aussi de la pratique des faux souvenirs induits. L’an dernier déjà, la Miviludes avait épinglé cette dérive thérapeutique consistant à persuader un patient, une femme le plus souvent, que les troubles dont elle souffre sont la conséquence de l’abus sexuel que lui aurait fait subir son père ou sa mère dans l’enfance.

Fantasme et réalité
Ce phénomène a fait son apparition aux États-Unis dans les années 1990 avant de se répandre en France au début des années 2000. Il est particulièrement difficile à combattre, souligne le docteur Erik Nortier, psychiatre, qui suit chaque année environ une dizaine de victimes à la demande de l’association Alerte faux souvenirs induits (Afsi) : « Tout le problème est d’arriver à distinguer ce qui relève du fantasme et ce qui relève de la réalité, puisque les abus sexuels sur mineurs, cela existe aussi », explique l’expert psychiatre.

Combien de victimes peut-on imputer à des thérapeutes déviants ? Impossible à dire. Mais il semble que celles-ci sont bien supérieures au nombre de personnes demandant à être aidées. Si leurs proches témoignent parfois (lire les Paroles en page suivante), les principaux intéressés, eux, se manifestent peu ou pas du tout. « Soit les victimes restent complices de ce qu’elles ont traversé, persuadées que le gourou est dans le vrai ; soit elles sont sorties de cette relation d’emprise, mais pour basculer dans un refus de contact », analyse Michel Topaloff, psychiatre et psychanalyste.

Car l’effet des pratiques charlatanesques est assimilable à un traumatisme : la personne perd toute confiance en autrui. « Ce sont des gens qui ont été trompés, trahis par celui ou celle en qui ils avaient placé tous leurs espoirs. Comme s’ils avaient vécu une histoire d’amour dans laquelle le prince charmant s’avère être un salaud.

Ils en éprouvent de la honte et, en même temps, ont les plus grandes peines du monde à se confier à un nouveau thérapeute », reprend Erik Nortier.

« Illusion groupale »
Pour ces deux psychiatres, l’adhésion à une entreprise sectaire s’apparente à l’addiction toxicomaniaque. « C’est le fruit d’une rencontre entre une fragilité personnelle, un “dealer” – le gourou – et une drogue – la secte », poursuit Erik Nortier, paraphrasant le spécialiste des drogués récemment décédé Claude Olievenstein. À partir du moment où l’on entre dans ce système de croyance, que l’on fait partie du groupe, plus rien d’autre n’a d’importance. La personne vit une « illusion groupale », telle que décrite par le psychanalyste Didier Anzieu : les membres du groupe sont unis dans l’amour du père (du gourou), ils expulsent leur agressivité vers l’extérieur et vivent dans un état d’euphorie spécifique qualifié par les psychiatres d’« élation ».

Autant d’éléments qui expliquent la difficulté qu’ont les sortants de secte à se reconstruire : il leur faut à la fois faire le deuil du « paradis perdu » qu’a constitué le groupe à un moment donné, retrouver des repères leur permettant de vivre sans l’appui du groupe et admettre que ce qu’ils ont subi n’est pas sans lien avec leur histoire personnelle. Pour ce cheminement, « il est préférable qu’ils soient entourés », estime le docteur Topaloff, qui préfère adresser ces patients à un centre de thérapie familiale.

Mais la parade essentielle reste bien évidemment la prévention. La Miviludes propose ainsi de « dresser un inventaire précis et régulièrement actualisé de l’offre à risque », « d’évaluer les contenus, les limites et la dangerosité des pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique » et « d’informer régulièrement le grand public ». Les psychiatres, eux, donnent quelques pistes sur les signes qui doivent alerter : « Il faut se méfier de quelqu’un qui promet la guérison psychique à tout coup », avertit ainsi le docteur Michel Topaloff.

En ce domaine, la solution miracle n’existe pas – cela se saurait. Quant à Erik Nortier, il met en garde contre les groupes qui proposent de soi-disant « tests psychologiques » minute : « à partir du moment où vous acceptez, vous êtes cuits, prévient-il, parce qu’ils savent que vous n’allez pas forcément très bien. » Des recommandations en apparence très simples, mais qui peuvent éviter à chacun d’entre nous d’être, un jour, pris dans un engrenage fatal.
Marianne GOMEZ