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26 septembre 2008

Sens & souffrance : UNO, NESSUNO, CENTO MILA Michael Randolph au colloque Ffrapim — Sens & souffrance

Michael Randolph au colloque Ffrapim — Sens & souffrance

Contribution au Colloque de la FfrapimFédération française de psychothérapie intégrative et multiréférentielle.

Sens et souffrance

Livré tout chaud du Colloque voici le texte prononcé par Michael Randolph. Nous vous le communiquons sans plus attendre, quitte à enrichir dans les prochains jours notre commentaire critique.

Il fallait que ça arrive un jour, que le cosmopolitisme bienvenu de Michael Randolph révèle une sensibilité et sympathie anglo-saxonne au chant des sirènes neuroscientifiques. La question n’est nullement pour la psychanalyse et la psychothérapie relationnelle de refuser l’ouverture. Elle est de se protéger contre un assaut généralisé du cognitivisme et de l’idéologie qu’il comporte et qui le porte, sur le lieu de la bataille qu’est l’université, contre la psychanalyse (1).

La question est complexe par ailleurs, puisqu’aussi bien on constate de longue date que des psychanalystes pillent le corpus de la psychothérapie relationnelle sans citer leurs sources, ce qui prouve tout de même que leur temps du mépris commence à connaître son terme, pour écrire de beaux textes, par exemple sur le corps et les deux premières années de la vie, tout en gardant la clinique de suivre pratiquement les discours en question — reliquat de quelques pesanteurs.

La question des neurosciences reste ouverte, et l’incuriosité n’est pas de notre fait, pas davantage qu’une pensée {tendance. Le recoupement des avancées neuroscientifiques — au demeurant plus modestes que leur médiatisation le laisse parfois entendre, avec les données de la psychanalyse et de la psychothérapie relationnelle réjouira les chercheurs. Ce qui les réjouira moins, c’est la coupure et non le recoupement — la racine reste la même mais amputation n’est pas imputation, des crédits et recrutements en direction des pôles de la psychodynamique, au bénéfice d’une hégémonie cognitiviste liquidatrice (2) de la psychodiversité.

L’idéologie cognitivo-DSM à laquelle les neurosciences servent de façade nous a munis en une décennie d’un cerveau en lieu et place d’inconscient, de dynamique de la subjectivité et relationnelle. Une spectaculaire bataille idéologique et culturelle se déroule sous nos yeux, prenant à la gorge les mandarins psychanalystes. L’ouverture doit fonctionner dans les deux sens, sous peine de constituer une opération de liquidation intellectuelle habillée de vertueuses paroles, d’un héritage que nous humanistes toute catégories confondues avons intérêt à protéger.

Bien entendu nos psychanalystes nationaux tombent parfois dans le travers que dénonce Michael Randolph d’une arrogance et autosuffisance affligeante, fondées sur un théoricisme fier de faire chatoyer le tissu de beaux costumes qui pourraient finir par devenir traditionnels puis traditionnalistes. Mais la ridicule vanité du petit tailleur de Samuel Becket fonctionne en réalité dans les deux sens, et les cognitivistes pantalonnent de leur côté de belle manière, des modèles qui donneraient envie de redevenir sans-culotte, lisez là-dessus ici même Roland Gori.

Que ce texte vous rende critique c’est tout ce que nous souhaitons. L’ouverture est toujours souhaitable,} however pas en tout état de cause une colonisation néoconservatrice à marches forcées.

Bonne lecture et réflexion à tous.

Philippe Grauer


Les intertitres sont de la Rédaction.

Inséparable

La dernière pièce de théâtre de Pirandello Uno, nessuno, cento mila , est l’histoire d’un homme qui, à sa grande surprise, se rend compte que ceux qui le connaissent ont une idée de lui n’ayant rien à voir avec ce qu’il pense être lui-même. Il essaie par des stratagèmes divers de se piéger, se « saisir en action » afin de clouer une fois pour toutes l’identité dont il commence à désespérer de la réalité, pour, à la fin se rendre compte qu’il n’est pas réellement définissable séparé des autres de la manière qu’il avait imaginée et qu’il faille se rendre compte qu’il est un, qu’il est personne et qu’il est cent mille.

Cessation d’activité

Lorsque j’ai choisi ce titre je ne savais pas trop ce que je voulais y mettre. Eh bien, pour égocentrique que ce soit, je vais y mettre moi, et puis nous. Moi, parce que je vais arrêter mon cabinet de psychothérapie relationnelle individuelle en décembre de cette année après trente et un ans, dont 22 à Toulouse et 15 également à Castres dans le Tarn. Je continuerai certes en tant que formateur, superviseur et psychothérapeute de groupe, mais je ne me reconnaîtrai pas si facilement les lundis matins sans jeter un regard dans mon petit agenda noir, sachant bien en réalité qui m’attend, qui risque d’être en avance dans la petite salle d’attente et qui, essoufflé après deux étages à la hâte, en retard. Moi, parce que tirer un bilan de mon activité et du milieu dans lequel je l’ai exercé pendant ces années me permet de parler, j’espère, avec une certaine résonance aussi bien du sens que du non-sens dans ce métier et du bien curieux trafic qui existe parfois entre les deux.

Sens minimal d’insertion dans l’existence

Nous aussi, parce que nous dans la psychothérapie relationnelle ainsi que dans la psychanalyse, nous souffrons. Toujours plus depuis quelques années, ballotés et bafoués que nous sommes par des insultes envers notre professionnalisme et les intentions profondes qui nous animent, par du mépris venant de toute une classe politique à quelques bienvenues exceptions près, ainsi que de ceux qui, alliés de circonstance de temps à autre, démontrent régulièrement une incuriosité radicale à notre égard. Cette souffrance se voit peu. On n’erre pas dans la rue, personne ne nous propose des tentes, mais il est vrai que, déstabilisés et assez choqués par tant de suspicion “officielle”, par des doutes par rapport avec la pérennité de notre profession sous une forme reconnaissable, par la crainte des jeunes et moins jeunes étudiants de suivre un chemin ardu qui ne mènera peut-être nulle part, notre profession est blessée, blessée jusque dans sa capacité à porter le mal à vivre d’une quête partout présente de ce que j’appellerais le SMIE ou sens minimal d’insertion dans l’existence.

Lutte politique

La thèse que je soutiens aujourd’hui c’est qu’une partie de ces difficultés nous incombent. Ma position, en tant qu’estranger, à la fois en dedans et en dehors de l’échafaudage professionnel de la psychothérapie relationnelle en France me permet une vision des choses que j’espère excentrée plus que déplacée, délestée plus que décalée. Face aux pouvoirs publics, qui, comme partout, cherchent à définir des cadres professionnels pour permettre un assujettissement fiscal et éducatif simple à gérer, nous avons décidé d’engager une bataille politique. C’est très bien ainsi, et grâce notamment à Jean-Michel Fourcade, Philippe Grauer et les “quelques autres” dont parlait Lacan, nous avons gagné bien plus que des escarmouches.

Bataille intellectuelle

Or, dans notre cas, la pression politique et structurelle s’est doublée d’une autre atteinte à notre liberté et à notre intégrité, à savoir une délégitimisation progressive de notre manière de travailler, en faveur d’une démarche prescriptive, relationnellement minimaliste, une démarche limitée à un échantillon en dégradé d’améliorations de comportement, le tout très superficiellement ancré dans la recherche issue des neurosciences et de la théorie du développement. Ici aussi, nous avons décidé, à l’encontre de l’attitude militante dans bien d’autres pays, que la bataille serait surtout politique. Ma thèse est qu’à négliger la bataille intellectuelle, l’engagement scientifique autour des articulations entre l’expérience et les théories issues de notre clinique psychodynamique d’un côté et celles qui proviennent de la théorie de l’attachement, de la recherche psycho développementale, ainsi que des découvertes dans la domaine des neurosciences, nous nous enfonçons plus que nous nous détachons et que finalement nous nous amputons de ce qui a toujours fait notre force, une immense curiosité rigoureusement articulée.

Changement catastrophique

Pendant que je préparais ce discours, par hasard, en ouvrant un tiroir à la recherche d’une facture, je suis tombé sur un article de José Luis Goyena, ici présent. Il s’appelle : “ W. R. Bion, une théorie pour l’avenir ”. Il commence avec la citation suivante de Bion : “Il y a des modalités différentes de considérer la même chose — il s’agit d’une sorte de diaphragme, une césure, l’ « impressionnante césure de la naissance”. Il y a une quantité impressionnante de césures qui imprègne la naissance des idées. Et à chaque fois que quelqu’un a une nouvelle idée — par exemple psychanalytique — elle devient immédiatement une barrière, quelque chose de difficile à pénétrer. Au lieu d’être libératrice, elle devient emprisonnante. Ainsi même quand on est en train de chercher à formuler une idée qui pourrait être libératrice, nous formulons déjà une autre césure qui court le risque de devenir impénétrable.” Bion parle souvent de changement catastrophique dans ses écrits. Voici qu’il applique ce concept aux idées. “Le changement catastrophique, écrit Goyena plus loin dans l’article, est associé à une transformation. Elle nous indique qu’on n’est plus en présence d’un désastre, tel un monde enseveli, mais d’une évolution où dorénavant plus rien ne sera comme avant.”

Psychanalyse locale un peu short

Avant de revenir à Bion, je veux faire un saut en arrière de vingt trois ans, lorsque, fraîchement débarqué dans le Tarn, j’animais quelque petits stages de formation à l’hôpital psychiatrique Philippe Pinel de Lavaur. A cette époque-là les infirmiers psy avaient une formation propre, autogérée (et ils ne se portaient pas plus mal pour autant) et ils invitaient qui bons leur semblaient à venir compléter l’offre formatif. On m’a, dans la foulée, invité également à participer en tant que conférencier à une colloque de l’Association des jeunes psychiatres au même hôpital. Le directeur du clinique, un psychanalyste de grande renommée, qui n’était plus très jeune, lui, a parlé à ce colloque. Je ne sais plus aujourd’hui si c’était au cours de son discours — j’ai un peu de mal à y croire — ou en aparté au déjeuner, que j’ai entendu raconté pour la première fois l’histoire d’une de ses patientes en analyse, qui, longeant les cours de tennis derrière l’hôpital un jour par hasard, a aperçu son analyste dans ses shorts en train de jouer au tennis. Il a dû immédiatement arrêter la cure, vous imaginez bien, et envoyer la dame en question chez un collègue à Toulouse. Ce qui est proprement intéressant dans cette histoire est que je l’ai entendu répétée venant d’autres bouches — toujours des Vauréens (c’est ainsi qu’on appelle officiellement les habitants de Lavaur) — au moins cinq ou six fois à travers la dizaine d’années suivantes, en thérapie, dans une fête, lors d’un déjeuner avec collègues etc. Une personne qui connaissait la patiente en question (il n’y avait que 5000 habitants à Lavaur), m’a indiqué qu’elle n’avait jamais compris pourquoi son analyste l’a renvoyé et puisqu’elle devait se déplacer pour faire son analyse à Toulouse ensuite, elle ne s’en était jamais réellement remise.

Réactions aux idées nouvelles

En dehors du plaisir que peut ressentir quiconque d’avoir des jambes d’une virilité si éblouissante (et rien que des jambes, ça va de soi), la façon dont la psychanalyse était comprise dans la ville de Lavaur était puissamment marquée par cet anecdote démontrant à la fois l’explosivité potentielle du transfert érotique sur l’analyste ainsi que son infini sensibilité précautionneuse. On voudrait construire un mythe la sacralisant pour l’éternité, on ne s’y prendrait pas autrement. Avec la juxtaposition de cet anecdote, on comprend mieux en quoi Bion, et Goyena dans sa lecture de Bion, est amené à parler de l’effet catastrophique de nouvelles idées sur la mystique d’idées reçues ou convenues, et comment ces nouvelles idées ou lectures des évènements risquent de heurter des récits, comme ici, si délicieusement générateurs de ce que l’on appelle en anglais awe (ce mélange d’effroi et d’admiration que le Dieu de l’ancien testament inspirait si abondamment). Goyena, lui, souligne la turbulence émotionnelle que suscite l’irruption de nouvelles idées au sein d’un Establishment (mot bien anglais et pour cause, nous le connaissons bien) et dit que cette zone de turbulences provoque une situation critique de grande intensité ; et la situe au moment où la relation commensale, ou neutralisante (je l’explique dans un instant) peut évoluer vers une relation symbiotique, ou de croissance réciproque.

Trois types de réponses

Il faut bien admettre et on ne doit surtout pas nier que toute rencontre du monde de la recherche scientifique, même centré autour de la recherche sur la subjectivité, avec le monde enraciné dans la clinique relationnelle est forcément une rencontre de la carpe et du lapin, du choux et du chèvre, mais comme on le sait depuis l’essor de la cuisine nouvelle, bien des cohabitations inédites peuvent enrichir notre palais ainsi, et c’est ma perception, que notre palette de possibilités. Bion, toujours au sujet des rencontres qui détonnent et qui fâchent, désigne trois types de rencontres d’idées novatrices avec une tradition conceptuelle (éventuellement un dogme) bien établie.

– La première est ce qu’il nomme commensale où des idées cohabitent sans interrelation. Pour citer Goyena : “L’exemple serait celui d’une communauté scientifique qui ferait vivre dans son sein toutes les théories et tous les courants de leur science ; dont les membres ne s’intéresseraient jamais au modèle véhiculé par chacune de ses théories. Une sorte de “autisme théorique” frapperait ses membres, qui se réuniraient pour parler sans écouter, où chacun resterait encapsulé dans sa propre théorie ou dans son propre système.”

– Une autre serait parasitaire où, encore à citer Goyena “l’individu porteur d’une idée novatrice et le groupe, le contenu et le contenant se dévitalisent réciproquement, se dépouillent de toutes signification… Le contenant dépouille l’idée nouvelle de sa capacité pénétrante et le contenu dépouille le contenant de sa capacité réceptive.”

– “Les relations du troisième type qui désigne une modification réciproque du contenant et du contenu, Bion les nomme symbiotiques… La croissance réciproque produit une riche signification émotionnelle et symbolique (Love, Hate, Knowledge — Amour, Haine, Connaissance). Cet apprentissage implique “l’abandon de la position paranoïde schizoïde au profit de la position dépressive” dit Bion et Goyena ajoute, “qui devient alors le moteur d’une croissance interne.”

Théories savonneuses

Alors revenons à la carpe face au lapin, la chèvre regardant d’un œil plus que suspicieux le beau plateau de roquefort ou de maroilles. Le monde de la recherche scientifique n’offre pas de gages évidents d’interactivité pour ceux qui sont plongés dans leur expérience clinique, essayant, non sans mal, de comprendre ce qui se trame à la lumière de théories souvent insaisissables comme un morceau de savon. D’abord ce monde là n’a pas de but, pas de désir affiché ou plutôt affichable et quoi qu’on se plaise à dire dans le milieu psychanalytique français, nous psychothérapeutes relationnels et psychanalystes sommes tous assez puissamment mus par un désir de répondre de façon au moins adéquate à la demande du patient en face de nous, même si nous ne sommes pas du tout d’accord sur la nature de la demande en question.

Premiers mois de la vie

Alors l’impertinence, l’inapplicabilité évidente de beaucoup des articles émergeant de la recherche, comme ceux sur les premiers mois de la vie du bébé, a de quoi refroidir toute ardeur d’aller voir de plus près, de pénétrer une terminologie truffée d’hésitations semblent-t-il superflues, coiffée par des conclusions qui semblent ne rien conclure du tout, le tout avec une bibliographie trois fois plus longue que l’article lui-même. Pour parler de façon populaire, pourquoi diable se les farcir ? Eh bien, parce que cette recherche-là est en train de changer profondément notre compréhension du développement psycho physique du petit d’homme, des étapes dans sa capacité d’appréhender le monde qui l’entoure et lui-même dans ce monde, notre compréhension aussi de la contingence ou dépendance pour un développement suffisamment bon sur la richesse et justesse des réactions qu’il suscite, de la nature des interactions nécessaire a une croissance soutenue et, oui, réussie et comment, assez précisément tout cela se passe. Ajoutons à cela qu’une bien meilleure compréhension de la genèse et l’évolution des pathologies de la personnalité, les fameuses “troubles” de la personnalité, nous permet sans doute de commencer à entrevoir des possibilités, embryonnaires certes, sous des circonstances assez réduites sans aucune doute, d’infléchissement de l’interaction au niveau clinique et c’est peu de dire que, oui, tout ça nous concerne.

Sydney Pulver et les neurosciences

Faisons entrer le Dr Sydney Pulver, psychanalyste et didacticien américain, professeur de psychiatrie clinique au University of Pennsylvania School of Medecine auteur d’une article titré “ On the Astonishing Clinical Irrelevance of Neuro-Science”, “De l’étonnante impertinence clinique des neurosciences ,” titre, comme il dit dans le premier paragraphe, fait pour choquer, le cas échéant secrètement gratifier, ses collègues analystes. Dit brièvement, il croit que les neurosciences ont le potentiel d’influencer de façon significative notre théorie générale du psychisme (Theory of the Mind) et, donc, d’influencer notre façon de comprendre nos patients, mais que tout ceci a peu d’impact sur notre technique clinique. Interrogé sur ce qui semble être une contradiction massive entre le titre et l’énoncé, il écrit “il n’y a pas de contradiction, parce que j’utilise le terme clinique de façon spécifique. Je me réfère à comment nous sommes avec nos patients, à notre méthodologie clinique, notre technique, notre façon d’écouter, le “timing” de nos interventions, notre attitude psychanalytique.”
Pour clarifier mes termes, dit-il plus loin, il est évident qu’autrefois notre théorie a avancé énormément lors de la reconnaissance de facteurs préœdipiens, alors que notre technique de travail, elle, ne changeait que peu.

Théorie de la motivation

Les changements de technique que nous avons vécus au cours des derniers quarante ans sont liés au développement dans la théorie de la clinique et non aux développements dans la théorie du psychisme. Un exemple est le changement saisissant dans la clinique en conséquence de la transition d’une psychologie d’un sujet à une psychologie à deux sujets. Le but de l’analyste, poursuit Pulver, est la recherche de compréhension et comment la communiquer. Tout le sens de notre technique analytique est de faciliter ce qui va dans ce sens. S’il y a un principe prédominant qui gouverne notre comportement dans la situation psychanalytique, c’est que nous tentons de comprendre les motivations personnelles, spécifiques du patient en question, particulièrement comment ces motivations s’expriment dans la situation psychanalytique et d’aider le patient à les comprendre aussi.

Peu de choses par rapport au sens de ces motivations

Ce qui nous importe sont les contenus et les motivations spécifiques du psychisme de notre patient et les processus spécifiques qu’il utilise pour les réguler. Les neurosciences aident à clarifier les sous strates d’où émergent ces motivations. Elles auraient également quelque chose à dire au sujet du fonctionnement général des motivations au sein du psychisme, mais par sa nature même, elle peut nous dire peu de choses par rapport au sens de ces motivations pour l’individu. Et il termine “Les neurosciences ne peuvent en principe en rien contribuer au technique psychanalytique.”

Changement dans l’air

Ensuite il énumère ce que les neurosciences peuvent nous offrir et dans quels domaines : un changement est dans l’air, dit-il. Tout particulièrement la démonstration claire et indiscutable des systèmes divers et spécifiques de motivation dans le cerveau commence à avoir un impact, à se faire entendre. Ces systèmes spécifiques et distincts de motivation incluent bien évidemment la sexualité, l’agression, mais aussi l’attachement social, la dévotion maternelle, la faim, la soif et la sécurité, ainsi qu’un système plus généralisé, à la recherche de, qui serait responsable de la sensation de désir qui accompagne toute motivation.

Théorie des affects

D’autres terrains d’intérêt mutuel sont la théorie des affects — ventilation énergétique des pulsions selon la première topique, système complexe de communication selon les théories psychanalytiques récentes ainsi que d’après les recherches en neuropsychologie. Ou bien, et bien plus probable selon moi, les deux, mon Général. La théorie structurel du fonctionnement psychique, ça, moi, surmoi, dont la théorie n’intéresse plus grand monde aujourd’hui, se trouve ravivée par des découvertes touchant aux systèmes qui centralisent le processus de choix entre différents possibilités d’action, les systèmes d’hiérarchisation de priorités etc. En dehors de ces deux là, on pourrait aussi nommer la psychologie évolutionnaire, la communication non verbale, les effets de médicamentation et, last but not least pour nous autres psychothérapeutes, les mécanismes d’action thérapeutique.

Deux domaines non interpénétrables

Pour conclure, Pulver dit le suivant : “des philosophes diraient qu’aussi bien le contenu que la méthodologie des deux sciences sont différents et que l’information avec laquelle ils travaillent sont dans des domaines différentes et non interpénétrables. Ceci est vrai. Non seulement ils utilisent des méthodologies différentes mais ils ont également une approche différente envers la formulation d’hypothèses et leur justification. Chacune de ces sciences a développé ses propres théories. Or nous parlons chacun du psychisme et du cerveau, même si c’est à partir de perspectives différentes, et inévitablement, donc, elles ont une relation l’une avec l’autre. Quelle est cette relation ? Eh bien on se retrouve ici avec le vieux problème psychisme/cerveau.

Trois types de réponses

Grosso modo, il ya trois réponses types :

réductionniste où tout ce qui se passe dans le psychisme est réductible et compréhensible en fonction d’activité cérébrale. La théorie de chaos ou de complexité à déterminé cette dispute en faveur des anti réductionnistes.

– Le dualisme, qui argumente que rien de l’esprit ou du psychisme ne peut être compris en fonction du cerveau. Impossible à concilier avec le sens commun, cette attitude laisse la psychanalyse sans relation aucune avec d’autres sciences au monde et est par là profondément insatisfaisante.

– La troisième attitude, la congruence dirait que les explications psychanalytiques doivent au moins ne pas être en désaccord flagrant avec ce qui a été découvert dans les neurosciences ou la psychologie de développement.

Terminologie d’échange ?

Au moins faudrait-il pouvoir comparaître des hypothèses concurrentes et pour ceci œuvrer à trouver une terminologie d’échange suffisamment articulatoire des deux versants scientifiques. Certains ailleurs cherchent à le faire, cherchent, et j’utilise exprès une terme très répandu dans les débats géopolitiques dans le Midi-Pyrénées, un désenclavement de la science psychanalytique. C’est encore très peu le cas en France.

Menace de fracture

Dans son article sur Bion, Goyena cite Suzanne Langer qui parle d”idées génératives” dans l’histoire de la pensée. En pensant à ce terme, je me suis remémoré la couverture d’un journal scientifique que j’avais acheté au début des années années 80, qui montrait une illustration de leur article centrale sur le refus de la science soviétique d’accepter l’hypothèse sur le mouvement des plaques tectoniques avancé déjà dans les années 20 par Alfred Wegener, avec très peu de soutien à l’époque. Arrivé les années quatre-vingt, leur refus obstiné et continu de ce que tout le monde avait accepté depuis longtemps commençait à relever d’une psychose de différentiation à tout prix. L’illustration montrait un de ces statues du prolétaire stakhanoviste cher au Soviets, un immense marteau dans ses bras musculeux, debout sur deux plinthes, qui toutefois s’éloignaient l’une de l’autre menaçant tout l’édifice de fracture définitive.

Écart impressionnant

Des questions clés se posent par rapport à l’écart impressionnant entre l’accueil relatif mais réel aux recherches issues des neurosciences et de la psychologie du développement dans la plupart d’autres cultures psycho dynamiques en Europe et ailleurs, et le refus assez complet de toute pertinence pour ces mêmes recherches dans la domaine de la psychothérapie psycho dynamique en France.

Impossible rencontre

J’ai procédé à un petit sondage visuel dans la plus grande librairie de Toulouse, Ombres Blanches, pourvue d’une section bien fournie sur la psychanalyse, la psychothérapie et la psychologie. Je n’ai pu trouver qu’un livre qui parlait explicitement, et brillamment d’ailleurs, de cette articulation, ou, comme l’aurait dit sans doute l’auteur, Eric Laurent, lacanien, cette dés-articulation. Il y avait un texte académique ou deux sur la science des théories de la cognition. Il y avait bien des livres dont les titres laissaient espérer une articulation avec les sujets sociologiques que sont mariage, adolescence, infertilité, suicide, etc., mais seulement cet unique livre de Éric Laurent au sujet dont nous parlons et dont la thèse soutient radicalement la thèse de l’impossible rencontre entre psychanalyse et neurosciences.

Le modèle anglo-saxon

En Angleterre en revanche, au temple du livre psychanalytique à Londres, à Karnac Books dans la Finchley road, on trouverait, je pense bien, 10 à 15% des œuvres qui touchent de près ou de moins près l’articulation que je viens de nommer. Posons tout de même la question difficile qui s’impose. Pourquoi cet écart étonnant ? Est-ce que le monde anglo-saxon s’est entiché pour un simple mirage qui disparaîtra lorsqu’on le regarde de plus près ? Est-ce que de nouveau le caniche anglais s’est laissé séduire par l’idée passablement œdipienne d’être le favori d’Oncle Sam, gros balourd disgracieux et un être cynique s’il y en a, lui-même entièrement soumis à la bonne volonté d’un monde académique inféodé aux grandes centrales pharmaceutiques et d’assurances privé de santé, qui veulent effacer une fois pour toutes l’absurdité subversive qu’est l’inconscient, et bien sûr la psychanalyse avec ?

Réductionnisme au village gaulois ?

Ou bien est-ce que le village gaulois aurait saisi les choses à l’envers (ce ne serait tout de même pas la première fois) et, par une acte intérieur de violence téléologique, en confondant les effets possibles avec les buts recherchés, se serait auto persuadé que l’inévitable intention de la recherche en neurosciences est de réduire l’ensemble des phénomènes psychiques à ce qui pourrait être mesuré à l’aide d’un électro encéphalogramme d’où un réductionnisme effréné culminant dans la mise à mort préprogrammé de l’inconscient?

« Intelligent Design » neuroscientiste

Revenons au livre d’Eric Laurent, que je n’ai pu que feuilleter l’ayant découvert il y a quelques jours, qui a infiniment le mérite de refuser d’ignorer tout ce débat. Or pour brillant qu’il soit, pour ample que soit le jet de son filet dans les eaux de la recherche neuroscientifique, il manifeste un parti pris avec lequel je suis en désaccord complet. Les neurosciences veulent faire disparaître le concept de l’inconscient, laisse-t-il comprendre. À nous, semble-t-il conclure, de chercher ses incohérences, ses pieds d’argile, afin de sauver l’inconscient ou ce que l’on doit finalement appeler notre “fond de commerce”. L’Intelligent Design, ou créationnisme ne s’y prendrait pas autrement face au darwinisme.

Oreille électronique et silence psychanalytique

Je vais devoir vous embêter avec une autre anecdote de mes premiers années à Toulouse. Mais je crois que ça s’impose. Un an après la conférence à Lavaur, un ami psychanalyste, porteur d’une vision très éclectique des choses, et qui a aidé, par ses écrits, à faire connaître l’Oreille électronique de Tomatis, a organisé une conférence à Toulouse de trois jours sur le son. Un long après-midi psy était programmé et j’étais un des invités à parler lors de cet après-midi. La séance a commencé avec quelqu’un de l’Université de Strasbourg qui avait écrit un livre sur Freud et le son. Plus que 300 pages pour nous dire que le son n’intéressait pas beaucoup Freud mais qu’il avait écrit une fois à Fliess en espérant que ses idées “fassent du bruit”. C’était un peu maigre. Ensuite deux intervenants ont parlé de silence, dont un s’est focalisé sur le silence dans la séance en évoquant les silences anales, les silences vaginales et les silences uréthrales. Quelqu’un a ensuite timidement demandé un peu plus d’information sur le silence uréthrale et je me souviens seulement qu’après la réponse, que personne n’a semblé comprendre, il y avait, là, un très long silence.

Droit d’inventaire

Nous avons été et nous restons souvent dans la difficulté à décider quoi retenir de cette vaste culture. Il serait absurde de ne pas nous octroyer ce que Lionel Jospin a autrefois appelé un “droit d’inventaire”. Tiraillé entre une fierté justifiée par rapport à la richesse clinique, conceptuelle et théorique des apports français au mouvance psychodynamique dans le monde d’un coté, et la difficulté de refuser le sobriquet de Précieuses ridicules à d’autres manifestations de la même culture, on pourrait peut-être utilement commencer au moins en suivant la prescription de Wladimir Granoff : Comme nous ne savons pas quoi croire, ni qui, faisons l’historique de nos croyances.

L’opération Livre noir

Je parlerai un peu plus de ce sujet dans un moment, car en même temps, et indéniablement, notre culture se fait lourdement et tendancieusement attaquer par une vraie industrie de la dénonciation. Au travers des ouvrages comme le Livre noir de la psychanalyse avec son détestable sous-entendu que l’échelle des victimes de la psychanalyse serait comparable en quoi que ce soit avec le nombre de victimes énuméré dans le Livre noir du communisme publié quelques années auparavant, il y a une vraie conspiration de démantèlement à l’œuvre, le choix du titre nous le dit clairement.

Pour un regard plus ouvert, moins défensif

Alors rester sur une dénonciation des dénonciateurs ? Ou faire autrement. Vous l’avez bien compris, je crois, que je suis impatient de nous voir faire autrement. Pour cela, il est probable que “faire l’historique de nos croyances”, selon Granoff, serait une bonne entrée en matière. On pourrait déjà nommer l’évolution des certitudes par rapport aux “déviances” comme un objet d’étude riche. Un récapitulatif du développement de la pensée psychanalytique par rapport à la homosexualité ne ferait de mal à personne. Les positions fermes et fermées par rapport à l’autisme comme symptôme d’une faille parentale de même. Bref, un regard plus ouvert, moins défensif sur nos pratiques et l’évolution de nos théories serait sans doute notre meilleur vraie défense par ces temps qui courent.

Saisir l’ortie par les cornes

Le mieux connu des jeunes analystes chercheurs écrivains en Grande Bretagne s’appelle Peter Fonagy. Un de ses multiples ouvrages récents (quand est-ce qu’ils dorment ces gens-là ?) est un article où il écrit avec beaucoup de candeur sur le problème d’essayer de persuader le monde psychanalytique et psychothérapeutique de s’engager dans la recherche. Le titre est Psychanalytical research: Grasping the nettle où il parle de la difficulté de persuader ses collègues psychanalystes de s’engager sur quelque recherche un tant soi peu contraignante. “Saisir l’ortie” en anglais est traduit dans le dictionnaire par attraper le taureau par les cornes. Moins héroïque comme geste (du reste nous savons aussi “seize the bull by the horns”), plus banal, il est parti pour faire mal, mais le proverbe laisse entendre que l’on ne peut plus refuser d’en passer par là.

Incuriosité professionnelle

Et voilà, je crois qu’on ne peut plus refuser de passer par une résurgence de notre curiosité envers ce qui se trame dans des disciplines proches de la nôtre. L’incuriosité professionnelle trop longtemps et passivement agréé devient à mon sens de l’incurie professionnelle. Dis autrement je crois fermement qu’il y a engagement d’un coté et de l’autre désengagement. L’engagement auprès d’un dialogue avec la psychologie du développement, auprès des neurosciences est risqué pour nous peut-être mais a-t-on bien mesuré la risque de ne pas prendre ce risque? Dans La guerre du feu, ce film de Jean-Jacques Annaud d’il y a vingt cinq ans, l’on voyait le terrible risque que prenait les uns et les autres non seulement pour retrouver leur cadeau prométhéen une fois perdu, mais aussi pour entrer en contact les uns avec les autres. Pourquoi ? Parce que, consciemment ou inconsciemment ils avaient intégré les dangers d’une consanguinité qui allait forcément terminer dans la stérilité et la folie et donc le non-sens radical. À nous d’oser esquiver les tentations d’une consanguinité défensive et de nous mettre à la recherche d’articulations certes régulièrement frustrantes mais porteurs in fine de fertilité.

Pantalonade à la française ?

Je voudrais terminer par une petite histoire juive que Samuel Beckett avait insérée dans un de ses livres. Un gentleman anglais se rend chez un tailleur juif exceptionnellement habile dans un des quartiers pauvres de l’est de Londres. Il lui commande un pantalon de la meilleure qualité et de la meilleure coupe. Mesures et rendez-vous sont pris pour essayer le pantalon dans un mois. Lorsque le gentleman revient, le pantalon est tout sauf prêt et le tailleur explique à quel point il est difficile d’effectuer un travail d’une telle qualité en si peu de temps. Le gentleman revient le mois après et se voit administrer plus ou moins la même argumentation. Vaines expostulations puisque le mois d’après c’est encore la même histoire. Bref, le pantalon, commandé à l’automne sera finalement — finalement ! prêt au printemps. Le gentleman prend livraison et adresse au tailleur de reproche final : “Monsieur, Dieu a créé le monde en six jours et vous, il vous aura fallu six mois pour me confectionner seulement un pantalon.”
“C’est vrai, Monsieur, lui répond le tailleur, mais Monsieur, regardez le monde ! en roulant ses yeux, las de tant d’horreurs, vers le ciel, et regardez, regardez ce pantalon !” avec un large sourire béat de fierté. Dans la psychanalyse et la psychothérapie relationnelle en France, ne sommes-nous pas en danger de nous isoler dans la même pantalophilie?