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14 avril 2006

Situation favorable au prix d’une certaine confusion Philippe Grauer

Philippe Grauer

IATRO, PSYCHOLO, PSYCHANALO et les autres

ou quatre mois avec sursis pour le Grand pas lavé

13 avril 2006

DERNIÈRE MINUTE : Nouvelle méthode, à la CPE, on fabrique une méchante loi, en ne discutant pas comme il faut avec les intéressés. Ensuite on l’habille mal, mais ça n’est pas l’habillage qui a « comme un défaut » c’est le corps de la loi. On commence par corseter jusqu’à l’étouffement la psychothérapie relationnelle, ça ne va pas, tout le monde proteste car chacun est mal loti. Bon, on la déshabille. Ce qu’il aurait fallu faire, c’est la suspendre, pour la reprendre du tout au tout.

Comment va se poursuivre le processus ? À présent qu’on a déshabillé Pierre psychologue pour habiller Paul psychothérapeute, jetant sur le marché collatéralement une masse potentielle de psycho-pirates (voir ce terme ci-infra), que va-t-il se passer ? Peut-être rien. Sauf que nos institutions s’affaiblissent à malajuster ainsi la loi.

Évidemment, au passage nos écoles sont à peu près reconnues. Qu’est-ce qui peut s’engouffrer dans cet à peu près ? Ce pas en avant méritoire mérite réflexion.

Cette liste de prénoms aux sonorités étranges résume l’esprit de la loi 52, qui préformate jusqu’à présent le décret d’application. Changement de décor, de programme, d’acteurs au Ministère de la Santé disions-nous. La trame de la pièce n’a pas changé si elle se trouve remaniée. Des trois mousquetaires des travailleurs du psychisme, le quatrième, réhabilité dans une certaine confusion, continue d’être traité à part.

Je résumais la situation dans mon article d’avant-hier : « les autres, c’est nous ». La formule est inexacte. Nous demeurons pris dans le vrac de l’ensemble hétéroclite des autres. Il y a nous, et les autres, et nous sommes comptés parmi eux. Discriminés avec eux, indûment.

Comme la discrimination s’est considérablement affaiblie, nous soufflons. Les autres sont traités à 150 heures et quatre mois, ce qui n’est rien, tout le monde est tombé d’accord là-dessus le 7 avril. Le ministre arrive et bouscule l’architecture Basset. Bravo. Nous avons applaudi cela à l’issue de la réunion.

Tout le monde a pu remarquer que cette dose minime permet la création de la catégorie de sous-psys que les psychologues, les psychanalystes et nous-mêmes redoutions : terrible concurrence déloyale. J’ai abordé à la table de la concertation la question des sous-psys, disant à l’auditoire et au ministre que nous ne relevions pas de cette catégorie, que les garanties, nous les offrions.

Mais nous c’est nous, et les autres c’est les autres. Nous devrions pouvoir, exactement comme les psychanalystes, nous afficher de droit psychothérapeutes, au titre de la psychothérapie relationnelle. Comme eux au titre de la psychanalyse, puisque nous offrons le même type de garanties.

Les autres, les autres autres, les autres moins nous, alors, pourraient se voir logiquement exiger … de passer préalablement par les écoles agréées par nos soins (y compris les médecins), ou de devenir psychologues si cela leur convient, bref, de se former convenablement. Ne rien exiger d’eux démonétise la psychothérapie (que là j’écris tout court). On voit bien qu’il y a toujours un reste. Et que ce reste reste en travers, et de travers. Vaste question, dont la psychanalyse et la psychothérapie relationnelle constituent leur fond.

En ce qui nous concerne, nous avons immédiatement pensé qu’il vaut mieux en prendre pour 150 heures et quatre mois que pour cinq ans, la peine s’est allégée. Nous n’en sommes cependant pas encore à l’acquittement. Pour que le décret soit équilibré, il suffirait disais-je plus haut qu’on fasse droit à notre revendication constante d’être traités exactement comme les psychanalystes : de droit si régulièrement inscrits dans nos institutions historiques responsables. Mais alors, les 150 heures et les 4 mois ne s’appliqueraient qu’à nous (et dans ce cas, nous représentons que cela n’a plus beaucoup de sens, considéré dans un cursus de cinq années universitaires, sauf qu’un stage en milieu de soin nous intéresse toujours). Pas question en tout cas de créer une cohorte de sous-psys même pas officiers de santé mentale, même pas sous-officiers, simples caporaux, qui viendraient parés du titre de psychothérapeute cochonner le travail des quatre professions.

Nous restons donc pour l’instant confondus avec la masse informe du « Great unwashed« . Je me souviens du titre de cette version sur lequel en seconde je m’étais cassé les dents. L’auteur décrivait la grande masse de ceux qui évoluent dans la ville sur la base corporelle et l’on pourrait dire psychosocio corporelle de celui qui se lave comme il peut, ne disposant pas de salle de bain, dans l’Angleterre de l’immédiat après-guerre. Après deux jours de recherche ardue avec mon copain Michel, j’avais dû renoncer. Nous avons traduit, vaincus, parce qu’il fallait bien mettre quelque chose, Le grand pas lavé, équivalent stylistique de l’immortel Sky my husband à venir beaucoup plus tard.

Faute de voir reconnaître pleinement notre identité, nous voici agglutinés par le présent décret au Grand pas lavé de la dernière lessive ministérielle. L’impulsion nouvelle du ministre a considérablement dégagé la situation, mais la famille psy procédant à sa lessive n’a pas achevé sa tâche. Ce que j’évoquais dans la métaphore de l’acquittement un peu plus haut, consisterait à nous déclarer quittes de devoir franchir un contrôle destiné à d’autres catégories que la nôtre. Légitime revendication, puisque aussi bien nous offrons les garanties exigibles : cinq années d’études spécifiques encadrées par des écoles dont nous répondons de la qualité de ce qui s’y transmet de notre discipline, la psychothérapie relationnelle (et son cortège de psychopathologies spécifiques, la psychanalytique incluse naturellement).

On voit comment, par la logique du reste toujours restant, nous concluons, à peine sur le point de nous voir admis de bon si ce n’est de plein droit à notre place au sein du Carré psy, que ceux qui n’y figurent point pourraient se voir demander des comptes et imposer des exigences, afin de ne pas menacer à la baisse la qualité psy standard répartie sur l’ensemble du Carré. La chasse au reste ne s’achèvera donc jamais ? En ce qui nous concerne nous sommes solidaires de nos collègues du Carré psy dans l’exigence de rigueur, et raisonnables au point de ne pas entrer imprudemment dans le cycle infernal de la persécution.

Le ministre là-dessus s’est montré homme de raison, impulsant avec tonus une saine dynamique. Nous pensons pour notre part que mieux vaut décliner les garanties qu’on propose, que préconiser la chasse aux sorcières qui délite le climat politique et social sans jamais venir à bout du diable toujours seulement parti jouer un peu plus loin (à le pister de trop près on se retrouve en enfer, c’est ce qui a failli arriver).

Il demeure que l’actuelle partie qui se joue ne devrait pas avoir de perdant. La psychologie clinique dont l’enseignement repose sur les acquis de la psychanalyse, ce que l’université appelle psychopathologie, évidemment la terminologie est contournée et prête à malentendu, ne doit pas se voir menacée au passage. Nous soutenons le professeur Gori qui redoute qu’au détour de notre début de reconnaissance ne réapparaisse le spectre du démantèlement de l’édifice psychanalytique au sein de l’université. Nous n’avons aucun intérêt à ce que nos alliés perdent si nous gagnons, nous nous mettrions en posture de tout reperdre. Sans compter que la solidarité c’est fait pour fonctionner dans les deux sens.

Il convient donc de poser qu’il est indispensable que la psychanalyse soit maintenue à l’université et se développe en psychologie clinique puisque c’est ainsi qu’elle s’est fait historiquement héberger . Et cela dans le moment que ne nous soit pas imposé de devenir psychopathologue à l’université en cinq ans pour accéder au droit de devenir psychothérapeute relationnel dans nos écoles les cinq années suivantes.

À ces conditions seulement, nous pourrons commencer à parler d’avancée significative. Nous continuerons d’affirmer que nous sommes compétents pour administrer la psychopathologie dans nos écoles (qui comporte tout l’édifice de la psychopathologie dynamique de la psychanalyse naturellement, je le répète), et former entièrement nos étudiants sous notre responsabilité, jusqu’à les accueillir et titulariser dans le cadre de nos instances syndicales et autres. Mais nous saurons saluer à sa mesure l’avancée du 7 avril. Seulement dans la mesure où elle ne s’accompagne pas d’un recul de la psychanalyse et de son influence au sein de l’université et des établissements publics.

Alors notre propre influence pourra s’exercer de pair avec la sienne dans les mêmes lieux institutionnels, au mieux de la variété et du pluralisme. Alors se développera la confrontation et l’échange entre nos deux disciplines, pour le plus grand bien de la recherche et de la clinique.

Cela dit le décret n’est toujours pas écrit, ni soumis au Conseil d’État. D’autres péripéties nous attendent-elles au tournant suivant ? nous demeurons vigilants et nous préparons comme on nous y a invité à adresser nos propositions et remarques. En politique rien n’est jamais acquis. Nous allons nous employer à consolider l’avancée actuelle qui ne doit en aucun cas s’effectuer au détriment d’aucun tenant disciplinaire du psychodynamisme et du procès de subjectivation, ni au prix de la constitution d’une nouvelle catégorie de psycho-pirates.

Mais jamais plus nous n’accepterons de ne pas être considérés, et même de nous voir comme par le passé scandaleusement déconsidérés, dans notre réalité et dignité épistémologique, institutionnelle et professionnelle. Que cela s’effectue à présent au prix impayable de déclarer qu’il est bien entendu que nous ne constituons pas une profession, formule magique pour signifier le contraire pourvu que ce ne soit pas dit, style psy cause toujours, désigne que cette loi 52 est décidément aporétique et que son seul traitement juste serait son abrogation. En attendant, nous nous maintenons au contact avec nos alliés, et allons adresser nos propositions au ministère.

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Le projet comporte deux sections.

I — La première inscrit sur un registre national des psychothérapeutes, à leur demande

a) les trois catégories de droit : médecins, psychologues, psychanalystes régulièrement inscrits sur leur annuaire associatif

b) les autres, nous, répartis en trois sections

• « grands-parents » justifiant d’au moins cinq années d’expérience en qualité de psychothérapeute à la date de publication du décret

• moins de cinq ans d’expérience, inscrits à titre temporaire jusqu’au 1er janvier 2010, leur maintien sur la liste au-delà étant subordonné à la production de l’attestation de formation en psychopathologie clinique tel que prévu au régime commun, art. 6

• professionnels nouveaux après la publication du décret moyennant deux conditions et une annexe :

— formation en psychopathologie clinique (article 6)

— déclaration sur l’honneur accompagnée des pièces justificatives des « autres formations suivies dans le domaine de la pratique de la psychothérapie »

— à quoi annexer le cas échéant l’attestation de diplôme relatif à une profession réglementée dans le champ sanitaire et social.

II — La seconde comporte deux articles, le 6 et le 7.

• le 6 impose une formation théorique et pratique en psychologie clinique, qui « peut être confiée à l’université ou à des organismes passant convention avec l’Université »

• le 7 définit le « cahier des charges fixé par arrêté du ministre chargé de la santé » : formation théorique de 150 heures, stage pratique d’une durée minimale de quatre mois (fractionnable en cas de besoin) dans un établissement de santé ou médico-social.
Le programme en quatre points dit qu’il faut acquérir

— « une connaissance des fonctionnements et processus psychiques ;
— une capacité de discernement des grandes pathologies psychiatriques

— une connaissance des différentes théories se rapportant à la psychopathologie

— une connaissance des principales approches utilisées en psychothérapie. »

Nous commenterons dans le détail ultérieurement l’ensemble du texte, et publierons dès qu’établi le Verbatim 3 de la réunion.

À chaud, avec les réserves qui restent les nôtres, nous saluons l’avancée que ce texte constitue. Sachant que nos écoles fournissent une formation de qualité élevée pour une durée de cinq années (universitaires) au moins aux psychothérapeutes relationnels qu’elles prennent en charge, nous conservons le sentiment que nous ne contribuerons pas pour notre part à la production des sous-psys que nous n’étions pas les seuls à craindre, nos confrères psychologues en particulier s’en alertant légitimement.

Une première réserve provient du fait que nous administrons fort bien la psychopathologie dont nous avons besoin, et que passer des accords avec la plupart des UFR de psychologie dominées par les TCC risque d’être sportif.
Une deuxième réserve interroge la nécessité de former les médecins au même titre que les autres.
Une troisième réserve remarquerait que nos écoles sont lisibles en filigrane dans le décret, mais en filigrane seulement, avec le risque d’effacement que cela comporte.
Et nous en nourrissons quelques autres, par exemple relativement aux craintes de rendre possibles d’ultérieures opérations sous-psys. Nous répétons qu’en ce qui nous concerne nous sommes à la hauteur des attentes légitimes du public et des pouvoirs publics relatives à la qualité des psychothérapeutes que le Snppsy titularise après sortie de nos écoles agréées.
Nous avons exposé par ailleurs que nos cinq critères et notre code de déontologie représentaient des références responsables et sûres.

Nos réserves ne nous gâchent pas notre satisfaction de la faible dose imposée en psychopathologie universitaire, suffisante vu nos cursus bien pourvus en la matière, alors que totalement irréaliste, l’avant-projet Basset prévoyait une formation de psychopathologue sur cinq années.

Nos prochaines analyses bientôt, ainsi que le texte intégral de l’avant-projet. L’espoir est maintenant dans notre camp. Les psychologues et psychiatres n’ont rien à craindre de nous. Nous entendons veiller à ce qu’ils ne perdent pas leurs positions propres, tout en ne les laissant pas tenter de nous faire rebasculer dans l’horreur en pensant ainsi lutter pour la qualité de leurs cursus. L’un ne doit plus jamais empêcher l’autre.