Nous avons exposé, dans plusieurs articles (1), que ce qu’il est convenu d’appeler « l’amendement Accoyer », devenu l’article 52 de la loi du 9 août 2004, étant strictement contradictoire dans ses termes, toute tentative qui consisterait à écrire un texte d’application de cet article était inexorablement vouée à l’échec. Philippe DOUSTE-BLAZY en avait logiquement tiré la conclusion qu’il ne publierait pas de décret à partir de ce texte.
Son successeur au ministère de la Santé, Xavier BERTRAND, semble, lui, s’en tenir à cet axiome simple : une loi a été votée, elle prévoit un décret, il faut donc le faire, et nous le ferons.
Le parlementaire que je suis est habitué à attendre très longuement — beaucoup trop longuement ! — la publication des décrets. Il devrait donc logiquement se réjouir de cette volonté du ministre de publier un décret, tant est inacceptable le pouvoir exorbitant que s’arrogent trop de ministres de décider… de ne pas appliquer une loi pourtant votée par le Parlement en s’abstenant purement et simplement de publier les décrets : c’est, hélas, très fréquent.
Mais dans ce cas précis, le raisonnement ne tient pas, ne vaut pas, pour la simple raison que le texte de la loi est contradictoire.
On a pu, et on peut toujours, se demander pourquoi il en est ainsi. C’est un beau sujet de réflexion pour les historiens du droit et pour les explorateurs de la psychologie collective. S’agit-il d’une claire volonté qu’il en soit ainsi, d’une manœuvre visant à faire imploser un processus législatif par ailleurs très mal engagé ? S’agit-il, comme je le crois, d’un remarquable lapsus, d’un acte manqué, dont l’analyse eût stimulé Sigmund Freud et bien d’autres ?
On peut en débattre.
Mais cela ne change rien à la réalité de la contradiction qui appelle — si l’on veut vraiment traiter du sujet — que l’on reprenne les choses à leur commencement, qu’on organise une concertation approfondie avec les professions concernées, que l’on voie si la meilleure façon d’avancer relève de la loi, ou relève d’abord de la loi. Pour ma part, je ne crois pas qu’il soit, en l’espèce, judicieux de commencer par le législatif. Le législatif peut, en revanche, être l’aboutissement d’un processus. Mais il faut, pour cela, que le processus ait lieu.
Je viens de parler du sujet. Encore faut-il définir quel est le sujet. Si le sujet s’était limité aux conditions d’exercices de la profession de psychothérapeutes, les choses auraient été plus simples, plus claires et sans doute plus facile. Mais on a vu très vite que cette question n’était que la partie émergée de l’iceberg. Le débat était autre. Il portait sur la psychanalyse et sur la volonté farouche de lui substituer ou, pour le moins, de lui préférer, dans plusieurs champs disciplinaires, le comportementalisme et, en tout cas de « démontrer » que les techniques issues du comportementalisme étaient plus efficaces que la psychanalyse pour traiter la souffrance psychique. D’une certaine façon les psychothérapeutes furent le prétexte à un autre débat, à un autre sujet. Cela montre que, dans cette affaire, tout se tient.
Dans cette démarche impossible consistant à publier absolument —comme s’il s’agissait d’un impératif catégorique kantien — un décret pour appliquer un texte de loi inapplicable, M. Xavier Bertrand en est à la troisième étape, à la troisième mouture. Et comme on pouvait s’y attendre, la troisième version du projet de décret, en date du 30 septembre 2006, est aussi, voire davantage, contraire dans ses termes, tantôt à une partie, tantôt à une autre partie, du texte de la loi que les précédentes.
On a l’impression d’assister à une activité désespérée consistant à faire, de version en version, l’inventaire de toutes les contradictions, et de toutes les contradictions au second degré, possibles. Et l’on est constamment tenté de demander à l’auteur de ces textes successifs pourquoi il agit ainsi. Que cherche-t-il ? Où va-t-il ? À quoi bon cet inventaire, cette énumération, cette taxinomie des impasses ?
À ceux qui douteraient de ce que j’écris, j’exposerai simplement les faits tels qu’ils résultent de la nouvelle mouture de l’avant-projet de décret.
1) En vertu de celui-ci tout médecin, même s’il n’a fait aucune étude en psychothérapie, peut se prévaloir du titre de psychothérapeute, ce qui est contraire au 4ème alinéa de l’article 52 de la loi.
2) Cela vaut pour tout psychanalyste, dès lors qu’il est inscrit sur une liste, ce qui est contraire au même alinéa du même article
3) Aucune définition n’étant donnée desdites listes, aucun accord n’existant avec l’ensemble des sociétés de psychanalystes à ce sujet et la psychanalyse n’étant jamais définie par la loi, il n’existe pas de définition légale du titre de psychanalyste, ce qui réduit à néant toute velléité de « crédibiliser » le titre de psychothérapeute en l’adossant à celui de psychanalyste.
4) Rien n’empêche dans la dernière rédaction de l’avant-projet de décret les actuels psychothérapeutes de se dénommer psychanalyste : je n’ignore pas que la dénomination de psychanalyste est régie par des règles internes à la profession, mais celles-ci ne relèvent pas de la loi.
5) Aucun élément n’est fourni permettant de justifier théoriquement et pratiquement au regard de la loi (je me place ici de ce seul point de vue, n’ignorant évidemment pas qu’il en est d’autres), et donc de l’avant-projet de décret d’application, une différence de traitement entre psychanalyse et psychothérapie relationnelle.
6) Dans la dernière mouture de l’avant-projet de décret, les années de pratiques professionnelles des psychothérapeutes en exercice ne sont plus prises en compte pour l’attribution du titre. C’est totalement contraire, non seulement aux termes de la version précédente (pourquoi ?), mais aussi aux engagements formels pris par les membres du gouvernement lors des débats parlementaires, et dont les comptes-rendus font foi. Pourquoi ?
7) Alors que, dans la précédente mouture du texte, l’Université était à peine évoquée, celle-ci acquiert, dans la nouvelle version, un quasi monopole pour la formation des futurs psychothérapeutes professionnels. Pourquoi un tel changement de cap ? Je veux être là-dessus très clair : autant il me parait légitime et souhaitable que l’Université délivre des formations qui lui sont propres et qu’elle ait pour mission d’évaluer et de valider les formations extérieures conduisant au titre de psychothérapeute, autant il me parait difficilement défendable de considérer que toutes les formations extérieures à l’Université existantes sont nulles et non avenues, alors qu’il en est de qualité.
8) Si cette version du décret était promulguée, les conséquences en seraient simplement nominalistes. Des professionnels n’ayant pas reçu de formation spécifique pourraient contrairement à une partie de la loi, s’appeler psychothérapeutes. Et quant aux psychothérapeutes, ils pourraient légalement s’appeler psychanalystes (et créer de nouvelles sociétés de psychanalystes) ou être contraints – certains l’envisagent sérieusement — de changer de nom pour sauver les formations existantes. S’ils changent de nom, et si on tient aux mêmes logiques, il faudra voter… une nouvelle loi pour définir les conditions dans lesquelles on pourra se prévaloir de la nouvelle dénomination et préparer — évidemment — un nouveau décret. Beau résultat !
N’est-il pas plus sage d’en finir, une bonne fois, avec cette machine infernale et d’engager enfin sur des bases plus claires et plus rationnelles, et sans a priori, un travail approfondi associant les représentants des ministères compétents et ceux des professions concernées ?
Jean-Pierre SUEUR
Sénateur du Loiret