La souffrance au travail se développe comme malaise social généralisé. Avec le harcèlement moral et la mise au placart comme méthode de relations humaines, avec les travaux de Vincent de Gaulejac sur le managérisme, de Roland Gori et Marie-José Del Volgo sur l’homo comportementalis on sait depuis un moment que la vie au travail peut ressembler à un enfer.
Pourquoi ne pas installer des chambres fraîches pour se reposer un moment de la fournaise, et repartir plus apte à la supporter ? Il faudrait savoir si le psy de service a pour mission de vous aider à mieux y retourner ou de vous accompagner parfois si cela vous vient dans la découverte peut-être du sens de tout cela et du non sens de consacrer votre existence à un monde inhumain déshumanisant, bref de vous aider à vous retourner vous.
Quel type de psy serait installé, auquel donnerait droit le fameux ticket ? les intérêts de qui servirait-il ? quelle serait son éthique et sa méthodologie ? comment serait garantie son indépendance réelle ? Plus que jamais des psychothérapie relationnels bien formés par de bonnes écoles agréées par la profession, et syndicalisés, constitueraient en un tel contexte un élément susceptible de rassurer ceux qui chercheraient sur place un recours dans des situations invivables.
On sait par ailleurs depuis longtemps aussi que des personnes dépressives au travail, ou rongées par l’alcoolisme auraient besoin d’un système d’aide et de réhabilitation local.
Ça ne sera pas un carnet de tickets psys qui résoudra leur lourde souffrance, née peut-être de leur situation au travail ou aggravée par elle. Mais quelques consultations pourraient ouvrir la voie à une démarche entreprise par la personne elle-même, à son initiative et à ses frais, pour se reprendre en main.
Loin de constituer la panacée, le ticket psy peut contribuer localement et modestement, soit au replâtrage d’une souffrance au travail consistant à renvoyer la personne « remise en forme » au massacre, soit au vrai démarrage d’une démarche fondée sur le souci de soi. En un domaine aussi sensible la question de l’éthique, des défense et prise en charge sera déterminante.
Philippe Grauer
«Je peux vous payer en Ticket-psy ?» Après le Ticket-Restaurant, puis le Chèque-Vacances, voici le dernier-né des coupons destinés aux salariés : le Ticket-Psy, qui permet de s’offrir une séance de psychothérapie aux frais de son employeur.
La formule est toute récente. Mais déjà, dans différents domaines d’activités (banque, transports de fonds, informatique…), des entreprises auraient franchi le pas et souscrit un abonnement. L’idée a germé au sein d’un cabinet de prévention des risques psychosociaux, ASP Entreprises, spécialisé dans les problématiques de stress au travail. Mal-être, dépression, la souffrance psychique liée à l’activité professionnelle a cessé d’être tabou en France depuis une quinzaine d’années. Mais, «dès que l’on réfléchit à des solutions, deux visions s’opposent : repenser l’organisation du travail ou soutenir les gens», résume Valentine Burzynski, directrice générale d’ASP Entreprises. Autant sortir de cette polémique et considérer la souffrance au travail en tant que telle, quelle qu’en soit la raison».
On ne va pas chercher ses Ticket-Psy à la direction des ressources humaines comme on le fait pour les Ticket-Restaurant. Impératif de confidentialité oblige. C’est à la médecine du travail qu’il faut s’adresser. Les médecins du travail sont souvent en première ligne pour constater les symptômes et expressions d’un mal-être. Mais leur mission n’est pas de proposer un traitement au cas par cas. En outre, les salariés ne sont pas tenus d’attendre leur convocation à la médecine du travail (obligatoire tous les deux ans), mais peuvent demander un carnet de Ticket-Psy dès que le besoin se fait sentir. Les coordonnées des thérapeutes partenaires sont fournies en même temps que les coupons.
Une centaine de psychologues, psychothérapeutes et psychiatres seraient déjà entrés dans le réseau du Ticket-Psy. «Nous les avons recrutés en fonction de leur expérience et de leur connaissance du monde de l’entreprise», explique ASP. A Paris et Lyon, l’offre semble assez dense et un salarié peut se voir proposer plusieurs professionnels et faire son choix. Si le contact passe mal avec l’un, il aura la possibilité de s’adresser à un autre. Ailleurs sur le territoire, ce n’est pas toujours possible. En tout cas pour l’instant.
Pour l’entreprise, la valeur d’un ticket est de 100 euros, un montant qui comprend le règlement de la consultation du psy et les frais annexes. Un salarié peut légitimement demander à bénéficier de deux carnets, soit dix séances de psychothérapie. «Ce volume de séances permet de prendre suffisamment de recul», estime ASP. Au bout de dix séances, si le salarié souhaite poursuivre sa psychothérapie, il devra le faire à ses frais. «Le rôle de l’employeur n’est pas de financer la thérapie du salarié, rappelle ASP. Nous préconisons un temps moyen qui permet de soulager des situations professionnelles, mais dès lors que l’on entre dans un travail plus personnel et intime, ce n’est plus la responsabilité de l’employeur.»
Ceux qui ont déjà fait une analyse ou une psychothérapie dans leur vie ne sont a priori pas concernés par ce dispositif. Le Ticket-Psy, qui se veut pratique et gratuit, offre peut-être à certains les moyens de franchir un cap. La question du coût d’une séance de psy est souvent considérée comme un frein à cette démarche. Avec la période de tensions qui s’annonce dans le monde du travail, le Ticket-Psy aura-t-il le temps de trouver son public ?
Ce service est trop neuf pour pouvoir en dresser un bilan. Les langues ne se sont pas encore déliées. On imagine mal un salarié demander à l’occasion de son recrutement si les Tickets-Psy font partie des avantages offerts par l’employeur. «Notre proposition ne laisse pas indifférent», note cependant ASP Entreprise, pour l’instant seule sur ce créneau. Au sein des entreprises, les délégués des comités d’hygiène et de sécurité (CHSCT) l’évoquent dans les négociations.
Depuis la loi de modernisation sociale de 2002, il est fait obligation à l’employeur de s’occuper de la santé physique de ses salariés, mais aussi de leur santé mentale. Il ne s’agit pas de dorloter l’intégralité de ses troupes. On considère qu’en moyenne 5 % des salariés ont besoin d’un soutien psychologique. De quoi convaincre les employeurs que la formule ne leur coûtera pas les yeux de la tête ?
Libération du mercredi 21 janvier 2009