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13 septembre 2005

Un nouvel épisode de la « guerre des psys » Cécile PRIEUR

Cécile PRIEUR

Le champ psy tourne au champ de bataille. Déjà coutumière des querelles intestines entre sociétés et écoles de différentes obédiences, qui n’ont renforcé, ces dernières années, ni son crédit ni sa visibilité, la psychanalyse est aujourd’hui en butte aux attaques frontales et répétées des adeptes des thérapies comportementales et cognitives (TCC), qui contestent de plus en plus ouvertement sa légitimité. Si la dispute n’est pas nouvelle, elle prend aujourd’hui les contours d’une polémique publique dont Le Livre noir de la psychanalyse , qui prône l’abandon de la cure analytique au bénéfice de l’adoption systématique des TCC, constitue le dernier avatar. De la polémique sur l’amendement Accoyer en passant par l’expertise controversée de l’Inserm sur les psychothérapies, la violence des arguments échangés entre les deux camps témoigne de l’importance de l’enjeu : l’hégémonie théorique et intellectuelle sur le domaine en pleine expansion des thérapies de l’âme.

Entre la discipline centenaire inventée par Freud et les jeunes thérapies comportementales, importées des Etats-Unis en France au début des années 1980, il n’y a presque rien de commun. Fondée sur la théorie de l’inconscient, la psychanalyse, pratiquée par 6 000 personnes en France, est une technique d’investigation du psychisme par la parole, qui, partant de la souffrance exprimée et s’appuyant sur le transfert, tente d’offrir au sujet le moyen de se frayer une liberté dans son histoire. Dans cette optique, la guérison et la disparition des symptômes ne sont que des bénéfices secondaires et non l’objectif premier. A rebours de cette conception, les TCC (550 à 1 500 praticiens en France, selon les estimations) appuyées sur les théories de l’apprentissage et du conditionnement, se concentrent sur la disparition du symptôme exprimé par le patient, en l’amenant, en 10 à 25 séances, à affronter ses difficultés tout en valorisant ses comportements positifs. S’adossant à la montée des neurosciences en psychiatrie, les TCC revendiquent leur efficacité en affirmant répondre à des procédures soumises à évaluation.

ÉVALUATION DE LA PERFORMANCE
C’est justement sur ce terrain de l’efficacité et, partant, de l’évaluation de la performance d’une technique par rapport à l’autre que la querelle s’est nouée avec la psychanalyse. Le premier acte de la controverse s’est joué fin 2003, autour de l’amendement Accoyer : soucieux de préserver le public d’éventuels charlatans, l’actuel vice-président de l’UMP avait fait voter le principe d’une réglementation du métier de psychothérapeute, jusqu’alors libre d’accès. Le texte du député réservait le titre de psychothérapeute aux médecins et psychologues, et demandait aux autres professionnels, dont beaucoup étaient également psychanalystes, de se soumettre à une « évaluation » de leur pratique. Suscitant un débat houleux pendant plusieurs mois, l’amendement a été dénoncé comme une tentative de « médicaliser la souffrance psychique » et une volonté, implicite, de réduire la pratique des psychothérapies, dont la plupart sont de tendance analytique, aux thérapies comportementales.

D’implicite, l’opposition entre les courants a éclaté au grand jour dès le second acte, et la publication, par l’Inserm, en février 2004, d’une expertise collective intitulée Psychothérapie, trois approches évaluées . Procédant à un recueil d’analyses cliniques, essentiellement anglo-saxonnes, ce rapport concluait à la supériorité absolue des TCC sur les thérapies d’inspiration analytique. Les psychanalystes dénonçaient immédiatement cette « machine de guerre » visant à disqualifier leur discipline, en soulignant les biais méthodologiques nombreux de l’expertise et sa vision partiale. L’émotion fut si unanime dans le milieu psychanalytique que Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la santé, finit par désavouer publiquement ce travail, en affirmant, en février, devant un parterre d’analystes lacaniens, que « le premier devoir d’une société est de reconnaître qu’il n’existe pas une seule réponse à la souffrance psychique » , laquelle n’est « ni mesurable ni évaluable » .

S’ils ont remporté une importante bataille avec le retrait de l’expertise de l’Inserm du site du ministère de la santé, les psychanalystes n’ont pas gagné la guerre. Celle-ci continue de faire rage, tant les praticiens des TCC ont ressenti l’épisode comme un affront – l’un des rédacteurs de l’expertise de l’Inserm, le psychiatre comportementaliste Jean Cottraux, est d’ailleurs cosignataire du Livre noir . Les deux camps fourbissent désormais leurs arguments pour leur prochain terrain d’affrontement, la question du statut du psychothérapeute, toujours pendante. Le nouveau ministre de la santé, Xavier Bertrand, réfléchit à la rédaction d’un décret mettant en oeuvre le dispositif adopté par la loi du 13 août 2004, à la suite de l’amendement Accoyer. Il pourrait confier à l’Université le soin de mettre en place un diplôme spécifique pour exercer la psychothérapie : au risque d’aviver les querelles de chapelles au sein de la faculté, où la concurrence entre les deux courants dans l’attribution des postes de psychopathologie clinique se fait chaque année de plus en plus féroce.

Cécile Prieur