Par Philippe Grauer
« Sans ces bouchons d’oreille, elle aurait peut-être été traitée en hôpital psychiatrique ! » évidemment une intervention psychanalytique inintelligente – donc inanalytique – aurait prescrit une analyse indéfinie de l’enfermement « psychique » de la fillette. Même exaspérée et panique, à apaiser par un enveloppement humide on l’espère relativement silencieux, pourquoi pas en cas d’urgence, il faudrait tout de même en arriver au point de comprendre ce qui arrive à cette enfant. Ça n’est pas la psychanalyse qui est en cause, mais l’aveuglement et la surdité (je n’ai pas dit absurdité) dogmatiques.
On sait tout de même normalement en psychiatrie ce que compensation veut dire, et l’on pourrait imaginer des psychiatres psychanalystes capables de concevoir que les autistes ont besoin de pare-excitation particuliers, qu’on peut s’ingénier à leur procurer. Pour peu qu’on soit capable d’écouter les autistes davantage que des théorisations cliniques dogmatisantes : « – avez-vous désiré votre enfant ? » bonjour la psychanalyse ! mais quelle caricature de psychanalyse, à l’abri du titre de psychiatre et du dogme de la société de psychanalyse en question – enfin, pas trop en question ? Comment en est-on arrivé là ?
Voilà comment on en arrive logiquement à préconiser des prises en charge « psychanalyse exceptée », car la psychanalyse qui sert à ça, c’est pour le moins qu’elle a été dévoyée. On sait bien qu’il existe des psychanalystes fins cliniciens, gens sensés et humanistes. La mauvaise monnaie chasse la bonne apparemment.
Sur de telles bases la lutte idéologique et méthodologique entre comportementalisme et système reposant sur la dynamique de subjectivation peut s’exaspérer de part et d’autre. C’est tout à fait dommage. La multiréférentialité pourrait utilement constituer l’outil du nécessaire dialogue, sans abolir le débat et les contradictions. Il faudrait pour cela un peu moins de fanatisme de part et d’autre.
Nous autres simples psychopraticiens relationnels, même pas psychothérapeutes, savons cela. Qui s’en soucie ? Nous ne sommes pas assez scientifiques façon psychologie et n’avons pas voix au chapitre. Quand on voit le chapitre en question mieux vaut parfois aller chanter mâtines ailleurs. À part cela il paraît que les faits sont têtus.
Mis à jour 13 mars 2012 –
Par Catherine Vincent
REPORTAGE | LEMONDE | 08.03.12 | 11h50 • Mis à jour le 08.03.12 | 11h59
En Belgique, des centres spécialisés accueillent depuis des années des petits autistes français.
Lille, Envoyée spéciale – Vite, avant qu’il ne fasse une colère, elle envoie Antoine jouer dans le jardin. Promet à Matthieu qu’il pourra bientôt voir un dessin animé. Complimente Charlotte, qui dessine en silence, tente à nouveau d’apaiser Antoine, s’inquiète de Matthieu qui crie à l’étage… Le mercredi, Monique Kowalczyk est maman à temps plein. Matthieu, bientôt 7 ans, est autiste de haut niveau. Antoine, 5 ans, jumeau de Charlotte, est autiste sévère. Infirmière puéricultrice dans un hôpital de Roubaix (Nord), elle vit seule avec ses trois enfants : comme beaucoup d’autres, le handicap des garçons a fait exploser son couple.
« J’ai eu de la chance, beaucoup de chance », répète-t-elle. Et de fait : régnerait-il une telle sérénité dans ce salon empli de jouets si elle n’avait pas tant bataillé pour que le diagnostic de trouble envahissant du développement (TED) de ses deux fils soit établi au plus vite? Antoine avait tout juste 2 ans.
Aujourd’hui, Matthieu est en cours préparatoire. Accompagné d’une auxiliaire de vie scolaire dix-huit heures par semaine, il est parmi les premiers de sa classe. Antoine, lui, se rend la semaine dans un centre éducatif spécialisé, où il a fait de grands progrès. « Quand il avait 2 ans, son contact avec notre monde ne tenait qu’à un fil, se souvient Mme Kowalczyk. Désormais, il parvient à passer une demi-journée par semaine avec des enfants ordinaires sans que cela ne tourne au drame. »
Une vraie chance, en effet. Mais aussi un épuisant parcours du combattant, que connaissent des milliers de familles.
_ L’autisme? Avant qu’il n’entre dans son foyer, la jeune infirmière n’en avait guère entendu parler. Ce handicap, à l’origine neurobiologique mal comprise, souffre en France d’un manque criant de structures de diagnostic et d’accueil. Et fait l’objet de violentes querelles théoriques, entre tenants de soins psychothérapiques et défenseurs de méthodes éducatives.
« Durant mes démarches pour obtenir un diagnostic, j’ai rencontré plusieurs pédopsychiatres, raconte Mme Kowalczyk. Au moins deux d’entre eux m’ont demandé si j’avais désiré mes enfants pendant que j’étais enceinte. Quand on demande de l’aide pour une chose si grave, on attend d’autres paroles qu’un discours culpabilisant ! » Les choses traînent, les troubles augmentent.
La jeune femme se décide à emmener ses enfants à l’hôpital parisien Robert-Debré, où le diagnostic est enfin établi. Le sésame pour une prise en charge. Ou le saut dans un nouveau cauchemar. Parce qu’il faut patienter de longs mois, voire des années, avant d’avoir une place. Parce que les structures d’accueil sont multiples, parfois expérimentales, souvent antagonistes. Hôpital de jour, CMP (centre médico-psychologique), Sessad (service d’éducation et de soins spécialisés à domicile) et bien d’autres : comment s’y retrouver dans ce dédale? Le Centre ressources autisme (CRA) Nord-Pas-de-Calais, ouvert en 2006, fait ce qu’il peut pour faciliter la tâche des familles. Mais il faut avoir le cerveau bien organisé et la détermination chevillée au corps pour ne pas se décourager.
« Même si les choses n’évoluent jamais assez vite pour les parents, elles sont en train de s’améliorer », tempère Olivier Masson, directeur du CRA. Il vante avec ferveur la coopération qui s’instaure peu à peu entre secteur sanitaire et secteur médico-social : « Les enfants sont repérés de plus en plus tôt, mieux orientés, et surtout, on travaille merveilleusement bien avec l’éducation nationale. Dans la région, on n’a jamais eu le moindre refus de la part des écoles », précise Karine Vanlierde, psychologue au CRA.
En Belgique, où des centres spécialisés accueillent depuis des décennies des petits autistes français, on affirme d’ailleurs avoir moins de demandes depuis quelque temps. Preuve que quelque chose, enfin, commence à bouger de ce côté-ci de la frontière.
Mais avec quelle lenteur ! Et quel manque de cohérence ! « Dès le début, il m’a paru clair qu’Antoine avait besoin de stimulation. Je me suis renseignée sur Internet, je suis devenue membre d’une association de parents, et j’ai proposé au CMP vers lequel on m’avait orientée qu’on lui donne un soutien en orthophonie et en psychomotricité. On m’a ri au nez ! », se souvient Mme Kowalczyk. Elle retourne au CRA, découvre l’existence d’autres structures, se démène une fois de plus. Et trouve enfin pour Antoine une place au Centre du parc Barbieux, à Roubaix. Une vaste demeure de brique ceinte d’un grand jardin, qui accueillait déjà, il y a un demi-siècle, ceux qu’on appelait alors de jeunes psychotiques.
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« Une cinquantaine de personnes au total, dont trois temps-plein de psychologues, quatorze temps-pleins d’éducateurs, un neuropédiatre à temps partiel, une infirmière, une intervenante sociale… Ce n’est pas mal, mais ramené au nombre d’enfants, ce n’est pourtant pas assez« , détaille Claire Mouvier, directrice du centre. Celui-ci prend en charge, aux horaires scolaires, 35 autistes âgés de 4 à 20 ans. Des autistes sévères, qui n’ont pas pu intégrer l’école. Presque tous ont une déficience mentale associée, et présentent de gros problèmes de comportement.
Pour les aider à mieux vivre, on utilise tous les moyens du bord, psychanalyse exceptée : méthodes éducatives, ateliers (cuisine, menuiserie, vélo), liaison suivie avec les parents. « Le principal, c’est de chercher ce qui va le mieux fonctionner avec chaque enfant« , résume le psychologue Yves Peiffer. La plupart ont près d’eux leur « carnet de PECS » (Picture Exchange Communication System) : un classeur orné de bandes autocollantes, sur lesquels enfants et éducateurs placent et déplacent les icônes qui vont leur permettre de dialoguer. Parfois, la conversation est ponctuée de mots, parfois non. L’essentiel est de se faire comprendre.
« L’équipe est en relation permanente avec la famille, un bilan est établi chaque année, avec des objectifs à court, à moyen et à long terme: Antoine a toujours une vie difficile, mais au moins je sais où nous allons », résume Mme Kowalczyk. Au point de s’être offert le luxe, il y a quelque temps, de refuser la place qui était proposée à son fils, « pour trois mois à l’essai », au Centre Camus de Villeneuve-d’Ascq : la seule structure de la région où l’on pratique exclusivement l’approche éducative ABA (Applied Behavior Analysis, ou « analyse appliquée du comportement »).
En plein développement aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Scandinavie, en Espagne, celle-ci permet parfois à de très jeunes enfants de développer leurs capacités d’autonomie de façon spectaculaire.
Fondée sur la répétition d’apprentissages simples, la méthode ABA insiste sur le conditionnement opérant, l’obéissance et les récompenses. Très décriée par les psychanalystes, qui dénoncent une technique de « dressage », elle reste quasiment inexistante en France. Au grand dam des familles d’autistes, qui demandent depuis vingt ans que cette approche comportementaliste ait elle aussi droit de cité.
Vinca Rivière, elle, est catégorique: « Au moins un enfant sur deux ans qui arrive ici avant l’âge de 4 ans doit en ressortir quelques années plus tard en étant autonome : son handicap restera, mais il ne se verra plus. » Docteur en analyse du comportement, elle s’est beaucoup battue pour ouvrir le Centre Camus, où 49 personnes encadrent 20 enfants à raison de 35 heures par semaine. Depuis 2008, le lieu bénéficie d’un agrément expérimental de l’Agence régionale de la santé, ce qui permet que la prise en charge (410 euros par jour) soit couverte par la Sécurité sociale. La préfiguration de ce qu’on trouvera, demain, dans toutes les régions de France? Centre ABA, structure médico-sociale, hôpital de jour…
Avouons-le : au pays de l’autisme sévère, les lieux d’accueil se ressemblent tous. Partout des enfants plus ou moins abîmés, plus ou moins fuyants. Partout des éducateurs, des psychologues, des soignants qui agissent de leur mieux. Tous ont leurs convictions propres, mais sont unanimes sur un point : améliorer la vie des enfants autistes, endiguer leur isolement, cela passe avant tout par une prise en charge individuelle et intensive. Par la prise en compte de leurs spécificités. Et parfois, par un détail tout simple. Comme pour cette jeune fille, qui présentait de tels troubles du comportement à la cantine qu’elle a failli être déscolarisée.
« En fait, elle ne supportait pas le bruit. On lui a appris à porter des bouchons d’oreille, elle est aujourd’hui au collège, avec 16 de moyenne en géographie… Sans ces bouchons d’oreille, elle aurait peut-être été traitée en hôpital psychiatrique ! », affirme Philippe Turbot, directeur à Lille d’un Sessad prenant en charge une vingtaine d’enfants, tous scolarisés à temps plein. Parmi eux, Matthieu. En deux ans, il y a appris à s’ouvrir aux autres, et à aimer l’école. Il se lève, va chercher son bulletin de CP, nous le montre fièrement. « Elève très agréable et volontaire. Continue ainsi! », a écrit l’institutrice en lettres rondes. Pour Matthieu, le plus beau compliment qui soit.
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