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25 mars 2010

Une nouvelle façon de penser le politique Roland Gori interviewé par Éric Favereau — présentation par Philippe Grauer

Roland Gori interviewé par Éric Favereau — présentation par Philippe Grauer

Interview

Roland Gori, professeur à l’origine de l’Appel des appels :

Recueilli par ÉRIC FAVEREAU (Libération)


Roland Gori est passé du combat universitaire à celui de l’Appel des appels, fédérant les mêmes contre les mêmes à plus large échelle. Le combat pour la psychothérapie relationnelle appartient à celui que conduit Roland Gori. La reconnaissance de notre discipline et profession aux prises avec l’ostracisme médical organiciste de la figure de l’autre (le charlantan est l’autre du médecin, prétendre l’exclure ou l’absorber, dans tous les cas le réduire, lui permet de ne pas vouloir savoir quand il devient lui-même charlatan) procède du même combat citoyen pour une politique autre, autrement conduite.

Morale en tout cas. Il est clair que nos institutions historiques responsables garantissent l’éthique des praticiens que nous formons et encadrons. Nos métiers peuvent sous notre contrôle s’exercer avec rigueur et compétence, la population s’en est rendu compte depuis plus de trente ans. Nous avons la chance d’exercer dans le secteur libéral où la politique destructrice dite de la santé mentale, n’exerce pas directement sa pression pour la rentabilité et la performance — et que par ailleurs la population s’appauvrit, ce à quoi nous faisons face dignement, en nous adaptant.

« Nous, professionnels du soin, du travail social, de la justice, de l’éducation, de la recherche, de l’information, de la culture et de tous les secteurs dédiés au bien public, avons décidé de nous constituer en collectif national pour résister à la destruction volontaire et systématique de tout ce qui tisse le lien social » déclare l’Appel des appels. S’attaquer aux psychothérapeutes relationnels, à leurs institutions historiques, à leurs écoles, c’est nommément s’en prendre à des acteurs du tissage du lien social. Nous continuons de faire front, et approuvons de ce fait les analyses et l’action de Roland Gori.

On lira avec profit le débat diffusé jeudi 25 mars à 18:20 sur France-culture (dans Du grain à moudre) au cours duquel dialoguent Roland Gori Alain Ehrenberg à l’occasion de la sortie de l’ouvrage de ce dernier, La société du malaise chez Odile Jacob. On entend beaucoup parler et fort justement, de souffrance au travail : cette expression dilue-t-elle le psychique dans le social ? N’assistons-nous pas à une résurgence de la pensée psychosociologique, où les deux ne se pensent bien qu’articulés ? Nous autres psychothérapeutes relationnels, héritiers de la vague psychosociologique qui précéda puis accompagna l’irruption des Nouvelles thérapies, sommes partie prenante naturelle à ce questionnement qui resurgit, et qui nous a depuis toujours été familier.

Philippe Grauer


Dérive de rentabilité et de la performance

C’est ce samedi, au «104», le nouveau lieu culturel de la ville de Paris, rue d’Aubervilliers, que se tient la réunion de l’ Appel des appels. Ce texte, publié par Libération le 23 janvier, se voulait un point d’ancrage du malaise de tous les professionnels de l’éducation, de la recherche, de la santé, de l’information, de la culture. Tous s’inquiétant de la dérive de rentabilité et de la performance que l’on impose à leurs métiers. Roland Gori, professeur de psychopathologie et psychanalyste, qui est à l’origine de l’appel, fait le point.

Comment expliquez-vous votre succès ?

Une sorte d’autorité morale qui émerge

On est un peu dépassé par notre succès. Le texte a été signé par près de 50 000 personnes, et notre journée, qui devait rassembler au départ 200 personnes, a plus de 1 000 inscrits. Il se passe quelque chose. C’est tout un réseau qui se met en place, sur l’Internet d’ailleurs, avec des juristes, des psychiatres, des analystes, des enseignants, des chercheurs, des journalistes, des hommes de culture. Comme une sorte d’autorité morale qui émerge alors que la voix des politiques est en difficulté.

Qu’allez-vous faire de cette mobilisation ?

Une nouvelle façon de penser le politique

Ce samedi se veut d’abord une rencontre pour partager des expériences diverses. Pour nous, c’est une première étape : montrer une nouvelle façon de penser le politique. Donner la parole reste le point de départ de la démocratie. Et c’est ce que nous allons faire.


Un mouvement de désobéissance civile est-il en train de naître ?

Inservitude

Il est curieux que l’on nous renvoie toujours cela, montrant bien une confusion entre la loi et la norme. Je ne me mets pas dans cette logique, je ne suis pas désobéissant, je me sens plutôt dans l’inservitude. Et ce qui se passe là avec notre appel relève d’avantage de la critique des organisations sociales qu’une désobéissance par rapport à la loi. Nous critiquons des dispositifs de servitude, de normalisation sociale et de conformisation des comportements. C’est cela notre angle d’attaque : il est aberrant de nous faire ingurgiter dans nos métiers des logiques de marché, de rentabilité et de performance.

Des psychiatres qui refusent

Pour autant, il y a parmi les gens qui ont rejoint notre appel des composantes qui vont jusqu’à appeler à la désobéissance, comme des psychiatres qui refusent de participer aux expertises pour les mesures de rétention et de sûreté.

Et ensuite ?

Comment savoir ? Nous sommes sortis de nos petits rendez-vous entre nous, une autre dimension collective est apparue. À l’image de ces centaines de professionnels qui veulent témoigner, dire pourquoi ils ne peuvent plus pratiquer. Nous verrons ensuite. Mais d’abord parler plus fort et crier contre l’asservissement que l’on cherche à nous imposer.