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12 juillet 2007

Une politique du désir ou le désir d’Ordre contre l’ordre du désir J-F Cottes

J-F Cottes

Nous vous communiquons cet article de J-F Cottes. L’importance du débat, un débat qui va s’amplifier dans la période à venir, n’échappera pas à l’internaute. Cet article permettra à qui veut pénétrer les complexes arcanes
du Carré psy de comprendre rapidement comment faire pour ne plus y comprendre rien, ou pour percer les mystères de la psychanalyse hébergée à l’université sous la livrée psychologique.

Les psychologues se rangeront-ils en bon Ordre ou non, des voitures de la psychanalyse, pour se consacrer enfin à leurs chères études cognitivo-comportementales enrichies à la neurologie, et aux délices d’une clinique de type Oranges mécaniques ? quel avenir pour la psychologie clinique, sous-marque universitaire de la psychanalyse enseignée à Juliette des psychologues ?

«  La valeur du code de déontologie ne tient-elle pas précisément dans sa référence éthique et non dans sa supposée référence au droit ?  » interroge J-F Cottes, qui ajoute : «  Confrontés aux enjeux contemporains les psychologues ne doivent pas adopter la posture du repli corporatiste. Ce n’est pas en verrouillant leur position par des artifices bureaucratiques — telle la création d’un ordre — que la spécificité de cette profession-symptôme survivra. C’est au contraire en cultivant et préservant le paradoxe fécond (…) au principe de leur pratique et de leur formation. « 

Nous souscrivons à cette conception de cette aile de la psychologie — qui en a beaucoup d’autres, mais cela la concerne en propre — qui nous rapproche de nos collègues et justifie une fois de plus notre alliance au sein de la Coordination psy . La psychothérapie relationnelle poursuit avec des moyens voisins le même type d’objectif. Ensemble, nous promouvrons nos deux professions et accomplirons, contre un nouvel ordre mécaniste et libéral sans états d’âme ni âme, leur mission civilisatrice.

Philippe Grauer

P.S. ce texte, agrémentés de ses notes enfin parvenues à destination, se trouve à Textes & documents ici-même.


Le SNP fait paraître un numéro de son Bulletin consacré à la question de la mise en place d’un ordre des psychologues.

Vous lirez ci-dessous la contribution qui m’a été demandée à ce Bulletin par ce syndicat. Le texte est reproduit ici tel qu’il est publié avec les notes ajoutées par la rédaction du Bulletin, ces notes sont indiquées par la mention finale NDLR [nous ne sommes toujours pas parvenus à récupérer les dites notes. Grandeur & servitude de l’édition ! (Cifp)].

Jean-François Cottes


Une politique du désir

Par Jean-François Cottes*

Le Syndicat national des psychologues a engagé une démarche tendant à la création d’un ordre professionnel des psychologues. Disons tout d’abord que la manière dont la question a été mise à l’ordre du jour a de quoi surprendre. Avant tout débat dans la profession au-delà des instances dirigeantes de cette organisation, la proposition de la création de l’ordre a été faite, à l’automne 2006, par la direction du syndicat à l’État, lors d’une rencontre entre une délégation de ce syndicat et un conseiller du ministre de l’époque [1].

N’aurait-il pas fallu d’abord engager un débat dans la profession avant de s’adresser à l’État ? C’est ce qu’un certain nombre de commentateurs avisés [2] ont relevé. J’ai pu moi-même en faire directement la remarque à Jean-Louis Quéheillard le 20 janvier dernier.

Depuis, on semble être revenu à une conception plus soucieuse de l’avis des professionnels. L’ouverture des colonnes du Bulletin du SNP à un débat contradictoire en est un signe. À ce propos je remercie le directeur de la publication de l’invitation qu’il m’a faite à donner mon point de vue et celui de l’InterCoPsychos sur la question de la création d’un ordre des psychologues. Mais ce signe doit être confirmé par une ouverture plus large encore, au-delà des organisations de psychologues, aux professionnels eux-mêmes. Cette question touche à des enjeux d’une telle importance, comme nous nous attacherons à le démontrer, que le débat ne saurait être limité aux organisations de psychologues. La question de la représentativité des organisations n’est d’ailleurs pas ici à mettre en cause. Chaque organisation représente effectivement et légitimement ses adhérents. Mais aucune dans l’état actuel des choses – et pas même toutes ces organisations si elles arrivaient à se coordonner – ne sauraient représenter la profession. Il y a lieu ici de ne pas remettre aux appareils des organisations un pouvoir qui dépasse de très loin leur légitimité à l’exercer.

C’est pourquoi aborder la question de la création de l’ordre avec l’État, sans que la profession n’en ait débattu et se soit clairement prononcée conduit à se couper de la profession. Il faut donc maintenant que ceux qui ont lancé ce débat en assument les conséquences en organisant une consultation générale des psychologues. Cette question de méthodologie n’est pas mineure. Elle est même au cœur de la question. Si l’ordre était créé sans cette consultation et ce débat, sans prendre l’avis de la profession, dans une relation bilatérale entre une organisation ou même plusieurs et l’État, cela augurerait mal de ce que serait cet ordre. C’est-à-dire que cela préfigurerait très bien ce que serait la relation de l’ordre à la profession, celle d’une instance antidémocratique, même si elle était avalisée par des élections.
L’esprit et la pratique démocratiques, comme on le sait, ne consistent pas seulement en l’organisation d’élections. Ils doivent animer effectivement l’ensemble du processus à chacune de ses étapes. Ce doit être le cas ici, comme dans toute occasion de la vie civile.

À cet égard, où en est le débat ? Du côté des organisations cette proposition ne rencontre pas, loin s’en faut, l’unanimité, ni elle ne recueille la majorité. Du côté des professionnels, pour avoir, depuis l’automne, participé à plusieurs réunions de psychologues, soit de Collèges hospitaliers ou d’Intercollèges, soit de Collectifs InterCoPsychos, soit de réunions ouvertes largement à nos collègues, je peux témoigner que la proposition du SNP ne suscite pas l’enthousiasme – c’est le moins que l’on puisse dire – et que la grande majorité des collègues que j’ai pu entendre s’exprimer sur cette question disent leur refus de la création de l’ordre.

Or, comme on le sait, l’ordre est une instance extrêmement contraignante en ce qu’elle fait obligation à chaque psychologue pour pouvoir exercer d’adhérer et de cotiser. Il ne s’agit pas d’une adhésion volontaire proposée, mais d’une adhésion contrainte sous peine d’être interdit d’exercer. On conçoit dès lors sans peine que la mise en place d’un ordre doit rassembler préalablement un consensus général et suffisamment établi. Sans quoi cette institution fera violence à ceux qui n’en voudraient pas et instaurera un régime de la contrainte et de l’obligation qui ne fera pas sens.

Au-delà des considérations sur la méthode et les conditions du débat, il faut aussi examiner l’opportunité d’une telle proposition dans le contexte qui est le nôtre. L’acte de création d’une institution n’est pas intemporel, il prend sa place dans une conjoncture. Sur le plan des politiques sociales et sanitaires, nous vivons un temps d’intervention toujours plus grande de l’État et des pouvoirs publics. Pour des raisons financières, sociales, et idéologiques, les pouvoirs publics ont, depuis 15 ans, fortement investi ces champs, non seulement par leur propre action mais aussi par le contrôle de plus en plus contraignant qu’ils exercent sur les pratiques. Que l’on aille voir de près les conditions d’exercice actuelles des médecins libéraux — et ce qui se dessine pour demain — et l’on se fera une idée de la mutation profonde qui s’accomplit et qui conduit à une véritable médecine administrée. Ne nous leurrons pas à cet égard, l’ordre des médecins n’est pas une institution qui protège les praticiens de cette tendance bureaucratique, mais, tout au contraire, il est un relais de l’action des pouvoirs publics, ce que nous ne saurions lui reprocher, puisque c’est précisément la fonction de l’ordre d’être, au sein de la profession, la courroie de transmission des politiques publiques. Mais il faut prendre ici toute la mesure des implications de la création d’un ordre des psychologues.

Sur le plan de la politique générale, l’élection présidentielle a confirmé cette tendance, en portant à la tête de l’État, le candidat qui a affirmé le plus directement son volontarisme, qui trouvera à s’exercer, n’en doutons pas, dans les champs sociaux et sanitaires. L’ordre serait alors, dans les mains de l’État, un puissant outil pour intervenir toujours davantage dans le contrôle des pratiques mais aussi des formations. S’agit-il d’un fantasme ? Écoutons plutôt ce que disait M. Basset, de la Direction générale de la santé à ce propos lors de son audition par la commission d’enquête parlementaire sur l’influence des sectes sur les mineurs à l’automne dernier. Il parle des psychologues : « C’est une profession extrêmement bien organisée. La formation universitaire est reconnue à un niveau bac + 5. Les psychologues sont très attentifs à ce que leur titre ne soit pas usurpé, et corresponde à une formation universitaire. Mais cette profession ne dispose pas encore de l’outil déontologique rendant possibles des sanctions ordinales. »

La création d’un conseil de l’Ordre est envisagée, afin que les professionnels puissent, en amont d’une sanction pénale, avoir un droit de regard sur la pratique des psychologues. J’ajoute que, comme vous le savez, ils ont un panel professionnel extrêmement vaste. Ils sont présents dans les structures de communication, dans les entreprises. Ils ne sont pas tous thérapeutes. »
On voit d’abord que la proposition qui a été fait par le SNP à la haute administration du ministère de la Santé a été bien reçue puisque quelques jours après cette rencontre M. Basset la reprend, pour donner les psychologues en exemple de l’esprit de collaboration avec les pouvoirs publics qui les animerait. Ensuite cette citation des propos de M. Basset prend toute sa signification de ce qu’il vient de dire précédemment lors de l’audition à propos des psychothérapeutes, dont il s’agit de paramédicaliser l’exercice, contrôler les pratiques, et corseter la formation, en créant un Conseil professionnel et en systématisant l’évaluation des pratiques professionnelles [3].

Dans ce double contexte, celui de l’évolution des politiques sociales et de santé — marqué par la volonté affichée de « maîtrise des dépenses de santé » —, et celui de la récente élection présidentielle, la création d’un ordre se traduirait immanquablement par une intervention renforcée des pouvoirs publics dans la formation et les pratiques des psychologues.

Il faut ici faire entrer un autre paramètre, qui est l’orientation des organismes publics et parapublics en ce qui concerne le champ psychique. En particulier, l’Inserm et la H.A.S (Haute autorité de santé, ex-ANAES), interviennent dans le sens des thèses les plus ouvertement scientistes et biologisantes. Nous n’avons pas oublié l’expertise collective de l’Inserm sur l’évaluation des psychothérapies (2005) qui tendait à promouvoir les thérapies cognitivo-comportementales. Nous nous rappelons bien les thèses de l’HAS sur la « psychopathie », et nous nous souvenons des outrances déterministes et sécuritaristes de l’expertise collective de l’Inserm sur le dit Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent. Telle est l’orientation des organismes qui définissent les politiques publiques dans le champ psy.

En ce qui concerne spécifiquement les psychologues, rappelons-nous les points de vue exprimés par les rapports Berland, Cléry-Melin ou Cressard (Conseil de l’Ordre des médecins) ou encore les rapports annuels de la Mission nationale d’appui en santé mentale [4]. Tous tendent à instaurer la paramédicalisation des psychologues, la normalisation de leurs formations initiales et continue, la normalisation de leurs pratiques. Contrairement à ce que l’on veut nous faire accroire – et l’expérience des ordres dans le champ médical et paramédical est là pour l’attester – un ordre des psychologues ne constituerait pas une protection de la profession, mais tout au contraire serait le relais rêvé pour un pouvoir tendant à faire adopter ces thèses et à les voir appliquer.

Que l’on aille voir de près aussi la façon dont les pouvoirs publics et organismes officiels sont intervenus dans les dernières années dans le champ sanitaire. Chez les orthophonistes avec la contractualisation ACBUS, chez les psychomotriciens, chez les infirmiers avec la mise en place d’un ordre — que l’on demande aux syndicats et organismes professionnels de dire leur point de vue —, chez les ostéopathes avec la publication des décrets d’application de la loi.

Concernant directement les psychologues, les conditions de vote de l’article 52 de la loi du 9 août 2004 sur le titre de psychothérapeute et celles du débat sur le décret d’application démontrent de façon éclatante une volonté d’intervenir en force et sans obtenir l’accord de l’ensemble des professionnels concernés. L’épisode grotesque des amendements Accoyer-bis votés par surprise en janvier dernier par une majorité godillot à l’Assemblée nationale, et fort heureusement rejetés par le Sénat témoigne bien de l’esprit qui règne dans certains milieux du pouvoir qui veulent imposer leurs vues à la hussarde. Il n’y a pas une seule intervention qui n’aille pas dans le sens de la réduction de l’autonomie professionnelle des praticiens. Or n’est-ce pas ce que nous voulons préserver et conforter ? Voulons-nous participer nous-mêmes à cette offensive contre la place singulière que les psychologues occupent partout où ils interviennent ?

Il nous faut aussi considérer l’impact de la création d’un ordre sur un point essentiel qui découle de la loi de 1985 et formulé par le décret de 1991 [5], et qui se formule ainsi : « Les psychologues conçoivent les méthodes et mettent en œuvre les moyens et techniques correspondant à la qualification issue de la formation qu’ils ont reçue« . Cette formulation est aujourd’hui le point d’appui majeur de l’autonomie professionnelle. Elle permet à un psychologue en toute autonomie non seulement de choisir ses méthodes mais encore de les concevoir. Cela donne toute la place à l’innovation, à la recherche clinique, à la créativité dans la rencontre avec la singularité du patient ou du sujet qui s’adresse au psychologue. Qu’en serait-il si demain l’ordre des psychologues édictait un manuel des bonnes pratiques inspiré ou résultant de l’application des recommandations de l’Inserm ou de la HAS, comme cela tend à devenir le cas, quand ça ne l’est pas déjà, partout où un ordre professionnel est institué ? Qu’en serait-il si demain l’ordre des psychologues contrôlait la formation continue, comme cela est mentionné dans le rapport de la mission d’enquête parlementaire… ?

S’agissant de cette question il faut bien voir que c’est en particulier l’orientation psychanalytique de la pratique des psychologues qui serait menacée. Soumise à l’évaluation des pratiques professionnelles, confrontée à l’exigence de protocolisation, tout laisse à penser qu’elle ne serait pas validée par les guides de bonnes pratiques édictées par les instances ordinales. L’expérience récente de nos rencontres avec les politiques et l’administration ne laissent aucun doute sur ce point, la dimension propre de la psychanalyse n’est pas entendue.

Pour un ministre éclairé disant, tel Philippe Douste-Blazy le 5 février 2005 lors d’un Forum des psys organisé par Jacques-Alain Miller, que «  la souffrance psychique n’est ni évaluable, ni mesurable  » 6], que la psychanalyse a toute sa place dans le champ des pratiques afférentes au psychisme et faisant retirer du site du ministère l’expertise collective de l’Inserm sur les psychothérapies, combien de bureaucrates, de gestionnaires ou d’hommes politiques férus d’évaluation, de « validation scientifique », d’optimisation du rapport coût profit ? Combien de Bernard Kouchner lançant lors d’un autre Forum des psys, mi-provocateur, mi-goguenard à propos de l’évaluation des psychothérapies : « — Il faudra bien que vous y passiez ! « 

Peut-on croire qu’un ordre professionnel, courroie de transmission des volontés politiques et administratives, ferait écran à ces orientations et protègerait les praticiens de la mainmise du pouvoir ? C’est tout le contraire que nous voyons dans les autres professions du champ sanitaire en France et dans les ordres de psychologues là où ils existent.

L’orientation psychanalytique serait la cible de la standardisation des pratiques que sécrète la logique d’un ordre professionnel. Or les psychologues ne doivent-ils pas en France leur autonomie professionnelle à la présence et à l’influence de la psychanalyse dans leur formation et dans leurs pratiques ? Il faut rappeler que ce sont des psychanalystes qui ont jeté après-guerre en France les bases de cette autonomie professionnelle avec la question de l’analyse profane, de l’analyse laïque, c’est-à-dire pratiquée par des non-médecins – suivant en cela les indications les plus explicites de Freud.

C’est sur cette question que s’est jouée notamment la première scission dans le mouvement psychanalytique. La Société française de psychanalyse a reconnu la possibilité pour des non-médecins et en particulier des psychologues de se former puis de pratiquer la psychanalyse au contraire de la Société psychanalytique de Paris. Il faut souligner ici l’apport décisif de l’enseignement de Jacques Lacan et de ses initiatives institutionnelles qui ont établi sur le plan de la doctrine, comme de la pratique, les fondations d’une pratique de la psychanalyse par les non-médecins, dont ont bénéficié et bénéficient grandement les psychologues.

Sur le plan universitaire ce sont aussi des psychanalystes qui ont construit l’enseignement de la psychopathologie et de la psychologie clinique qui ont permis la mise en place des diplômes professionnels de troisième cycle, DESS puis Master. On cite souvent Daniel Lagache pour son enseignement professoral à la Sorbonne, mais il ne faut pas oublier Juliette Favez-Boutonnier, membre de l’École freudienne de Paris, l’École de Jacques Lacan, dont l’esprit d’entreprise, de décision et de ténacité a permis que dans les années 60 se constituent des cursus qui ont conduit à la mise en place de ces diplômes. Cela a créé une spécificité française, qui a d’ailleurs eu des retentissements des conséquences dans d’autres pays.

La psychologie, souffrons pour un instant l’emploi du singulier, prend ses racines dans la philosophie et dans les sciences de la nature. Mais c’est sous l’impact de la psychanalyse que les psychologues praticiens, en particulier dans l’exercice de la psychothérapie, ont conquis une autonomie qu’ils ont fait reconnaître en 1985 par l’adoption de la loi instituant cette autonomie. Cette loi leur a conféré un statut particulier qui est la cible des diverses autorités qui veulent le réformer. Or ce dont il s’agit pour nous c’est de renforcer cette autonomie. Aujourd’hui, un psychologue prend appui sur la loi pour faire valoir cette autonomie, demain, si l’on en croit les tenants de l’ordre, il pourrait s’appuyer sur l’ordre. Mais chaque psychologue y gagnerait-il ? La création de l’ordre ne va-t-il pas affaiblir la portée de la loi de 1985 ? Ne va-t-on pas ouvrir la boîte de Pandore ?

Examinons un des arguments majeurs, si ce n’est le plus important, avancés par les tenants de l’ordre. On nous dit qu’il faudrait créer l’ordre pour légaliser le code de déontologie, celui-ci n’ayant pour l’instant qu’une valeur morale, et que ce code de déontologie est en fait un code d’éthique, et comme tel n’est pas opposable et perd de son efficace.

Considérons d’abord la situation actuelle. Le Code de déontologie est une référence connue des psychologues, dont ils usent dans leur rapport avec leurs patients, avec les sujets qui s’adressent à eux, avec des tiers, et beaucoup moins avec les autres psychologues. Qu’apporterait la « légalisation » du code ? Rien au plan moral, mais plutôt la possibilité d’entrer dans une logique de judiciarisation. L’on pourrait alors déposer une plainte, voir cette plainte instruite, un jugement rendu et bien sûr des recours pourraient être intentés par les parties qui s’estimeraient lésées par les décisions. Mais sur ce plan ne dispose-t-on pas dans le droit français de suffisamment de lois qui protègent le public et les professionnels ? La valeur du code de déontologie ne tient-elle pas précisément dans sa référence éthique et non dans sa supposée référence au droit ?

Légalisé le code de déontologie devient un texte administratif dont on ne se souciera plus que de son application à la lettre, en perdant tout l’esprit qui l’anime. C’est pourquoi, quoi qu’on nous en dise, la référence à l’éthique est supérieure, dans la vie de l’esprit, à la référence au droit — en tout cas dans la matière qui nous occupe.

L’exigence éthique nous dirons qu’elle confronte le sujet à sa propre responsabilité, et non pas à sa conformité avec les recommandations ou exigences de l’Autre [souligné par nous, note du Cifp]. Elle conduit le praticien à une rigueur plus grande que la satisfaction, qui peut devenir purement formelle, à des prescriptions dont la liste établie se ramène à la check-list. L’exigence éthique guide le praticien dans une zone où il n’y a plus de garantie, où le sujet n’a plus comme boussole que ce qu’il a appris sur lui-même, sur ses limites et ses capacités. Et c’est pourquoi cette exigence se forge dans la « formation personnelle », dans le travail sur soi, psychanalyse ou psychothérapie, contrôle ou supervision. Elle met au cœur de la pratique la dimension de l’acte, d’une responsabilité illimitée. Elle fait peser sur le praticien le poids de sa responsabilité dès lors qu’il fait une offre d’aide et qu’elle est saisie.

À cette aune, les recommandations de bonnes pratiques, les protocoles, les références opposables, l’évaluation des pratiques professionnelles apparaissent pour ce qu’elles sont : des défenses contre la logique du désir et de l’acte [souligné par nous, CIFP]. Elles tentent d’alléger le praticien du poids des décisions qu’il a à prendre, là où tout savoir préalable défaille, là où s’isole en tant que telle la dimension de l’acte. C’est ici au pari de Pascal qu’il faut ici se référer.
Confrontés aux enjeux contemporains les psychologues ne doivent pas adopter la posture du repli corporatiste. Ce n’est pas en verrouillant leur position par des artifices bureaucratiques — telle la création d’un ordre [souligné par nous, CIFP]— que la spécificité de cette profession-symptôme [7] survivra. C’est au contraire en cultivant et préservant le paradoxe fécond qui est au principe de leur pratique et de leur formation.

C’est une politique du désir et non de la demande [souligné par nous, CIFP] qui doit nous guider. Plutôt que de demander à l’Autre politique une reconnaissance, il convient de faire partout où nous sommes, un par un, une offre qui soit propre à faire émerger une demande. C’est en nous appuyant sur ce que la psychanalyse nous a appris à nommer le transfert que dans la relation psychothérapique, comme dans nos rapports aux institutions qui nous accueillent, nous créons les conditions du maintien et du renforcement de l’autonomie professionnelle à laquelle chacun d’entre nous est attaché.

* Psychologue, psychanalyste, président de l’InterCoPsychos — Inter-Collectifs de psychologues.

Instantanés de l’InterCoPsychos – N°235