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26 février 2018

« Va voir un psy » ou « toutes des putes sauf ma mère, qui est une sainte »

par Philippe Grauer

tour de passe-passe terminologique lacanien ordinaire, faire des autres psys un ramassis peu ragoûtant pour se présenter en sauveur de la situation


Mots clés : psy, psychothérapie relationnelle, psychanalyse, coach, éthique

Marc Lévy, lacanien, critiqué par Philippe Grauer, psychopraticien relationnel

TOUTES DES PUTES SAUF MA MÈRE, QUI EST UNE SAINTE

Marc Lévy est lacanien. Il n’y a pas de sot métier. Marchant en groupe, il rédige l’argument d’un colloque local à Montpellier. Pas bête l’idée d’intituler ça Va voir un psy. Une déclinaison de la formule : "fais-toi suivre", qui paraît dès le premier §, est déjà plus inquiétante. On suit les malades. Or maladie et malaise c’est pas pareil. Poursuivons.

de 1 à 3 : toutes catégories confondues

Mais quel psy ? interroge-t-il. En effet tout est là, dans la diversité de l’offre. Marc Lévy énumère des catégories de psys hétérogènes dans un vrac calculé. La chaîne de noms de métiers commence par le médecin, à tout seigneur tout honneur : "un psychiatre". On aurait pu s’y attendre, vu le "fais-toi suivre" de la quatrième ligne. Ainsi en "première intention" comme on dit dans ce métier, le signifiant qui se présente d’abord est celui de la médecine. Mon deuxième est psychologue. Version laïcisée, concurrent et allié direct, le psychologue clinicien pose sa candidature en seconde intention. Mon tout est un psychothérapeute. Tout le monde ne sait pas ça, mais depuis la loi de 2004 reprise dans celle du 21 juillet 2009 HTPS (hôpital, patients, santé, territoire : la médicalisation de l’existence en marche), le terme psychothérapeute est réservé comme titre d’exercice, licence d’exercice professionnel si vous préférez, aux psychologues (et psychiatres mais eux le sont déjà de droit divin médical).

Donc mon tout est psychothérapeute. Troisième terme de l’énumération, qui en fait ne fait que reprendre en les désignant autrement, les deux premiers. Vous me suivez ? énumération biseautée : il y a les (a) et les (b), et puis aussi les {a et b}, on produit ainsi un effet de foule. Maître de l’effet miroir, l’auteur démultiplie le même en l’additionnant à lui-même. Ça permet de faire du Trois à partir de Deux. Toujours ça de gagné.

4è : un psychanalyste

Or notre groupe est lacanien. Il lui faut introduire en quatrième position le terme psychanalyste. Facile, les psychanalystes sont soit psychiatres (de moins en moins) soit psychologues (§ précédent). Donc, à leur demande expresse, psychothérapeutes ! Un psychanalyste c’est un psychologue-psychanalyste revêtu du titre d’exercice de psychothérapeute. Pas vraiment simple ? les intéressés  souvent s’embrouillent eux-mêmes dans leurs titres et sous-titres[1]. D’où l’usage courant du raccourci psy. Donc, aux trois premiers termes de l’énumération qui déjà ne sont pas sans malice taxinomique, ajouter psychanalyste. ça rend confuse la liste mais tous les psychologues ne sont pas psychanalystes il faut bien préciser, et s’annoncer, en dissimulant la dissimulation.

5è : un coach

Mais notre homme est encore plus fort. De deux professions et un titre, il a tiré un nom de métier qu’il ne situe pas, mais ajoute, produisant un effet de vrac. Lequel ne sera effectif que si l’on fait bonne mesure. Avec en position N°5 le terme coach la voici outrepassée, la mesure. En effet la caractéristique des coaches c’est qu’ils ne sont pas psys. Effet vrac élargi garanti.

en N°5 : les 400 engouffrés dans la case coach

Il va encore s’élargir. Au groupe mythique des 500. Un vieux truc repris par le discours psychanalytique officiel pour noyer le poisson. C’est quoi le groupe des 500 ? d’abord il en existe deux variantes. Les 500, c’est l’évaluation journalistique américaine produite durant les années 70-80, du nombre supposé des méthodes et techniques plus ou moins psys dont le mythe raconte aussi qu’il en naît une par jour aux États-Unis. Le mythe des 500 court tel le furet un peu partout. Il a pour effet (et mission) de disqualifier ce qu’il décrit. Une seconde variante repérée c’est le groupe des 400. Celle précisément qu’évoque notre éminent confrère. 400 c’est le dénombrement mythique des variétés psycho quelque chose — quelque si peu de chose ! repérées journalistiquement en un an dans la baie de San Francisco durant les années 70. La moindre des honnêtetés scientifiques, cher collègue, consisterait à présenter au public non pas le petit tas des 400 voleurs d’Ali Baba, mais selon quel principe on peut les discerner en sous-groupes classifiables (généralement moins d’une dizaine), en une vision critique. Remarquez, si on se met à aller voir chez les coaches quand on recherche des praticiens en psychothérapie, autant renoncer tout de suite. Mais si on ne sait pas faire on ne dénonce pas des autres qu’on est incapable de repérer.

les autres psys comme ramassis

C’est le moment de reprendre l’expression qu’emploie notre auteur, cette façon de présenter la psychothérapie des autres cloche. Elle vise un "effet de peur sur les passants". Surtout elle dissimule. Les psychopraticiens relationnels, quatrième terme du carré psy qu’ignore Marc Lévy, sont savamment évacués de l’énumération. La pluralité psy, la véritable psychodiversité (dont on enseigne le principe à l’université), que reclasse en une taxinomie intelligible le concept et schéma structurel de carré psy, se trouve embrouillée et manipulée. On nous la présente comme relevant du seul statut de psychothérapeute, agencé en désordre[2], auquel on adjoint par tricherie celui de coach. Cette disposition en étrange bouquet enfume. Voici la catégorie de "coach"— des non psys rappelons le —  assimilée aux "400" des techniques et méthodes psychotrucmuches bénéficiaires opportunistes du marché de l’angoisse, disqualifiées par les termes "enfer" et "convoitises". La méthode utilisée, sociologiquement désinvolte, rigoureusement antiscientifique, consiste à constituer l’autre en une masse douteuse indiscernable. Cette rhétorique le discrédite avec la condescendance qui convient comme un ramassis. Je n’ai pas écrit ramapsy, maintenant c’est fait.

au jeu de cache coach la psychothérapie relationnelle comme N° perdu

Pire, "coach" dans ce texte a pour fonction de renommer en la falsifiant la catégorie évacuée des praticiens en psychothérapie relationnelle[3], dont le nom de métier est psychopraticien relationnel, bien entendu pas "coach". Saluons ici l’artiste. Au jeu de bonneteau le bonimenteur a ajouté sa touche. Quand vous mettez la main sur la mauvaise case, vous trouvez non pas rien mais du pseudo.

Auto du Père

C’est alertement écrit. Attention à l’alerte. Cela ressasse un lieu commun qui "cloche" et "se répète", cela détourne les faits, ignore et défigure la réalité de notre existence. À l’insu même de l’auteur et ses collègues ? on peut c’est vrai s’auto-duper. Et puis tant qu’à faire mentir, autant croire en ses allégations. Et souvent ces collègues là vivent dans un entre soi isolationniste. Quoi qu’il en soit dans le métier de notre auteur cela s’appelle déni. Agrémenté de dénigrement.

éthique

Se pose ici une question souvent traitée chez les lacaniens, puisque Lacan a introduit la philosophie dans la psychanalyse, la question des valeurs et de la morale professionnelle, la question par eux dite, après Aristote, de l’éthique. Qui pose la question qu’est-ce que et comment vivre une vie bonne et juste ? en s’efforçant de suivre un code de conduite au moins à la Kant. Prendre pour principe de se comporter de telle façon que les principes de ma conduite soient applicables en toute justice à l’humanité entière. Pouvons-nous soutenir que la réthorique de Marc Lévy souscrit à ce principe ? nous sommes tous imparfaits et ça n’est pas pour lapider le pêcheur que nous sommes venus ici. Mais pour lui dire va et ne pêche plus. Enfin qu’il fasse comme il l’entend. Mais nous avons pour devoir (éthique !) de dire ce discours sonne faux, ne le gobez pas il vous intoxiquera l’esprit et – qui sait ? l’âme. Surtout, il nuit aux professionnels comme au public, qu’il égare et cherche à séduire.

aux « maux de notre temps » seul recours…/

Cela dit la suite du texte tient. Une description des voies de garage de la consultation psy en décrit les "cache-misère". Il rappelle qu’on ne guérit pas de la condition humaine. Il rappelle que Big Pharma propose remède à tout. Que, pressés par le temps ce bourreau sans merci, nous aimerions bien être "augmentés" (puisqu’économiquement c’est impossible en ce moment), et qu’une technique a beau survenir pour pallier la précédente, si rien n’y fait, il faut bien finir par en arriver aux choses sérieuses en matière de soin pris de soi.

…/ la porte du paradis lacanien

S’entrouvre enfin la porte, l’unique porte du paradis psy, laquelle franchie s’affranchira le sujet de ses déceptions et chaînes, enfin rendu capable d’assumer sa singularité — rien à faire ils adorent ce mot, pourquoi pas ? la guérison survenant, comme la grâce, "de surcroit". Traduit en français facile : nous nous disons psychothérapeutes, guérisseurs du psychisme mais ne vous obnubilez pas sur vos symptômes, la guérison arrivera en prime. Une considérable ambiguïté clôturant ce discours. Guérir ? mais de quoi, si on ne guérit pas de la condition humaine, peut-être qu’il n’y a pas à guérir ? Vous me rétorquerez, mais nos patients viennent pour cause de souffrance et nous n’avons pas à l’ignorer. D’où le terme thérapie, tout de même. Si nous ne prétendons pas jouer au docteur, peut-être faudrait-il promettre autre chose. Comme la simple capacité de prendre sa vie en charge et en sens. Donc d’aller tout de même mieux. Synonyme de souffrir moins ? Affaire à suivre.

dynamique de subjectivation, psychothérapie relationnelle et la suite

Un fait demeure. Si on n’embrouille pas tout au départ de façon malhonnête et corporatiste, et si on admet qu’on n’est pas les seuls valables comme issue à la difficile tâche de conduire sa vie en période de crise, on rappelle que plusieurs méthodes psys parfaitement honorables sont à la disposition du public, dont certaines sont correctement validées par des instances historiques responsables et respectables, qu’à côté de la psychanalyse actuellement se tient, les regroupant, cet ensemble disciplinaire qui porte le nom de psychothérapie relationnelle, qui comme nous s’occupe de la dynamique de subjectivation. Paradigme auquel on peut être fier d’appartenir, dans le cadre duquel organiser bientôt un colloque sur les co-locs de l’appellation psy. Autre thème autre débat.

locales circonstances : rendez-vous à Montpellier ?

Ce papier tombe à pic. Vient de sortir La psychothérapie relationnelle, par Philippe Grauer et Yves Lefebvre, qui traite la question  "Je vais voir mon psy" au chapitre Nébuleuse psy. Il est même prévu un événement à Montpellier sur le sujet. Rendez-vous bientôt avec les auteurs ?


[1] Mais ont su au bon moment revendiquer en bloc le fameux titre d’exercice professionnel de psychothérapeute, terme qu’ils honnissaient encore six mois auparavant. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas.

[2] Psychiatres, psychologues, puis psychiatres-psychanalystes ou psychologues-psychanalystes, répétés comme "psychanalystes", alors qu’il s’agit du mixte de deux classes, rapidement on n’y comprend plus rien. L’énumération floue les items qu’elle dénombre.

[3] Les psychothérapeutes d’avant le "Grand dérangement".


Va voir un psy

Ceci est le texte de Marc Lévy critiqué.

Argument : 

Formule entrée dans le discours courant, conseil exprimant la lassitude de celui qui écoute les complaintes, invective témoignant de la colère… Peu importe, cette expression devenue commune fait florès, souvent accompagnée d’un « fais-toi suivre ». Tout ça pour dire que « ça ne va pas » ou que « ça suffit ».

Mais quel psy ? Un psychiatre, un psychologue, un psychothérapeute, un psychanalyste, un coach ? Pour dire quoi ? Ce qui ne va pas, ce qui cloche, ce qui se répète ?

Ces dernières années ont vu fleurir quelques 400 sortes de traitements divers et variés, émanant tous des meilleures intentions : le bien d’autrui, même si le service des biens est souvent, tel l’enfer, pavé de bons sentiments ! À moins que le marché de l’angoisse n’ait encouragé les convoitises.

Traitement par la parole dit-on, comme si la parole, seule, pouvait suffire. Traitement par la suggestion pour d’autres mais on connaît les résultats de la méthode Coué. Traitement par le dressage, la pédagogie, le médicament, l’hypnose… Traitement des couples, de la sexualité, de la turbulence infantile, traitement des troubles qui vont de la peur des araignées à la peur de mourir. Traitement des maux de notre temps : stress, burn out, dépression, bipolaire etc.…autant de termes cache-misère car on ne sait plus ce qu’ils recouvrent.

Mais pour quelle guérison ? Celle de la souffrance ou celle du souffrant ? Celle de la plainte ou celle du symptôme ? Imagine t-on guérir de « la souffrance de l’être et de la douleur d’exister ? ».

C’est alors que la pharmacologie se délecte. Elle a le remède contre l’insomnie, l’angoisse, la tristesse, le délire et même l’impuissance. Tout lui est bon. Ses projets sont multiples et plein de promesses.

Il faut reconnaître que notre temps n’a plus le temps…Nous vivons dans l’urgence et la quête insistante d’un bien-être. Il nous faut être soulagés, réconfortés, « augmentés », dans les plus brefs délais et, si une technique s’avère insuffisante, une autre se propose.

Souvent, c’est lorsque ces approches ont rencontré leur limite que s’entrouvre la porte du psychanalyste. Car le sujet qui lui, demeure en souffrance, comment le libérer de ses espoirs toujours déçus, de ses idéaux inatteignables, de ses craintes et autres inhibitions ? Comment le libérer des standards, des normes qui changent comme les modes. Comment l’amener à assumer sa singularité envers et contre tous les judicieux conseils et bienveillantes suggestions ? Pour la psychanalyse, quand la guérison survient, elle est « de surcroit » nous dit le Docteur Lacan.

Marc Lévy.