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21 janvier 2012

Roudinesco – témoignages

témoignages

Il s’agit de témoignages, comme on en produit dans tous les procès. Cela permet d’apprécier les différents points de vue. Nous vous les livrons afin de compléter le dossier. À l’heure où la psychanalyse est autrement attaquée, on se prend à regretter que tant d’énergie fût déployée pour nourrir une querelle tout à fait locale. La question de fond étant que le statut de la parole des historiens est en train de changer, et qu’ils vont avoir à s’autocensurer en mainte occasion, ou bien que cette profession est en train de devenir dangereuse.

La démocratie a tout intérêt à veiller à ne pas s’égarer en procédure.

PHG


Je n’ai pas trouvé cela offensant pour Judith

Par Catherine Clément

Philosophe et romancière

Ayant suivi les séminaires du docteur Jacques Lacan de I962 à 1980 ; ayant assisté à quelques-unes de ses présentations de malades à l’hôpital Sainte-Anne; ayant été chargée par Jean Piel, son directeur, du premier compte-rendu des Écrits de Lacan dans la revue Critique en 1966 ; et ayant publié le premier livre le concernant en 1981 (Vies et légendes de Jacques Lacan, éditions Grasset, collection Figures), j’ai eu maintes fois l’occasion de constater son intime connaissance de la religion et de la théologie catholiques, qui n’était cependant pas contradictoire avec sa position athée. Je n’ai trouvé ni choquant ni impossible que, comme de nombreux incroyants que je connais, il ait pu à certain moment de sa vie formuler le souhait d’avoir des funérailles catholiques : sur ce point, les vœux de chacun peuvent évoluer selon les circonstances de la vie.

Je connais et j’aime mon amie Judith Miller depuis plus de cinquante ans ; je connais aussi l’immense respect qu’elle porte à son père, respect que je partage. Pour autant, je n’ai pas senti la moindre offense faite à Judith Miller en lisant le dernier livre d’Élisabeth Roudinesco ; si tel avait été le cas, ayant eu les épreuves de ce livre avant publication, je l’aurai certainement fait remarquer à l’auteure de Lacan, envers et contre tout.

J’ai été stupéfaite de la très forte réaction émotionnelle de mon amie Judith, réaction provoquée sur le moment, m’a-t-elle dit, par la lecture qu’on lui a faite au téléphone d’un seul paragraphe de ce livre-le paragraphe incriminé. Il ne m’avait pas semblé, à aucun moment, qu’Élisabeth Roudinesco y visait la fille de Jacques Lacan, non plus que sa famille, ni qu’à aucun moment il ait été question dans ces lignes d’une trahison des vœux paternels. Voici ce que j’ai pensé : tiens, je ne savais pas, il a changé d’avis, il a pu souhaiter des funérailles catholiques et demander plus tard à sa fille une autre forme d’obsèques au cours du dernier trajet de son existence. Je n’ai pas trouvé cela offensant pour Judith : car cela, je l’aurais perçu immédiatement. Je le dis d’autant plus volontiers que j’ai tenté d’apaiser de mon mieux le violent tourment de Judith le soir même où elle s’est sentie, à tort, personnellement mise en cause.

Rien n’y a fait, hélas. Je déplore très vivement que ce tourment ait pris la forme d’une plainte en justice. Pour lever publiquement ce qui à mes yeux n’est rien d’autre qu’un malentendu, il me semble qu’une lettre ouverte publiée dans la presse aurait suffi. Voire – on peut rêver – un simple appel téléphonique.
J’ajoute qu’en 1993, j’ai été la première à critiquer dans Le Magazine Littéraire l’essai d’Élisabeth Roudinesco, Jacques Lacan, esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée, dont le ton me semblait parfois agressif ( mais certainement pas sur le point des funérailles). En 2011, Lacan, envers et contre tout me semble au contraire écrit d’une autre plume, sur un ton d’admiration n’excluant pas la critique, et qui rend sincèrement hommage à l’un des plus importants penseurs de son époque. Le point des funérailles est abordé de la même façon dans les deux ouvrages, ce qui me rend encore plus incompréhensible le tourment de mon amie Judith, et davantage encore son action en justice.

Je sais que cette lettre sera produite par maître Georges Kiejman lors du procès intenté par Judith Miller contre Élisabeth Roudinesco.


c’était dans son style d’en avoir émis le souhait

par Célia Bertin

Chère Élisabeth Roudinesco,

Amie de longue date de Marie-Louise Blondin, première femme de Jacques Lacan, j’ai toujours eu l’occasion de constater à quel point l’un et l’autre étaient attachés aux rites de l’Église catholique romaine. Ils se sont mariés à l’église. Marie-Louise était agnostique et Lacan athée mais cela n’a rien à voir avec l’attachement à des traditions. Il était de culture catholique et il était né sous le nom de Jacques Marie Lacan. Il a abandonné la seconde partie de son prénom après avoir perdu la foi. Cela ne fait aucun doute. Je ne comprends pas que la famille Miller puisse se croire offensée par ce que vous avez écrit. Des funérailles catholiques ? Mais bien entendu, c’était dans son style d’en avoir émis le souhait.

Fait à Paris le 20 octobre 2011

Je sais que ce témoignage peut être utilisé en justice par Maître Georges Kiejman.


Jacques, vous n’y pensez pas, tout de même !

Par Henri Roudier

Professeur de mathématiques en classe préparatoire au Lycée Chaptal

Je tiens à apporter à Maitre Georges Kiejman et à Élisabeth Roudinesco le témoignage suivant. Je me souviens très bien d’une anecdote concernant Jacques Lacan que m’avait racontée ma grand-mère Jenny Aubry et qui devait se situer à la fin des années soixante-dix. Je voyais celle-ci très souvent à cette époque et je l’avais interrogée sur certains aspects étonnants de la personnalité de Lacan.

Un jour, au cours d’un déjeuner qui avait lieu rue de Lille et réunissait Jenny Aubry, Sylvia Lacan et Jacques Lacan, celui-ci avait déclaré qu’il souhaitait des funérailles catholiques. Et comme ma grand-mère s’étonnait : « Jacques, vous n’y pensez pas, tout de même ! », lui avait-elle dit, il lui avait répondu en évoquant la grandeur et la pompe des cérémonies de l’Église catholique. Sylvia Lacan l’aurait alors interrompu en déclarant : « Moi en tout cas, je n’y assisterai pas ! ».

Faut-il ajouter que j’ai trouvé cette petite histoire magnifique`?

Paris le 17 septembre 2011


j’ai du mal à comprendre la polémique ouverte

Par Henri Rey-Flaud

Professeur émérite de l’Université Paul-Valéry de Montpellier.

En tant que proche à la fois de Jacques-Alain Miller (qui fut mon condisciple à l’École normale supérieure et que j’ai rejoint lors de sa fondation de l’École de la Cause Freudienne) et de de Judith Miller (qui m’a accueilli dans sa collection du Champ freudien), en tant qu’ami également d’Élisabeth Roudinesco, j’ai du mal à comprendre la polémique ouverte à propos d’une phrase du dernier livre de celle-ci, consacré à Jacques Lacan. L’hypothèse selon laquelle Lacan aurait souhaité avoir des funérailles catholique ne me paraît ni trahir la mémoire de ce grand penseur ni offenser l’honneur de sa famille. Cette suggestion n’implique en effet aucune forme d’adhésion à une croyance spirituelle mais la seule inscription dans une tradition culturelle à laquelle Lacan appartenait de toute évidence. En témoignent le concept majeur de Nom-du-Père emprunté directement à la théologie, les innombrables références positives à la religion catholique faites dans son œuvre, la présence à ses séminaires et l’appartenance à l’École freudienne de Paris de figures religieuses marquantes (Louis Beirnaert, spécialiste d’Ignace de Loyola, Denis Vasse, Michel de Certeau). À un moment décisif pour l’avenir de la psychanalyse en France, l’on ne peut que souhaiter que tous les disciples et admirateurs de Lacan soient rassemblés dans un même combat.

Je suis conscient que ce témoignage sera présenté lors du procès engagé par Madame Judith Miller contre Madame Roudinesco.

Fait à Montpellier le 11 octobre 2011