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Pour l’homoparentalité

Ce texte constitue une reprise en « tiré à part » extraite d’un regroupement de trois articles du Figaro en date du 3 octobre 2012 relatifs au projet de loi sur le mariage homosexuel, que par ailleurs nous commentons. Il se démarque des propos navrants de la part de psychanalystes réactionnaires qu’il avoisinait. Individualisé, nous l’avons souhaité d’une consultation plus facile.



POUR L’HOMOPARENTALITÉ

Mots clés : Homosexualité, Adoption, Homoparentalité, Mariage homosexuel, Philosophie, Procréation assistée, France


par Luc Ferry

Le Figaro le 19/09/2012

La chronique de Luc Ferry

pour une adoption accessible au couple homosexuel

Je sais que je vais choquer ou pire, décevoir certains lecteurs, mais je voudrais leur dire ici en vertu de quels arguments je ne puis être hostile à l’adoption d’un enfant par deux parents homosexuels. Après mûre réflexion, je suis convaincu – et je vais dire pourquoi – qu’il faut inverser l’opinion commune selon laquelle le mariage serait à la rigueur acceptable «entre adultes consentants», tandis que l’adoption, parce qu’elle engage un tiers qui n’a rien demandé (l’enfant adopté), devrait être interdite. C’est presque le contraire qui est vrai si l’on y réfléchit au fond. Il faut bien, en effet, avoir conscience qu’en France, aujourd’hui, l’adoption d’un enfant par une personne célibataire – donc, le cas échéant, par une personne homosexuelle – est tout à fait licite. Le problème n’est donc nullement de savoir si l’adoption est accessible aux homosexuels – elle l’est d’ores et déjà de façon parfaitement légale – mais si elle l’est à leur couple, couple au sein duquel des enfants adoptés vivent déjà de toute façon.

entre 40.000 et 200.000 enfants qui vivent aujourd’hui dans une situation à haut risque

Ma réponse est oui, cent fois oui, car en cas de décès du parent «officiel», ou même seulement de séparation, le «deuxième parent» n’a aucun droit. Il faut ajouter, si l’on veut considérer la situation dans sa globalité, que nombre de femmes vivant ensemble ont, en dehors de cette première possibilité qu’est l’adoption, recouru à des inséminations artificielles avec donneur (aisées à pratiquer chez nos voisins belges ou britanniques) pour donner naissance à des enfants qui viennent donc s’ajouter à ceux qui ont été adoptés. De sorte qu’au total, ce sont entre 40.000 et 200.000 enfants qui vivent aujourd’hui dans une situation à haut risque. Car, j’y insiste, en cas de disparition du parent légal, le deuxième parent n’a aucun statut juridique ce qui peut conduire à de véritables catastrophes humaines. C’est donc ce problème qui doit être réglé d’une façon ou d’une autre en toute priorité – ce qui conduit à reconsidérer la question de l’homoparentalité en des termes très différents de ceux auxquels on est généralement habitué dans le débat public.

Le mariage est donc la solution la plus simple

Car, pour agir dans l’intérêt bien compris des enfants, il est à l’évidence souhaitable d’autoriser leur adoption par les deux parents, tandis qu’à la limite le mariage pourrait être remplacé par une autre institution qui viserait à améliorer le pacs. Cela dit, il ne suffit pas de le modifier sur le seul plan financier – de régler les problèmes de fiscalité ou de pension de réversion, par exemple –, mais il faut surtout faire en sorte que ces milliers d’enfants vivant dans des couples homosexuels et notamment ceux qui n’ont pas d’autres parents connus dans un couple précédent soient protégés contre les accidents de la vie. Le mariage est donc la solution la plus simple. J’ajoute qu’interdire le mariage aux homosexuels, mais accepter l’homosexualité hors mariage, c’est admettre le sexe et refuser l’amour – ce qui est assez paradoxal pour des milieux conservateurs.

la transmission de l’amour

Plaider pour le mariage homosexuel, c’est vouloir réconcilier les deux. Allons plus loin. Si l’éducation réside, non dans la filiation, mais dans la transmission de l’amour, de la loi et de la culture, on voit mal au nom de quoi on pourrait prétendre que des homosexuels en sont incapables. Contrairement à une opinion reçue mais fausse, les études dont nous disposons montrent que les choses ne se passent pas plus mal pour leurs enfants qu’avec les hétéros. Tous les parents, quels qu’ils soient, peuvent connaître des difficultés. Pour autant, personne ne songe à leur faire passer un permis de procréer, même lorsqu’ils sont manifestement alcooliques ou déséquilibrés.

une raison qui puisse et doive valoir pour tous

Il faut enfin noter que nous ne sommes pas dans une conversation privée où il serait question d’affirmer haut et fort, au nom de son éthique ou de sa religion, son avis personnel. Nous avons tous des opinions, c’est l’évidence, mais il s’agit d’abord et avant tout d’élargir l’horizon, de se mettre à la place des autres, de saisir tous les points de vue, car c’est bien là la première exigence de la loi républicaine. Par essence elle vaut pour tous, et pas seulement pour moi. Dans cette perspective, il est un principe que nous devons considérer comme sacré: nous n’avons aucun droit d’interdire quoi que ce soit à autrui sans qu’il y ait une bonne raison pour le faire, c’est-à-dire une raison qui ne vaille pas simplement pour moi, à titre d’option personnelle, confessionnelle par exemple, mais qui puisse et doive valoir aussi pour tous. Cela dit pour ouvrir le débat sur ses véritables bases.

Blog: www.lucferry.fr