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24 février 2017

Élisabeth Roudinesco – de Wilson à Trump, l’idée de la folie au pouvoir par Élisabeth Roudinesco

En France la Menace reste résistible

par Philippe Grauer

Et voici que surgit de la boîte à surprise de l’Histoire un autre "fou", chargé par les psychiatres de noms d’oiseaux dangereux, l’improbable puis imprévisible Trump. Plus particulièrement en ces temps incertains, que penser de la folie au pouvoir ? et de l’incomparable voile obscurantiste – on pourrait parler en termes d’aveuglement volontaire irresponsable – sous-jacent au populisme.


En France la Menace reste résistible

Mots clés : psychanalyse, politique, folie.

En France la Menace reste résistible

par Philippe Grauer

La France vit sa période politique sensible, le prochain cours de philosophie de Daniel Ramirez (UFA ouverte) porte sur ce thème, le monde est bien fait.

Le hasard met sous les projecteurs l’édition d’un inédit en français d’un document de travail rédigé par Freud en 1931 pour affermir la culture analytique de son ami William C. Bullitt, ambassadeur des États-Unis en France, qui préparait un ouvrage consacré au président T.W. Wilson. Vous savez, l’idéaliste fondateur de la Société des nations et organisateur du Traité de Versailles qui accoucha de la seconde manche, aggravée comme on sait, qui devait en résulter. Freud tenait Wilson, qu’il détestait à cause de sa maltraitance de l’Allemagne, pour proche de la psychose, en tout cas mélancolique, identifié à son "incomparable père", puis à Dieu, belle dérive du sur-moi.

Et maintenant avec Trump l’Amérique tient son Président milliardaire de la politique-réalité qui ment plus vite qu’il ne respire, capable de persuader des américains très moyens, très nombreux et très pauvres qu’il est leur représentant le plus sûr. Psycho épate si vous voulez mais terriblement intelligent. La question risque de devenir, mais où sont les fous dans cette histoire ? et l’inquiétude de jeter son ombre sur notre pays. Prenons garde de nous retrouver embarqués dans un tsunami politique comparable – mais pas imparable.


par Élisabeth Roudinesco

de Wilson à Trump, l’idée de la folie au pouvoir

propos recueillis par Marie Lemonnier – L’OBS du 23 février 2017

Dans la présentation d’un texte inédit de Sigmund Freud,  Abrégé de théorie analytique (1931) , vous écrivez : « on se demande comment la nation démocratique la plus puissante du monde a pu élire un tel malade mental à une si haute fonction ». Vos propos se rapportent ici au 28è président des États-Unis Thomas W. Wilson (1913-21). Mais on les croirait écrits pour aujourd’hui tant la question se pose avec Donald Trump, dont beaucoup doute des capacités à gouverner !

J’ai écrit cette présentation avant l’arrivée de Donald Trump à la Maison blanche, mais effectivement, je trouvais assez amusant de publier cet inédit en ce moment. Ce résumé des grands principes de la psychanalyse devait initialement être intégré au « Portrait psychologique » sur Wilson qu’écrivait le diplomate américain William C. Bullit en collaboration avec Freud. L’ouvrage fut publié en anglais en 1966, après la mort de la deuxième femme de Wilson. Mais le chapitre de Freud n’y fut jamais inséré dans sa version complète, car Bullit en avait censuré des passages. Et ce n’est qu’en 2004, que l’historien Paul Roazen a découvert l’original dans les archives du diplomate, à l’université de Yale.

Ce que met en évidence cette étude, c’est la folie ordinaire invisible sous l’apparence de la normalité. Thomas Woodrow Wilson était le fils d’un pasteur presbytérien, obsédé par cette figure paternelle imposante. Il était par ailleurs sujet à de nombreuses attaques cérébrales qui affectaient son jugement. Et il se voyait comme un élu de Dieu bienfaiteur de l’humanité. Freud soutient ainsi l’idée que l’Amérique avait portée à la tête de ses institutions un président fou qui se prenait pour le Messie, c’est-à-dire un despote illuminé, catégorie la plus dangereuse à ses yeux. Il reprochait notamment à Wilson d’être en partie responsable du Traité de Versailles (28 juin 1919), qui mettait en acte le démantèlement des empires centraux et préludait à la montée du fascisme en raison de l’humiliation infligée à l’Allemagne. Parti à la table des négociations avec la très belle idée que les peuples européens devaient disposer d’eux-mêmes, Wilson, piètre diplomate et adepte de syllogismes délirants, en revient en ayant accepté la politique exactement contraire de celle qu’il avait annoncée ! Il sera ensuite détesté pour cela.

Quel retentissement eût la publication de cette psychobiographie ?

Le « Portrait de Wilson » est devenu un classique très célèbre aux Etats-Unis, parce qu’il a inauguré une véritable approche des pathologies psychiques et mentales des présidents américains. Mais toutes les pathologies ne relèvent pas de la folie et n’entravent pas le pouvoir. Bill Clinton, par exemple, a été persécuté pour une aventure sexuelle banale, mais ne présentait aucune forme de pathologie. S’il a vécu un tel acharnement, c’est avant tout parce que l’exigence de transparence sur la vie privée était devenue telle qu’on ne tolérait plus qu’un président ne s’occupe pas entièrement du peuple et surtout qu’il mente. Le sexe, pour les États-Unis, et l’argent, pour la France, étant les nerfs de la guerre.
Toute la question est donc de savoir à partir de quand une névrose, des pulsions, des obsessions empêchent ou non un homme de gouverner… Le grand président des États-Unis Abraham Lincoln (1861-65) était mélancolique, mais il a su diriger son pays dans une situation très difficile. Richard Nixon (1953-61) était atteint d’une pathologie complotiste et aimait espionner ses ennemis par des écoutes, on le sait depuis l’affaire du Watergate, il a pourtant été un homme politique très habile. John F. Kennedy (1961-63) était atteint d’une hypersexualité, et un grand dirigeant. Lindon Johnson (1963-69), lui, était obsédé par la longueur de son sexe, qu’il exhibait et qu’il avait surnommé « Jumbo »…
Mais le cas de Wilson était finalement, pour Freud, le prototype de ce qu’il y a de pire chez certains de ces présidents américains, qui se prennent pour Dieu en étant convaincus que l’Amérique aurait pour destin de combattre partout dans le monde l’axe du mal au nom de l’axe du bien. C’est aussi ce qui guidera par la suite l’interventionnisme américain dans les affaires du monde, jusqu’à Obama qui va rompre avec cette politique et d’ailleurs, on le lui reprochera.

Élisabeth Roudinesco est historienne de la psychanalyse et chercheur associée au département d’histoire de l’Université de Paris VII-Diderot. Biographe de Sigmund Freud et de Jacques Lacan, elle est l’auteur de nombreux ouvrages, dont les plus récents sont : Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre (Prix décembre 2014) et L’inconscient expliqué à mon petit-fils (2015), aux éditions du Seuil. Elle vient de faire paraître, chez le même éditeur, un texte inédit de Sigmund Freud, traduit par  Jean-Pierre Lefebvre et dont elle a écrit la présentation : Abrégé de théorie analytique (1931). À paraître, à l’automne 2017 : Dictionnaire amoureux de la psychanalyse (Plon/Seuil).

Outre qu’ils sont à la tête de la première puissance mondiale, pourquoi cette identification à Dieu atteindrait-elle particulièrement les chefs d’État américains ? 

Le président américain est investi d’une fonction un peu différente de celle des autres nations. Il est le personnage le plus important des États-Unis, plus encore que chez nous, parce que c’est un pays sans tradition monarchique. En France, le président est en quelque sorte l’héritier de l’ancien régime, il est la nation, la République. Aux Etats-Unis, il n’est pas le représentant de Dieu sur terre comme peut l’être un roi, mais pire, il incarne Dieu : il jure sur la Bible et devient le garant du bien et du mal. Il est donc plus facilement porté à « se prendre » pour Dieu. Le système démocratique est cependant fait, précisément, pour empêcher de tels excès. On change de président, on contrôle, on exige la transparence… Et à cet égard, nos sociétés sont allées vers de plus en plus de surveillance des pathologies au pouvoir.

L’idée de la folie au pouvoir n’est cependant pas neuve en 1966, elle existe même depuis la nuit des temps. Et le cas d’Hitler a déjà donné lieu à profusion d’études psychologiques…

C’est en effet à partir de 1945, avec le procès de Nuremberg, qu’on a vu que le monde pouvait être gouverné par ceux qu’on a appelés des « monstres », c’est-à-dire des responsables politiques qui, pour la plupart, n’étaient pas à proprement parler atteints de « folie », mais de « perversion » au point de considérer que mettre à mort des millions de gens était quelque chose de normal.

Il y a eu une centaine de théories sur l’enfance d’Hitler et sa psychopathologie. Et le grand historien Ian Kershaw les a invalidées, à juste titre, parce qu’elles finissaient toutes par expliquer le nazisme par la «  folie » d’Hitler. Or, la « folie » d’un souverain ou d’un dictateur n’explique pas la totalité d’une situation. Dans le système nazi, il y  a une telle inversion du bien et du mal que toutes les pathologies se retrouvent au pouvoir. Tous les dirigeants nazis ont certes des pulsions meurtrières délirantes, mais ils ne peuvent les mettre en acte que parce que le système le leur permet, l’Etat totalitaire validait par avance les pires comportements. La psychiatrie a donc changé avec le procès de Nuremberg, et on s’est mis à se demander s’il ne fallait pas mettre sur le divan tous les dictateurs.

Roland Gori, Un monde sans esprit, la fabrique des terrorismes, venant de sortir.

Hiroshima a été une autre prise de conscience. La question de la bombe atomique est devenue omniprésente dans la démocratie américaine, et un motif récurrent du cinéma. Le pouvoir d’appuyer sur le bouton mortel pour la planète fait que tout le monde pense, et nous-mêmes, à la dangerosité que peut représenter une situation où l’arme atomique est entre les mains d’un dictateur fou. On vit cette crainte avec la Corée du nord actuellement. Le danger atomique a lui aussi entraîné une recrudescence des demandes d’expertises psychiatriques.

Dans cette longue tradition des présidents américains porteurs de troubles mentaux, quelle est donc la place de Donald Trump ?

Le cas de Trump est hors-norme, parce qu’il n’était pas attendu, tout le monde le pensait trop « fou » justement, ne possédant pas le profil. C’était sans compter sur le populisme, c’est-à-dire la crise de la démocratie, qui est mondiale.
Trump vient après Obama, comme une réaction de l’Amérique profonde qui avait mal digéré l’élitisme trop « côte Est » d’Obama. C’est donc la vieille Amérique blanche,  pauvre et aigrie, qui se rebiffe contre ses élites. A cet égard, on est évidemment sidéré que les classes les plus exploitées aient pu voter pour un milliardaire dont ils prétendent qu’il incarne leur misère. C’est un grand paradoxe. Si cela fonctionne, c’est d’abord parce que Trump est un pur produit de l’American way of life : il a réussi. Evidemment il vient d’un milieu bourgeois, mais il est profondément inculte et il a les valeurs les plus pulsionnelles et les plus débiles d’un faux Far West. Ce n’est pas un hasard qu’il ait contre lui toute l’université, tout Hollywood, toute la culture.

Mais est-il cliniquement « fou » ?

Je ne peux pas le dire, car je ne fais pas de diagnostics foudroyants. Certains soutiendront que les contre-pouvoirs peuvent le contraindre à renoncer à ses projets souvent délirants… Mais tout le problème est là, c’est l’imprévisibilité. Ce qu’on observe en tout cas, c’est que quand on lui oppose un obstacle ou un refus, comme lorsqu’un juge retoque un de ses décrets, il est hors de contrôle et répond par des tweets rageurs. Il gouverne « Ok Corral », et j’ajouterai même que c’est un mauvais film.

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De manière tout à fait inhabituelle, vos confrères américains sont sortis de leur réserve avec Donald Trump, alors que leur code de déontologie, plutôt strict à travers la « règle Goldwater », leur interdit de poser des diagnostics sur des personnalités publiques. Que pointent-ils ?

Ils sont même sortis de cette réserve avant l’élection, durant la campagne. Il y a d’abord eu des politiques du parti démocrate qui ont demandé une expertise psychiatrique. Puis, il y a eu les actions du Dr John D. Gartner, professeur de psychiatrie de l’université John Hopkins, qui a lancé une pétition pour demander sa destitution et appelé les psychiatres à poser des diagnostics à partir des éléments les plus manifestes de sa personnalité. Ce qui est évident en premier lieu, ce sont des phrases qui dénotent son manque total de sens de la diplomatie. Trump, c’est la gouvernance par le tweet. Or le tweet, c’est le degré zéro de l’altérité, c’est pulsionnel, sexuel. Ensuite, il a l’obsession de son anatomie puisqu’il a dit « j’ai les doigts longs et il n’y a pas que cette partie de mon anatomie qui est longue » et il n’a pas cessé de faire des allusions sur la longueur de la foule qui venait le voir. Il ne s’est pas retenu non plus sur la question de l’inceste, et a exprimé publiquement qu’il désirait sexuellement sa fille.

Les psychiatres ont également demandé, non sans humour, qu’il passe un test de quotient intellectuel à cause de ses raisonnements simplistes. Prenez par exemple sa misogynie extrême, ou ses déclarations hallucinantes sur les Japonais qui auraient « compris » 1945, sous-entendu ils ont reçu la bombe… Il repense d’ailleurs l’histoire de Pearl Harbour de façon si aberrante qu’on aurait aussi envie de lui faire passer un test de culture générale pour savoir ce qu’il connaît réellement de son propre pays.

On est obligé de constater, et on n’a pas besoin d’être psy pour ça, que cet homme a des comportements transgressifs. Son infantilisme et son narcissisme sont affirmés, il ramène tout à lui, c’est « moi, moi, moi ». Il a également une propension dictatoriale au népotisme, visible à travers le fait qu’il ne nomme que des proches et ne respecte pas la séparation des pouvoirs, comme lorsqu’il appelle les Américains à acheter les vêtements commercialisés par sa fille. Son absence totale d’empathie pour les autres est notoire. Et sa vulgarité saute aux yeux. Il a mauvais goût, ses tours sont kitch. Alors que la plupart des milliardaires américains sont relativement distingués et ont fait des études,  lui est à l’opposé du modèle Rockfeller. Il n’a absolument aucune culture et ne sort d’aucune école. Même un président acteur comme Reagan était issu d’une institution : Hollywood.

Ce qui paraît le plus inquiétant chez lui, c’est qu’il n’a pas l’air d’habiter la réalité ou bien la fantasme à son gré. Et son « Muslim Ban », qui opère le tri entre les musulmans et les autres, nous évoque forcément des heures sombres de notre histoire…

C’est en effet ce que les psychiatres américains ont pointé comme du « narcissisme malveillant ». Évidemment, on voit la réduction ad hitlerum : ils ont redonné les diagnostics sur Hitler, son hystérie, sa terreur des autres, son incapacité à tout dialogue… On en revient toujours à Hitler, comme archétype du malade mental au pouvoir.
Mais avec ce bannissement des musulmans, on a en plus quelque chose de tout à fait extravagant par rapport à ce qu’est l’Amérique, c’est-à-dire un pur pays d’immigration. Trump est dans le culte fou d’une Amérique qui n’existe pas. De ce point de vue, il a beaucoup joué sur  le fait que tous les membres de sa famille se présentent comme des poupées Barbie, et en premier lieu son épouse. Dieu sait si les premières dames américaines doivent être élégantes, mais là, ce n’est pas de l’élégance personnelle, rien à voir avec une Michelle Obama ou une Jacqueline Kennedy, c’est une photo de mode. A travers elle, vous avez ainsi un silence, un mutisme, et au final une image dérangeante de la famille présidentielle. D’autant plus que cette famille est tout le temps présente. Dès qu’il donne une interview, Trump place à ses côtés sa femme et ce fils, Baron, qui est incapable de se tenir sans grimacer ou bailler durant son investiture. Les enfants ne sont pourtant pas idiots, ils sont capables de comprendre comment ils doivent se comporter. Le petit John Kennedy n’a que trois ans à l’enterrement de son père, et il est magnifique ! On a l’impression que Trump est incapable de ne pas être entouré d’une famille, qui est à la fois son clan et son trophée, et qui, au fond, est là pour « faire salon ».

En France aussi, cette campagne présidentielle, qui semblait promise à l’ennui, est prise d’une certaine folie. De quoi est-elle la manifestation ?

Ce que montrent les évènements de cette campagne, c’est une très profonde crise de la représentativité. C’est pourquoi je suis contre les primaires. Ce système aggrave la délégitimation des partis et s’est avéré un piège épouvantable.
D’abord pour le Président lui-même, puisqu’on a assisté à la mise à mort de François Hollande par Judas et Brutus, c’est-à-dire Emmanuel Macron et Manuel Valls. Hollande était acculé, il ne pouvait pas rester, parce qu’un président qui se confronte à des primaires, ça ne fonctionne pas avec nos institutions. Sans cela, il aurait pu se représenter, échouer peut-être, mais là, il a été privé de son destin.

Les primaires sont également un piège pour la droite, puisque malgré l’affaire du Penelopegate, François Fillon s’entête à rester candidat. Après avoir dit qu’il renoncerait s’il était mis en examen, voilà qu’il fait maintenant volte-face en faisant appel au peuple contre la justice de son pays : « je suis légitime, parce que le peuple m’a élu ».

Enfin, c’est un piège pour l’électeur, car avec le tripartisme lié au FN, quelqu’un qui s’investit dans cette élection est quasiment obligé d’aller voter six fois, aux deux primaires, puis aux deux tours des présidentielles. De gauche, je me suis moi-même retrouvée dans cette situation  d’aller voter d’abord aux primaires de droite, pour Alain Juppé, le meilleur candidat républicain pour barrer la route à Marine Le Pen, puis aux primaires de gauche en faveur de Benoît Hamon, qui veut remettre la gauche sur ses rails et contre Manuel Valls qui avait déclaré que le deux gauches étaient irréconciliables, position inadmissible à mes yeux.

Ce système tord donc les esprits et met en cause l’idée de la représentativité au profit de calculs stratégiques. On ne vote plus pour le camp qu’on a choisi mais contre le pire. Autrement dit, si avant même l’élection, il y a la sanction des urnes, chaque parti est divisé. Cette démocratie d’opinion et ces appels à une légitimité populaire en « prime time » sont d’autant plus dangereux que nous sommes dans un moment où l’opinion est extrêmement volatile.

Alors qu’il est empêtré dans les affaires, l’acharnement de François Fillon paraît stupéfiant. Comment l’analyser ?

L’acharnement à dénier est un mécanisme que chacun peut comprendre, mais s’acharner à dénier un fait avéré en affirmant avoir la légalité avec soi mais pas la moralité, et bafouer ce qu’on a dit, c’est un vrai problème, cela montre que ce candidat est atteint de démesure. Voilà une névrose qui effare tout le monde, y compris son propre camp. Pour se défendre, il ne peut que développer des théories complotistes : « je n’ai rien fait, les médias se sont liguées contre moi pour m’abattre, etc ». Donald Trump a d’ailleurs usé de la même rhétorique. François Fillon n’est pas fou, mais son raisonnement l’est. Car s’il perd, il détruit son parti. Et s’il gagne, comment pourra-t-il être président après avoir refusé de se soumettre à la justice? Nous nous retrouvons donc dans cette situation ahurissante d’attendre qu’il soit peut-être mis en examen tout en sachant qu’il ne se désistera pas de lui-même. C’est un cas inédit. Fillon fait donc passer son narcissisme personnel avant son parti et avant l’intérêt de l’Etat. Il fait par ailleurs peser un risque non négligeable sur sa vie de famille. On peut éprouver de la compassion pour Penelope Fillon réduite au silence, et dont on ne connaît la voix que par une vidéo où elle exprime une plainte, un ennui, une sorte de bovarysme. Le spectateur-électeur est ainsi mis dans une situation de voyeur devant quelque chose qui ne le regarde pas.

L’an passé, dans L’Obs vous nous disiez observer « un désir inconscient de fascisme en France ». Quel est votre sentiment aujourd’hui ?

Cela se confirme. Il y a une fascination, quoi qu’on en dise et quoi qu’il arrive, pour Marine Le Pen. Près d’un tiers des Français veulent la voir au deuxième tour. Une partie du peuple français, qui est quand même le peuple des révolutions, se reporte donc aujourd’hui vers la contre-révolution, vers l’extrême-droite du FN, qui a importé les thèmes de la gauche en les distordant mais qui reste l’incarnation du vieux lepénisme paternel.

Comme Trump, Marine Le Pen est quelqu’un qui semble représenter les aspirations des plus démunis mais qui est le contraire de ce qu’ils devraient vouloir, puisqu’elle va aggraver les inégalités. La préférence nationale et la sortie de l’euro sont des projets aberrants, politiquement et économiquement. Comme Trump, elle raconte un  catéchisme national puisé dans des manuels scolaires d’un autre âge. Et comme Trump, elle fait illusion parce qu’elle a un petit bagout personnel, mais elle n’a aucune culture. C’était très net dans son échange avec Patrick Buisson à « L’émission politique » de France 2, elle ne comprenait même pas les questions qu’il lui posait, c’était trop sophistiqué pour elle.

La plus grande menace qui pèse sur nous aujourd’hui, c’est donc un phénomène Trump, avec Marine Le Pen.