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24 avril 2018

ARMÉNIE 24 AVRIL, anniversaire de la mise à feu et à sang du premier génocide du XXè siècle

par Philippe Grauer

Le génocide des arméniens fut un véritable banc d’essai grandeur nature des génocides qui marquèrent le XXè siècle, à commencer par la Shoah. Oui c’est possible, oui ça a existé. Oui les gouvernants turcs ne veulent pas en entendre parler et s’y enlisent. Oui Erdogan, Bachar et compagnie sont bien là. Oui la poussée fasciste revient en Europe. Oui il faut se souvenir et accueillir les rescapés martyrisés, dits "migrants". Oui sonner l’alerte.


Mots clés : génocide, arméniens, antisémitisme, Turquie, Shoah, Israël, relation

Les Trois Pachas génocidaires

103 ans il y a déjà trois ans de plus qu’un siècle, que le gouvernement Jeunes-Turcs lançait avec tous les moyens de l’État ce que les Arméniens appellent Aghet ou Hayots selon la transcription. La catastrophe, c’est toujours ce mot qui qualifie la rencontre d’un peuple avec un plan d’extermination massive. Pour un coup d’essai ce fut un coup de maître. La répétition générale avait eu lieu à la fin du XIXè, siècle sous le sultan Hamid. Les responsables sont Les trois pachas (généraux), Talaat Pacha[1], Enver Pacha[2], Djemal Pacha, les premiers à avoir été accusés par les alliés dès le 24 mai 1915 de crimes contre l’humanité, enfuis à Berlin, condamnés à mort par contumace au lendemain de la guerre, auxquels sont toujours dédiés des monuments et noms de rue en Turquie.

génocide premier du genre moderne homologué

Aucun doute sur la qualification de génocide n’est permis au regard de la masse de documents témoignant de l’existence d’un plan d’État d’ensemble minutieusement exécuté jusqu’à son terme, de mise à mort d’une population entière (entre 1 200 000 et 1 500 000) conduite avec une cruauté inimaginable. Les archives existent à foison, rédigées par des diplomates, missionnaires et autres témoins directs, conservées par les chancelleries (dont allemandes). Tout le monde sait, et on a su depuis le début. Jugez par vous-même. Par une lettre du 7 novembre 1916, Aristide Briand accuse la Turquie de mener un "monstrueux projet d’extermination de toute une race." De leur côté les responsables exerçant la dictature de l’époque commirent quelques imprudences en émettant des télégrammes en clair :

« Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l’âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n’ont pas leur place ici » (télégramme de Talaat Pacha à la direction des Jeunes-Turcs de la préfecture d’Alep). Une second télégramme précise : "Il a été précédemment communiqué que le gouvernement a décidé d’exterminer entièrement les Arméniens habitant en Turquie. Ceux qui s’opposeront à cet ordre ne pourront plus faire partie de l’administration. Sans égard pour les femmes, les enfants et les infirmes, si tragiques que puissent être les moyens d’extermination, sans écouter les sentiments de la conscience, il faut mettre fin à leur existence". Si cela ne s’appelle pas génocide, qu’est-ce qui le sera jamais ? Hitler, un connaisseur, donnant (oralement !) à ses généraux ses consignes de liquidation de populations entières au moment de l’invasion de la Pologne, avait l’événement en tête quand il leur précisa "qui se souvient encore des massacres des Arméniens ?"

où l’on retrouve les Kurdes là où on ne les aurait pas attendus

Les exécuteurs (et bénéficiaires) seront les… Kurdes[3] ! les Tcherkesses et l’intéressante Organisation spéciale (une création d’Enver Pacha, principalement subventionnée par… le Reich) composée de criminels libérés de prison, entraînés pour accomplir les basses besognes en masse. Si les Kurdes n’avaient pas participé activement au génocide, ils auraient trouvé dans les Arméniens les alliés qui leur manquèrent quand Mustapha Kemal à l’issue de la guerre d’indépendance turque enterra l’idée d’un Kurdistan autonome. En somme tout y est, jusqu’aux wagons à bestiaux, le souci d’élimination systématique de toute preuve et la menace de punition de mort des fonctionnaires réfractaires. Tout y est jusqu’à la culpabilité complice de l’Allemagne d’alors, qui, faisant la pluie et le beau temps à Stamboul pouvait sans effort stopper l’opération en cours.

Marie d’Alep

J’écris volontiers sur ce sujet car il se trouve que ma mère, la peintre Yvonne Grauer, a été élevée avec l’aide d’une étrange "bonne" familiale, Marie d’Alep, c’est ainsi qu’on l’appelait. Dans les rues d’Alep en 1915 déferlait une vague de ces déportés en marche de la mort, des colonnes d’enfants et d’adolescents qui avaient traversé ainsi toute la Turquie pour finir martyrisés au désert. Mes grands parents directeurs de l’Alliance israélite locale ont entrouvert leur porte et happé une jeune fille pourchassée par les kurdes à cheval à coups de fouet. Ainsi la nouvelle née à venir bénéficia des soins de la jeune fille intégrée à la famille. Un peu plus de vingt ans après, devenue jeune femme ma mère se trouva confrontée au vent de la même folie. Réfugiée en 1944 à… Istambul, journaliste, elle témoigna amplement de ce qu’elle venait de voir en France. Étrange bouclage de la boucle[4]. Quelques générations plus tard je remets ça à propos des Arméniens puis des juifs, ça donne l’impression d’une vis sans fin, d’un vice historique sans fin.

le XXè siècle, siècle inaugural

Puisse en ce 24 avril anniversaire le souvenir de cette horreur par laquelle la Sublime Porte inaugurait la série dont la deuxième édition réservée aux juifs et aux Roms marqua le XXè siècle, nous tenir vigilants à l’égard de la toxicité absolue du nationalisme purificateur exterminateur.

et le XXIè ?

Et du "désir de fascisme" rampant s’augmentant alentour. Comme d’habitude concernant ce genre de réalité je vais conclure sur le rappel que la psychothérapie relationnelle est incompatible avec ce genre d’épouvante, et que c’est avant qu’il faut prévenir. Pas après. Naturellement nombreux sont les citoyens de notre pays très attentifs à des signes clairs de démarcation de la part des représentants des religieux musulmans français contre l’instrumentalisation de versets que pour le coup on pourrait dire "sataniques" du livre sacré. C’est ce qu’ont dû penser les auteurs d’une récente pétition malencontreusement rédigée contre la renaissance de l’antisémitisme dans notre pays, mettant en cause de façon inappropriée les musulmans et le Coran. Or en la matière il faut se montrer non seulement vigile mais agile dans l’expression de sa pensée. Sans quoi on se blesse par où l’on cherchait à guérir.

attention post traumatismes en cours

Quoi qu’il en soit la putréfaction du cadavre de l’empire ottoman n’en finit pas de remplir le secteur de ses miasmes. L’effondrement d’un grand empire c’est comme la fonte de la banquise, ça n’arrête pas d’avoir des conséquences catastrophiques. Il faut savoir, nous le savons professionnellement en tant que psys, que tant que des traumatismes collectifs qui décidément ne passent pas, ne sont pas pris en compte et responsabilité, avec la tâche d’éducation à base de vérité historique attenante, rien n’est réglé et l’horreur peut reprendre et se poursuivre. Apparemment elle ne s’en prive pas. Il nous incombe de maintenir et manifester la mémoire, cette mémoire qui est la nôtre, jusqu’à résolution, et de continuer d’alerter nos concitoyens du ravage indéfiniment reconduit de la haine nationaliste sur la scène de l’Histoire. Décidément oui, à bas la tyrannie et le fanatisme, et vive la Révolution française et son message d’universalité. Sans ces valeurs, valables pour toute l’humanité transversalement à toutes les cultures, notre psychothérapie et son idéal de partage de l’humanité ne tiendraient pas un seul instant. Ça n’est pas mon ami et complice dans la publication récente du récent (ici une ligne de publicité : à lire sans plus tarder) et déjà impérissable La psychothérapie relationnelle (Enrick éd.), Yves Lefebvre, si féru d’éthique, qui me contredira.

et Israël dans tout ça ?

Naturellement, la greffe du projet sioniste ayant charrié des rescapés européens de la Shoah en terre palestinienne devenu état-nation d’Israël, jouera le rôle de cerise sur le gâteau post colonial de la région, qui n’avait pas besoin de ça. Comme dit le proverbe la mariée était très belle mais elle était déjà mariée. Et pourtant il a bien fallu caser les rescapés quelque part. Facile dans ces conditions de pousser la confusion à son comble, avec un nationalisme colonisateur pétri d’intégrisme et compliqué d’une occupation des "Territoires" modulo Apartheid soutenu par la politique du Mur, pour alimenter une politique locale que l’assassinat de Rabin nous montre capable de tout contre le courage de sortir de la viciosité du cercle. Si Dieu existe on attend de lui un miracle. Sinon il va falloir le réaliser nous. Grosse fatigue en perspective. Il ne nous reste plus qu’à activer, avec le principe Espérance, le principe Relation. Ça, nous, nous connaissons, et pouvons le partager.


[1] Grand vizir. Les arméniens l’appellent le Hitler turc. Il organisa minutieusement les massacres de masse. Exécuté par Soghomon Tehlirian en pleine rue à Berlin (acquitté, tout de même !). Restes rapatriés en Turquie en 1943. Mausolée à Stambul. Avenues et boulevards. Eh oui. Reste beaucoup à faire en Turquie. Ne vous inquiétez pas, Erdogan s’en occupe.

[2] L’homme fort. Les allemands appelaient parfois la Turquie Enverland. C’est lui qui autorise Talaat, ministre de l’intérieur, à organiser le génocide des chrétiens (arméniens, assyriens, grecs) de l’empire. Mort en guerroyant pour la cause panturque dans la guerre civile en Russie. Enterré en grande pompe en Turquie en 1996.

[3] Exactement les hamidiés, régiments de cavalerie kurde. Hamidiés vient du nom du sultan Hamid, le "grand saigneur", qui avait déjà impulsé des massacres d’Arméniens à grande échelle à la fin du XIXè siècle — 200 000 morts, 2500 villages oradourisés avec leur église. Au coup suivant, lors du génocide, on brûlait tout, le lendemain les femmes des populations voisines locales venaient récupérer l’or en tamisant les cendres. Ces régiments reconstitués constituèrent le bras armé du génocide. Quand on dit "les kurdes", cela ne concerne pas forcément la totalité des kurdes, répartis en mosaïque clanique, mais leur grande majorité.

[4] Signalons au passage que le grand-père, convoyé dans The Last Train for Auschwitz, Der letze Zug fûr Auschwitz en VO, lui n’en réchappa pas.


POST-SCRIPTUM

Comme souvent nous tenons à réunir différentes pièces du dossier immédiatement à la disposition du lecteur. Voici. Avec toutes nos réserves concernant la pétition des 300, d’une maladresse consternante.


Dossier réuni par Anne-Bénédicte Hoffner , le 24/04/2018  dans La Croix.

Des imams s’engagent à prévenir « toutes formes d’extrémisme pouvant conduire au terrorisme »

Une trentaine d’imams dénoncent la prolifération de « lectures et de pratiques subversives de l’islam ». Dans une tribune publiée mardi 24 avril par Le Monde, ils s’engagent aussi à participer – aux côtés des autres institutions – à la prévention de la radicalisation.

« Si nous avons décidé de prendre la parole, c’est parce que la situation, pour nous, devient de plus en plus intenable ; et parce que tout silence de notre part serait désormais complice et donc coupable. »

Dans une tribune publiée mardi 24 avril par Le Monde, une trentaine d’imams emmenés par Tareq Oubrou, celui de la Grande Mosquée de Bordeaux, ont choisi de prendre la parole pour dénoncer l’antisémitisme et le terrorisme, et s’engager à prendre leur part dans la mobilisation contre le fanatisme religieux.

Alliage entre criminalité et religion

« Notre indignation est aussi religieuse en tant qu’imams et théologiens qui voyons l’islam tomber dans les mains d’une jeunesse ignorante, perturbée et désœuvrée. Une jeunesse naïve, proie facile pour des idéologues qui exploitent son désarroi », écrivent-ils. À leurs yeux, le « phénomène Daech » a révélé « un étrange alliage entre la criminalité et la religion ».

« Daech n’était au fond qu’un alibi qui nous a révélé une réalité latente que nous soupçonnions », écrivent ces imams membres, pour certains, de la fédération Musulmans de France (ex-Union des organisations islamiques de France, branche française des Frères musulmans) et, pour d’autres, du Conseil théologique musulman de France, qui lui est lié.


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Ils reconnaissent aussi que « depuis plus de deux décennies, des lectures et des pratiques subversives de l’islam sévissent dans la communauté musulmane, générant une anarchie religieuse, gangrenant toute la société ». « Une situation cancéreuse à laquelle certains imams malheureusement ont contribué, souvent inconsciemment, écrivent-ils. Beaucoup d’imams ne réalisent pas encore les dégâts que pourraient provoquer leurs discours ».

Confusion des genres

Aux imams, les signataires demandent donc de résister à « la confusion des genres ». « L’islam est d’abord une aspiration spirituelle (…) et non une idéologie identitariste et politique », rappellent-ils, appelant les responsables religieux « à dispenser un discours d’apaisement ».

Ils appellent également « les imams éclairés à s’investir et à s’engager dans le virtuel, et prodiguer un contre-discours » contre l’extrémisme.

Faire preuve de discernement

Au lendemain de la publication d’une autre tribune, dans Le Parisien cette fois, dénonçant « un nouvel antisémitisme » alimenté notamment par des versets du Coran, les signataires demandent également, notamment « aux intellectuels et politiques », de « faire preuve de plus de discernement », inquiets d’en voir certains « incriminer toute une religion » et avancer « que c’est le Coran lui-même qui appelle au meurtre ».

« Cette idée funeste est d’une violence inouïe. Elle laisserait entendre que le musulman ne peut être pacifique que s’il s’éloigne de sa religion », s’insurgent-ils.


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La « radicalisation » actuelle « doit être combattue intelligemment par tous les concernés, des politiques aux imams en passant par la famille, l’école, le sécuritaire… Que chacun assume sa part de responsabilité », concluent-ils.

Les imams « seuls ne peuvent donner la solution ». Mais ils peuvent en revanche mettre leurs « compétences » au service de leur pays « pour aider les pouvoirs publics et parer à tout danger terroriste qui sommeille encore dans certains esprits malades », notamment « lorsque les arguments avancés par ces jeunes sont d’ordre religieux ».

Une tribune en préparation depuis deux à trois semaines

« Cet appel était en préparation depuis au moins deux ou trois semaines par Tareq Oubrou », note Mohamed Bajrafil, imam à Ivry-sur-Seine, spécialiste de droit musulman, et signataires du texte. « Il n’a rien à voir avec celui publié il y a deux jours sur l’antisémitisme, mais finalement, il n’aurait pas pu mieux tomber ». Plus qu’un programme d’action ou une méthodologie d’interprétation du Coran, l’idée est venue « d’un ras-le-bol, d’une envie d’exprimer notre solidarité à nos concitoyens ».

Auteur lui-même d’un livre en forme d’interpellation – Réveillons-nous ! Lettre ouverte à un jeune musulman (Plein Jour, 2018) – le jeune imam est plus que conscient de la nécessité d’une relecture de la tradition musulmane. « On n’a plus le choix, elle s’impose à nous. Oui, bien entendu, certaines prescriptions issues de la tradition doivent être reconnues caduques. Moi-même, je reste très classique dans mon approche, mais il y a moyen de faire du nouveau avec de l’ancien ! »

Anne-Bénédicte Hoffner