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19 novembre 2012

Ces  » presque psys  » qui nous confessent Laure Belot, Le Monde

Louis XI affectionnait la confidence et la délibération avec son barbier. De nos jours prolifèrent des groupes de paroles au cadrage flou. Il faut bien pouvoir trouver l’occasion de parler un peu avec un autre, le chauffeur de taxi, et tous administrateurs de petits soins. La chose n’est pas nouvelle, dans le cadre d’un moment privilégié où l’on est détendu et se croit écouté, ça se met à parler tout seul. C’est le moment du presque psy où le professionnel concerné se sent être psychologue comme on dit, presque thérapeute.

Tout est dans le presque.

Que font les vrais psys interroge la journaliste ayant constaté pendant combien de centaines de milliers d’heures de confidence les gens (ie vous et moi) s’épanchent auprès d’un confident amateur ? ils font leur métier. Cela requiert une sacrée formation, et tout le monde n’est pas capable d’en remplir le cahier des charges.

PHG


Anne Coudreuse : « L’intimité est à réinventer »

Enseignant-chercheur à Paris-XIII, coauteure de Pour une histoire de l’intime et de ses variations (L’Harmattan, 2009), Anne Coudreuse est spécialiste du pathétique et des larmes au XVIIIe siècle.

L’homme s’est-il toujours confié ?

L’Église catholique s’est toujours méfiée de l’intime, c’est-à-dire de l’émotion, de la sexualité, de l’intériorité. Elle a cherché à canaliser la parole du peuple dans des lieux tels que les confessionnaux. Au XVIIe siècle, Pascal écrit : « Le moi est haïssable » et déclare, au sujet des Essais de Montaigne : « Le sot projet qu’il a eu de se peindre. » Avant le XVIIIe siècle, les seules personnes autorisées à parler d’elles-mêmes par écrit ou devant un auditoire sont les aristocrates, les hommes d’Église, les militaires. Louis XIV écrit ses Mémoires, tout comme le cardinal de Retz.

Mais l’Église perd son emprise…

Le grand tournant dans la société occidentale est, en effet, la publication des Confessions de Jean-Jacques Rousseau, en 1782. Il y dévoile notamment son trouble sexuel après une fessée, qu’il appelle pudiquement «la punition des enfants ». Il reconnaît que cela marquera sa relation aux femmes. « J’ai fait le premier pas et le plus pénible dans le labyrinthe obscur et fangeux de mes confessions, écrit-il. Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. » Il se trompe sur ce point. Il vient d’ouvrir la voie à l’exposition de l’intime. Dès 1796, Restif de La Bretonne, ouvrier typographe, écrit son autobiographie. La confession est accessible à tous.

Comment évolue la société ?

Le XIXe siècle devient le siècle de l’intime. C’est le triomphe du jour- nal personnel (Stendhal), de l’auto- biographie (George Sand), de la correspondance (Flaubert). C’est aussi le moment où l’on va cantonner les femmes dans l’intime, même en littérature, et leur refuser un rôle politique. Il faudra attendre la seconde moitié du XXe siècle pour que correspondance et journal intime soient perçus comme des genres littéraires.

Les gens vont se confier un peu partout. Pourquoi ?

C’est une tendance plutôt urbaine, car la campagne est un monde de taiseux. Des émissions de télévision, comme « Strip-Tease » ou « Psy-show » dans les années 1980, vont amener la confession sur le devant de la scène pour les Français. Tout comme la vogue en librairie des autofictions. Les gens se disent : si un écrivain le fait, pourquoi pas moi ? Chacun trouve ensuite sa médiation, littéraire, artistique, télévisuelle, radiophonique…

Au point d’oublier les limites ?

C’est en effet la mode du « tout à l’intime ». Des gens racontent leur vie dans les bus, au téléphone dans la rue. Arthur Rimbaud disait que l’amour était à réinventer. C’est l’intimité qui est à réinventer. Il est nécessaire de trouver de nouveaux lieux et de nouvelles façons de l’aborder et, surtout, de la protéger.

Propos recueillis par Laure Belot.

18 novembre 2012


Laure Belot, Le Monde

Le Monde

PSYCHOLOGIE

Esthéticiennes, libraires, coiffeurs ou antiquaires se voient confier, malgré eux, les tourments de leurs clients

Comment êtes-vous chez le coiffeur ? Taiseux… ou prolixe ? Face au miroir, nous sommes, paraît-il, assez prévisibles.  » Environ six personnes sur dix vont écouter les conseils. Les autres ont surtout besoin qu’on les écoute « , remarque Anthony Galifot, coiffeur à Nantes et auteur d’Autour du fauteuil (L’Atalante, 2012, 128 p., 10.50 euros). Un monologue cheveux mouillés qui peut démarrer par un classique :  » Vous ne trouvez pas que j’ai pris un peu de poids ?  » Ou, plus direct :  » Ah, non, pas de frange, je vais ressembler à ma mère ! « 

Sans que personne recense le phénomène, des lieux de confession intimes se sont multipliés depuis un demi-siècle. Fini les lavoirs, les confessionnaux… Voici les salons de coiffure, de beauté, les librairies, les antiquaires, les encadreurs… Et bien sûr les cafés.

L’essor de la vie numérique depuis dix ans (30 millions de Français appartiennent à un réseau social et 16 millions s’épanchent sur des forums, selon Médiamétrie) ne change rien : dans la vie réelle, des centaines de milliers de prestataires de services marchands se retrouvent quotidiennement à gérer mots et maux de leurs clients.

Problème avec son ado, conjoint volage, abstinence sexuelle mal vécue, maladie… Ces monologues peuvent durer de quelques minutes à… plus d’une heure.  » Depuis un an, les clientes nous parlent de plus en plus du travail. Peur du licenciement, stress dû à la multiplication des petits boulots « , note Johanna Cohen, esthéticienne parisienne qui estime que la moitié de sa clientèle se confie en séance.  » Dans ces lieux d’écoute, les gens se mettent entre les mains des autres, physiquement et psychiquement « , poursuit Soledad Ottoné, longtemps libraire à Santiago du Chili.  » Pour les gens, il semble important d’avoir quelqu’un qui les écoute et qui ne soit pas de la famille « , remarque Alexandre, libraire également.

Un calcul approximatif permet de mesurer l’ampleur de cette parole intime qui jaillit un peu partout. Si les 160 000 coiffeurs recensés par la fédération nationale accueillent chacun dix personnes par jour et que quatre sur dix s’épanchent, cela donne plus de 600 000 confessions quotidiennes dans les salons hexagonaux. Le même calcul, fondé sur les chiffres de la Confédération nationale artisanale des instituts de beauté, permet d’ajouter 200 000 confidences.

Selon ces confesseurs d’un nouveau type, ce lâcher-prise suit même des rituels.  » C’est pendant la coupe que les personnes se livrent, au moment où notre bouche est proche de l’oreille « , note Alain, coiffeur parisien. Dans les salons d’esthétique,  » c’est pendant les épilations, et non les massages, remarque Mme Cohen, quand la personne passe sur le ventre et ne – les – regarde plus « .

Au comptoir, en revanche, les épanchements jaillissent  » après 23 heures, quand une personne ne peut pas dormir car elle n’est pas fatiguée ou… trop fatiguée « , explique Arthur, barman, qui reconnaît que son DEA en sociologie l’aide à maintenir une certaine distance.

Car les confessions peuvent être extrêmes.  » Un jour, un homme s’est assis au comptoir et m’a dit, en guise de bonjour : « Mon père est mort » « , poursuit-il.  » L’été dernier, devant un tableau, une femme a lâché : « C’est le bleu de ma mère », et s’est effondrée en pleurs « , raconte Françoise Livinec, marchande de tableaux. Au fil des années, ces confesseurs laïques mettent même au jour des noeuds personnels.  » Certains ne savent jamais quelle coupe de cheveux choisir et se révèlent tout autant indécis dans leurs choix de vie. D’autres ne s’aiment pas et n’arrivent jamais à accepter leur image, quelle que soit la coupe réalisée « , note Gontran Sarret, l’ancien coiffeur de l’Hôtel Royal Monceau, qui officie désormais à domicile.

 » J’ai fait remarquer à un client que, dans tous les tableaux qu’il m’apportait, la chair des êtres représentés était cachée, explique l’encadreur Christian Deleruyelle. Mon interlocuteur, submergé par l’émotion, a alors soufflé : « J’ai été un enfant battu. » Je me suis alors dit que j’étais allé trop loin. « 

Mais que font les vrais psys ? La multiplication de ces révélations intimes dans des lieux marchands  » est le symptôme d’une société en mal d’humain. Dès sa naissance, le bébé a besoin de lait et de l’autre. L’homme s’adapte de façon pragmatique et trouve de nouveaux lieux d’éch ange « , estime la psychanalyste Monique Dechaud. Auteure de Cet autre divan (Le Fil rouge, PUF, 2011), elle admet que le  » tout-psy  » des années 1990 et les écoles dogmatiques  » ont pu faire du mal à la profession « .

Témoin au quotidien de ces moments intimes dans sa galerie d’art parisienne, Françoise Livinec, ancienne psychologue en hôpital psychiatrique, vient de créer  » un lieu de parole, musée poétique où tout est à vendre  » (Ecoledesfilles.org) à Huelgoat (Finistère).  » En pleine époque numérique, mes amis m’ont dit que j’étais folle mais, aujourd’hui, où y a-t-il encore de la place pour l’humain ? « , demande-t-elle. Pour capter les émotions, les visiteurs peuvent se confier à une caméra, les vidéos sont mises en ligne sur YouTube. Le cloud comme nouveau lieu dépositaire de confessions… numériques.

Laure Belot

© Le Monde