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15 juillet 2013

Françoise Dolto Éric Favereau, Libération, 11 juillet 2013 – précédé de « Pour les psychothérapies de la parole – pour la psychothérapie par la relation » par Philippe Grauer

pour les psychothérapies de la parole – pour la psychothérapie par la relation

par Philippe Grauer
[Image : Sans titre]
On reparlera de Dolto à la Rentrée. Pour l’instant profitons de ces articles jumelés établissant son talent, son indépendance, dénonçant la coalition contre elle des héritiers frères ennemis. Merci à Éric Favereau pour ce bon travail.

Qui s’achève sur une réflexion sur la Ritaline (dont récemment se scandalisait ici-même Patrick Landman à propos du DSM5) et l’extension de l’Empire de la Molécule avec dorénavant juridiction dans notre pays sur l’enfance – des amphétamines dès l’enfance, ça va les calmer, qui, les parents ? et on nous rebat les oreilles de leur usage dans le sport !

dialogue ou méthylphénidate ?

Écouter les gens ou les droguer, étrange alternative de nos temps post-modernes. Le plus médicalement et tranquillement du monde. Il s’agit d’ailleurs de faire se tenir tranquille toute une jeunesse, la génération qui vient, qui bouge, espérons-le. Une « science » capable de shooter les jeunes pour avoir la paix sans trop se fatiguer à les entendre déchoit la science, une science sans conscience qui vous médicalise l’âme et ruine la relation, qui pourrait trouver cela respectable ? « des incertitudes demeurent sur les effets à moyen et long terme du méthylphénidate » : attention laboratoires, route verglacée. Cela ne s’appelle pas science mais scientisme, cela peut nuire gravement à la civilisation.

Dolto était peut-être catholique (et alors ?) mais précisément, elle avait une conscience et se battait pour que quelque chose d’un sens de la vie surgisse à l’apparition de l’enfant. Pour cela sachons la saluer.


Éric Favereau, Libération, 11 juillet 2013 – précédé de « Pour les psychothérapies de la parole – pour la psychothérapie par la relation » par Philippe Grauer

Libération 11 juillet 2013

Dolto, comment te dire radio

Rewind

Cet été, «Libération» transforme l’Histoire en fictions. Aujourd’hui, la trajectoire brisée de la pédiatre française, agonie d’injures par ses pairs.

par Éric Favereau

Octobre 1976, l’automne à peine commence, et Françoise Dolto est prête, ravie même de ce joli projet : faire de la radio. Elle aime ça, elle trouve l’exercice particulièrement utile. «Parler au plus grand monde, si on peut éviter une psychose, ce serait énorme», dit la psychanalyste quand on la critique.

Pendant toute l’année scolaire 1968-1969, sur Europe 1, elle a déjà répondu en direct aux questions des auditeurs, mais elle le faisait sous le pseudonyme de «Docteur X». Et personne ne savait vraiment qui se cachait derrière. Et voilà qu’on lui propose une émission de radio, une véritable cette fois-ci. Ce sont Jean Chouquet et Pierre Wiehn, respectivement conseiller pour les programmes et directeur de France Inter, qui ont eu l’idée de faire intervenir la célèbre psychanalyste dans l’émission de Jacques Pradel. Ce dernier s’en souvient parfaitement: «Ils m’ont demandé si je connaissais Françoise Dolto. J’avais lu le Cas Dominique. Ils m’ont dit qu’ils avaient envie qu’elle intervienne dans mon émission. En début d’après-midi, m’ont-ils dit, « les mères de famille écoutent beaucoup la radio, on voudrait les aider à répondre aux questions que soulève l’éducation d’un enfant ».» Voilà. Françoise Dolto a juste mis une condition : que sa fille Catherine puisse travailler avec elle. La raison ? «Elle voulait quelqu’un de très proche à ses côtés pour s’assurer qu’on ne lui sélectionnait pas des questions qui ne lui conviendraient pas», se souvient Pradel. Pour des motifs obscurs, France Inter s’y oppose, et la psychanalyste, claire comme elle l’a toujours été, refuse de faire cette émission, dont le nom a pourtant déjà été fixé : Lorsque l’enfant paraît

FUREUR

Déçue ? Sûrement un peu, mais Françoise Dolto n’a peur ni de la vie ni du bruit des rues. Elle va bientôt avoir 70 ans. Dans son cabinet de la rue Saint-Jacques, où elle reçoit sans discontinuer ses patients, mais aussi des psychanalystes dont elle supervise le travail, on entend les bruits d’une cour d’école, ceux de l’Institut des sourds.

Françoise Dolto ne chôme pas, elle est vite passée à autre chose, surtout qu’elle tient par-dessus tout à un autre projet : celui de la création d’une Maison verte. Pourquoi ? L’enfant, avant 4 ans, est mis en collectivité, dans des crèches ou à l’école, or, il n’est pas toujours prêt à être socialisé. D’où cette idée très doltonienne : «Imaginer un lieu d’accueil et d’écoute des tout-petits accompagnés par leurs parents ou par ceux qui s’en occupent habituellement.» En somme, un endroit pour passer un moment ensemble. Il n’y a pas d’inscription, on peut y venir quand on le souhaite, sans prévenir. Il y a toujours de la place pour vous accueillir. Ce sera la Maison verte. Françoise Dolto s’y donne, mais cela reste une pratique discrète.

moments d’une grande violence

Or, en cette fin de décennie 70, le monde de la psychanalyse est en pleine fureur. Et traverse des moments d’une grande violence. Jacques Lacan est en fin de vie : il n’a plus toute sa raison, mais ses héritiers, eux, sont bien présents. Ils se battent de façon acharnée, Jacques-Alain Miller, le gendre de Lacan, en tête. Résultat ? Une guerre de tranchées sans fin où tous les coups sont permis, mais aussi une véritable chasse aux sorcières à l’égard de ceux qui ne choisissent pas le bon camp. En prime, n’oublions pas que le milieu de la psychanalyse à Paris est lourdement misogyne.

Melman & Miller

Que va-t-il se passer ? L’École freudienne de Paris, que Lacan a fondée en 1964, va être dissoute en 1980, une nouvelle école, la Cause freudienne est donc censée prendre la suite. Les conflits internes se multiplient, chacun se délivrant des certificats de vrais ou faux lacaniens. Soyons clair, Françoise Dolto ne joue pas dans cette catégorie de seconds couteaux. Et c’est bien ça le problème : elle est au-dessus.

Est-ce pour cela qu’elle reçoit un tombereau d’injures ? On la traite de «catho», de «pou» et, le 13 décembre 1979, Jacques-Alain Miller s’en prend même violemment à elle, l’accusant de détourner le message de la psychanalyse pour en faire une «bonne nouvelle». Le 10 janvier 1980, c’est dans Libération, que les deux héritiers putatifs de Lacan, Jacques-Alain Miller et Charles Melman, se moquent d’elle dans un article, titré bien méchamment : «Les tièdes, je les vomirais de ma bouche». Ils écrivent : «La liberté de parole dont se réclame Dolto tourne à la reprise de la ritournelle la plus usée et la plus asservissante qui soit.»

«CALOMNIES»

Que faire, comment réagir ? Le 13 mars 1980, Françoise Dolto écrit à Jacques Lacan : «Je ne resterai pas dans un groupe où j’aurais à rencontrer Melman. Essayer de ridiculiser par calomnies une collègue dans sa personne, cela ne relève pas de l’éthique d’un psychanalyste… Je n’ai pas besoin d’un groupe constitué, et comme je te l’ai dit, comme tu le sais, je n’ai aucun goût ni don pour le pouvoir. Je t’embrasse.» Signée Françoise Dolto.

le grand dragon

Elle est ainsi, à part, unique. Et comme elle le dit, elle n’a qu’une seule cause : les enfants. Elle n’est pas une femme d’appareil. Et avec Jacques Lacan, son ami, elle est à l’aise. Elle a toujours entretenu avec lui de très bons rapports. Ils sont amis, aucun n’est le disciple de l’autre. Lacan n’a cessé de rendre hommage à «son génie clinique». Françoise Dolto l’appelle le «grand dragon».

Mais voilà, à la fin de sa vie, tout s’effondre, et il faut choisir : Jacques Lacan agonise, et Françoise Dolto n’a pas d’image publique forte. Si elle avait fait de la radio ou de la télé, elle aurait pu se protéger… mais on l’attaque, elle s’isole, et peu à peu se marginalise, sans soutien, ni aide, réduite à ses Maisons vertes. Lacan meurt le 9 septembre 1981, et les héritiers officiels se déchaînent davantage encore. On la traite de tous les noms.

Certes, dans le milieu de la pédopsychiatrie, on parle d’elle avec beaucoup de respect, et l’on met en avant son génie clinique. Mais Françoise Dolto n’est pas une politique, cela ne l’intéresse pas et, d’ailleurs, elle est plutôt conservatrice. Féministe ? Non, elle ne l’est pas, ce n’est pas son combat. «C’est terrible, ce qui lui arrive. Elle disparaît peu à peu, les milieux intellectuels classiques la boycottent et puis n’est-elle pas un peu catholique ?» s’interroge une de ses proches.

Elle est seule, mais toujours magnifique. «Si Françoise Dolto avait un don, c’était de pouvoir entendre l’enfant non pas du dehors, mais du dedans, de l’intérieur même du propre univers psychique de l’autre», racontera le psychanalyste français Jean-David Nasio. De nombreuses histoires circulent autour de son incroyable talent clinique. C’est elle qui dira à une petite fille psychotique, hurlant et gémissant par terre : «Allez viens, viens dessiner ton malheur.» À un bébé de 10 mois, elle lâche : «C’est dur d’être bébé quand on est intelligent», dixit toujours Jean-David Nasio.

elle leur résiste

On aime ses histoires, cette façon de prendre au sérieux l’enfant, de l’écouter même. Voilà, elle est géniale, mais si loin des cercles d’influence. Il n’empêche, c’en est encore trop pour les milieux officiels qui ne supportent pas qu’elle leur résiste, même à sa façon, même en silence et loin d’eux.

C’est décidé, ils la feront taire. Jacques-Alain Miller et Charles Melman ont beau désormais se détester, et s’envoyer à la figure leurs dernières séances, ils se retrouvent, un soir, dans un café de Saint-Germain, en terrain neutre. Tous les deux réfléchissent. Après la mort du père, celle de la mère. Comment faire ? Françoise Dolto est malade, elle souffre de lourdes difficultés respiratoires. Nous sommes en plein été, le 25 août 1988. Elle meurt dans la nuit. Le médecin signe, sans réfléchir, le certificat de décès. Elle est inhumée au cimetière de Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine), au côté de son mari Boris. Les héritiers officiels de Jacques Lacan peuvent, désormais, se battre, en toute impunité.


[Image : Sans titre]
11 juillet 2013 – Libération.

En France, le poids des mots, le choc des labos

Grâce au succès radio de Françoise Dolto, l’écoute de l’enfant a longtemps été privilégiée face aux médicaments.

par Éric Favereau
Françoise Dolto a largement contribué à rendre la psychanalyse fréquentable pour le public français. Grâce (entre autres) à son émission Lorsque l’enfant paraît, les parents dont les enfants sont en souffrance psychique privilégient les thérapies de la parole au lieu d’avoir recours aux médicaments. Aux Etats-Unis en revanche, sous la pression des grandes firmes pharmaceutiques, c’est la psychiatrie biologique qui triomphe.

Le meilleur exemple en est la prise en charge des enfants dits agités. Comment calmer ces enfants-là en cinq secs ? Dans les années 50, apparaît la Ritaline, un médicament de la classe des amphétamines, aussitôt autorisé aux Etats-Unis pour le traitement du comportement chez l’enfant, en particulier ceux qui ont des troubles de l’attention associés à l’hyperactivité.

Et le succès est immédiat. Alors qu’en France on privilégie la parole, aux Etats-Unis, dans les années 70, 100 000 à 200 000 enfants prennent ce type de médicaments, selon les estimations. Vingt ans plus tard, on note encore une très forte progression de la prescription des psychotropes pour les enfants. En 1995, une agence de l’Organisation mondiale de la santé, – l’International Narcotics Control Board – constate ainsi avec effroi que «10 % à 12 % des garçons américains entre 6 et 14 ans sont sous Ritaline». Et, en 2012, au moins 10 % des enfants américains en prendraient. «Le problème, c’est que cela marche bien», nous confirmait récemment le professeur Bruno Falissard, pédopsychiatre à la Maison de Solenn, à Paris. «Je vois beaucoup de parents qui reviennent nous voir, ravis, disant que la Ritaline a transformé leur vie, qu’ils peuvent enfin discuter en famille.»

la Ritaline bondit

En France, grâce sans doute à Françoise Dolto, à peine 1 % des enfants sont concernés. Mais c’est en train de changer. Comme si l’influence des thérapies de la parole reculait. Selon le Parisien, une étude réalisée par le labo de recherche Celtipharm montre que le nombre de boîtes de Ritaline vendues a bondi de près de 70 % en cinq ans, passant de 283 700 en mars 2008 à 476 900 en mars 2013. L’âge médian des utilisateurs est tombé de 15 à 13 ans, alors qu’au contraire, le produit se consommant sur plusieurs années, la moyenne d’âge devrait augmenter. Et ce, même si la prescription de ces médicaments est réservée aux seuls spécialistes hospitaliers. Et tandis que la Haute Autorité de santé reste réservée, estimant que «des incertitudes demeurent sur les effets à moyen et long termes du méthylphénidate, notamment en termes d’événements cardiovasculaires, neurologiques et psychiatriques».

Il n’empêche, là où on le prescrit, il faut plusieurs mois avant d’obtenir un rendez-vous. «Pourtant, on ne sait toujours pas comment, d’un point de vue biologique, fonctionne la Ritaline, ironise le professeur Bruno Falissard. Cela reste un mystère neurologique : on prescrit, en effet, à des enfants superactifs un psychostimulant, et cela a pour effet de les… calmer. Un comble !»