clinique : se tenir là auprès de quelqu’un qui souffre.

par Philippe Grauer

Un jour dépourvu au volant de papiers d’identité et ayant affaire à des policiers désireux de contrôler même ceux qui n’avaient l’air de rien sait-on jamais me voilà embarqué dans leur petite Renault jusqu’au poste où ils ne savaient comment me traiter, entre mal et bien. Au moins ils savaient parler de moi pour faire rapport. Ils avaient ramené un individu. Pas une personne, pas quelqu’un, pas un être de relation capable de parler et de décrire ses liens sociaux, non, incertain de moi et de la valeur de mon dire, ils m’avaient ramené à l’état d’atome social dépersonnalisé. À vrai dire les policiers rencontrent parfois des individus louches. L’affaire m’a coûté une paire d’heures et des excuses, et m’a enseigné qu’un sujet, intersubjectif par dessus le marché, c’est quand même autre chose qu’un individu au coefficient existentiel proche de zéro au vu de son déracinement. L’individu situé entre les deux pôles de la toute puissance et de l’anéantissement ne trouve son équilibre avec les autres, relié, qu’en devenant sujet. Cela se travaille, devenir soi parmi les autres.

Comme il m’eut été agréable de m’entendre désigner comme citoyen. N’empêche, dans la relation singulière, dans la rencontre entre un Je et un Tu, ne pas passer par la case Cela ça fait du bien. La clinique renvoie à la rencontre. Un beau mot : « quand j’ai rencontré mon mari ». Le choc relationnel singulier entre deux semblables, le regardé regardant le regardant. Que se passe-t-il dans l’entre-deux ? comme disent les gens quand précisément il se passe quelque chose, c’est bizarre. Ce terme bizarre désigne le miracle éprouvé d’un impact relationnel. Quand chacun advient à l’autre et par là à soi. Rendu là, ça devient très sensible. On raconte que Lacan répondit à un analysant lui demandant de quoi voulez-vous que je vous parle ? – mais parlez-moi d’amour ! C’est là que se tient à nos yeux la clinique, ce que nous appelons notre pratique.