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21 mars 2018

Mort du prêtre et psychanalyste Denis Vasse par Patrick Kéchichian pour Le Monde

la psychanalyse et l'Église. Deux fois foi.

par Philippe Gtauer

L’homme est la réponse à toute parole. La psychanalyse tout comme la psychothérapie relationnelle sa cousine germaine, est une affaire de confiance, confidence, foi. Foi en l’homme et la vie, en son inlassable capacité de reconstruction.


la psychanalyse et l'Église. Deux fois foi.

Mots clés : Deis Vasse, psychanalyse, parole, Église, jésuites psychanalystes, corps, désir, voix, vie, espérance.

les jésuites, savants laïcisateurs

Un vol de jésuites de haute volée au lendemain de la guerre se pose sur l’arbre de la psychanalyse. L’Église se tourne avec eux vers la science humaine qui la fait entrer dans la modernité. Avec quel style ! Denis Vasse est l’un d’eux. Il se tient à l’articulation de la psychanalyse et de la théologie, sans jamais les confondre. Posant ainsi cette réalité de la convergence (convergence ne veut pas dire horrible mélange) de la pensée de Dieu, de la philosophie et de celle de la psyché, également dite âme (Freud recourt beaucoup à ce mot). Sans pour autant infléchir la théorie psychanalytique vers le religieux.

le principe Espérance, une vertu en commun

Une grande figure de cette époque des grands jésuites psys s’éteint, nous laissant une œuvre considérable en héritage. Qu’il repose en paix dans la paix  de nos âmes. À nous de poursuivre l’œuvre toujours ouverte. La psychothérapie relationnelle, elle aussi souvent mitoyennée par des hommes de Dieu et philosophes de l’existence, quant à elle, à l’heure de la disparition des oiseaux des champs qu’affectionnait le fondateur du christianisme, saura prendre sa part de l’héritage. Il reste un gros travail à faire pour, engagés dans Charybde, ne pas foncer sur Scylla. Courage à nous et vive le principe Espérance.

PHG


par Patrick Kéchichian pour Le Monde


 

une lignée de jésuites

Membre de l’École freudienne, ami de Françoise Dolto, Denis Vasse appartenait à toute une lignée de jésuites qui se tournèrent vers la psychanalyse. Il est mort lundi 12 mars, à 84 ans. Prêtre, médecin et psychanalyste, Denis Vasse est mort lundi 12 mars à Francheville, dans le Rhône, à l’âge de 84 ans. Cette identité multiple ne dissimule pas une contradiction ni même un affrontement. Au centre d’une vocation plurielle et unique, il y a la parole. Parole entendue, écoutée, étudiée, avec le plus grand soin, le plus haut sérieux.

« L’homme est réponse à la question que pose toute parole », écrivait-il en 1969, dans un premier livre qui marqua profondément les esprits : Le Temps du désir. Essai sur le corps et la parole (Seuil). Cette citation valant aussi bien dans l’espace de la psychanalyse que dans celui de la foi. Lire Freud et Lacan n’empêche pas de méditer les Évangiles ! Il écrivait aussi, avec simplicité et profondeur : « Sans la foi en la parole, les mots se redoublent en songe de l’esprit. »
Né en 1933 en Algérie dans une famille modeste, Denis Vasse fait ses études de médecine à Alger, avant d’entrer dans la Compagnie de Jésus en 1958 et de prononcer ses premiers vœux en 1960. Cette même année, il soutient sa thèse de médecine. Partisan de l’indépendance, il exerce comme médecin au sein de l’armée.

Vice-président de l’École freudienne



Ordonné prêtre en 1971, il s’installe à Villeurbanne, près de Lyon, où il conduit des cures d’enfants au centre médico-psychologique. Psychanalyste, il se rapproche de Jacques Lacan et de l’École freudienne, dont il sera même le vice-président à la fin des années 1970, juste avant la dissolution de l’institution décidée par Lacan en 1980. Entre 1978 et 2007, il donna de nombreux cours et séminaires, aussi bien en France qu’en Italie ou au Canada.

Ami de Françoise Dolto, dont il célébrera les obsèques à Paris en août 1988, Denis Vasse appartient à toute une lignée de jésuites qui se tournèrent vers la psychanalyse, notamment après Vatican II et Mai 68 – événements fondateurs, chacun à leurs mesures, et catalyseurs de pensée. On peut citer Louis Beirnaert (1906-1985), ou encore Maurice Bellet (né en 1923), et même l’historien Michel de Certeau (1925-1986). Il y eut aussi, dans la même génération, François Roustang (1923-2016), qui, lui, avec le levier de la psychanalyse, rompit avec la Compagnie et l’Église, avant de récuser également la théorie freudienne. Les travaux de l’historienne et théologienne Agnès Desmazières rendent compte de ce phénomène.

L’œuvre de Denis Vasse, à la fois variée et concentrée, est riche de plus de quinze livres, publiés pour la plupart au Seuil et chez Bayard. Le corps, la chair et le désir, la voix et la parole en sont les thèmes principaux, aussi peu étrangers à la psychanalyse qu’à la théologie et à la philosophie. Pas de séparation nette, chez lui, entre la clinique, la pratique, l’écoute concrète des cas et la théorie que l’on peut en déduire. « En ne prenant pas le temps du désir, l’homme perd le chemin de la vérité », écrit-il.

« “Droiture” de sa pensée »



Au cours des dernières décennies, il avait été frappé par deux AVC qui l’avaient, lui l’homme de parole, réduit au silence. Le philosophe Jean-Louis Chrétien, qui préfaça en 2010 un recueil d’articles (L’Arbre de la voix. La chair, les mots et le souffle : le sujet naissant, Bayard), écrit : « Ce qui saisit d’emblée lorsqu’on découvre l’écriture de Denis Vasse, c’est la “droiture” de sa pensée et de son style ou de sa diction (…). Parole qui, en exposant ses questions, s’expose avec la nudité du visage. »
Parmi ses autres ouvrages, on peut citer – tous au Seuil : L’Ombilic et la voix. Deux enfants en analyse (1974), Le poids du réel. La souffrance (1983), ou encore L’Homme et l’argent (2008), dans lequel il plaide pour une « vie sans prix » et souligne le caractère mortifère de la réduction de l’existence à son aspect monétaire : « L’homme n’est pas une valeur en puissance. »
En 2001, il publia, avec Françoise Muckensturm un livre d’entretiens : La Vie et les vivants. Enfin, il consacra aux deux saintes Thérèse – d’Avila et de Lisieux – des essais, en 1991 et 1998. A propos de la seconde, la « petite Thérèse », Denis Vasse note son « étonnement » de découvrir en la sainte « cette traversée purifiante du narcissisme par un amour qu’aucune jouissance ne retient en soi-même, pas même la souffrance qu’il procure ». C’est un peu la synthèse des grandes intuitions de Denis Vasse.


1933 Naissance à Aïn Bessem (Algérie). 1958 Entre dans la Compagnie de Jésus.
 1969 Le Temps du désir (Seuil).
1971 Ordonné prêtre. 
1983  L’Ombilic et la voix (Seuil). 2008 L’Arbre de la voix (Bayard). 12 mars 2018 Mort à Francheville (Rhône)