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25 mars 2013

La psychanalyse à l’honneur Jean Birnbaum, Élisabeth Roudinesco – © Le Monde

Le Monde du 8 mars nous livre un collier de perles psychanalytiques ou relatives à la psychanalyse de belle qualité.


Jean Birnbaum, Élisabeth Roudinesco – © Le Monde

Jacques André :

La surprise vient toujours de l’expérience des patients

Propos recueillis par Jean Birnbaum

Le psychanalyste qui publie La sexualité masculine explique pourquoi la parole de l’analysé est plus importante que l’héritage théorique.


Psychanalyste, professeur à l’université Paris-VII-Diderot, Jacques André dirige la collection Petite bibliothèque de psychanalyse aux Presses universitaires de France. Auteur de plusieurs essais sensibles et élégants, dont L’Imprévu en séance (Gallimard, 2004), il signe aujourd’hui un  » Que sais-je ?  » sur La sexualité masculine.


Dans votre livre, les seules paroles que vous citez sont celles de vos patients et celles des écrivains, Baudelaire, Sade, Aragon, Houellebecq ou Philip Roth. En revanche, vous mobilisez peu de références théoriques. Est-ce à dire que les praticiens de la psychanalyse peuvent désormais se passer de concepts ?

Plus d’un siècle après la fondation de la psychanalyse, la théorie est pour l’essentiel constituée et, même si la théorisation est sans fin, même si le monde où nous vivons appelle des perspectives différentes, on dispose des bases de l’édifice, on n’a plus besoin de construire de grands systèmes. Aujourd’hui la surprise vient toujours d’ailleurs : de la pratique, de l’expérience des patients. Là, l’imprévu est garanti ! Que l’art, et en particulier la littérature, puisse éclairer ces surprises, voilà une idée qui remonte à Freud lui-même. Il était convaincu que les grands artistes saisissaient quelque chose de la vie humaine dans ce qu’elle a de plus violent, de plus sauvage. Il faut donc sans cesse nouer ces trois éléments : la pratique, la puissance métaphorique de l’art et l’héritage théorique.


Donc, dans la pratique, la théorie vient en dernier ?

Elle est toujours présente, bien sûr, mais en pointillés. Ce qui est premier, en séance, c’est la parole du patient. L’art peut aussi intervenir très vite, par associations d’idées, du côté de l’analyste comme du patient d’ailleurs. Ensuite seulement vient le temps de la théorie, mais nécessairement après la séance. Sinon, elle doit rester de l’ordre de l’inconscient cognitif. Quand la réflexion théorique vient à l’esprit en séance, sur le mode  » ça je sais, ça je connais « , c’est presque toujours le signe d’une résistance du côté de l’analyste, cela signifie plutôt que ses oreilles se ferment. Quand le praticien convoque son savoir, il n’écoute plus le patient. C’est tout le paradoxe de la psychanalyse : sa méthode appelle une écoute flottante alors que sa théorie est un savoir arrêté.

Dans votre  » Que sais-je ?  » sur la sexualité masculine, c’est l’inconscient lui-même qui semble arrêté, immobile. Vous affirmez que, malgré les évolutions de la société et notamment les bouleversements des relations entre hommes et femmes, l’inconscient, lui, n’a pas bougé.  » L’inconscient fait de la résistance, il est politiquement incorrect « , écrivez-vous dans cet essai où vous semblez lancer un avertissement du type : mesdames, mesdemoiselles, méfiez-vous des dons Juans féministes…

Oui, il y a là deux temporalités distinctes. Celle de l’histoire et de la société, qui peut connaître des mutations accélérées. Et celle de l’inconscient, qui est différente, plus autonome. Dans son essai sur La Domination masculine (Seuil, 1998), Pierre Bourdieu lui-même ne pouvait que constater que cette domination traverse les siècles de façon assez stable. Prenons deux grandes figures du fantasme de l’homme devant la femme : celui qui fait de la femme une putain, et celui de l’angoisse devant la démesure de la sexualité féminine. Ces deux figures n’ont pas bougé, ces fantasmes n’ont pas pris une ride, même si la vie sexuelle a connu beaucoup de transformations, et si la frontière entre ce qui est raffiné et ce qui ne l’est pas s’est déplacée. Simplement, l’offre sexuelle considérable, les multiples possibilités qui existent aujourd’hui permettent aux femmes et aux hommes de jouer et de rejouer quelque chose de la sexualité sous toutes ses figures, sans empêcher ni le respect ni l’amour, sans contraindre à seulement faire avec l’une, l’amante, ce que l’on se refuse avec l’autre, l’épouse. Le fond, cependant, reste inchangé : on peut être un homme aussi démocratique et paritaire que possible, et ne pouvoir parvenir à la satisfaction sexuelle que si la femme se soumet en position de levrette.

Vous qui avez à la fois une activité d’éditeur et de formateur, comment voyez-vous la façon dont la jeune génération de psychanalystes réinvente la relation entre héritage théorique et expérience clinique, et donc son rapport au livre ?

Il est devenu très difficile d’écrire la psychanalyse, qui a déjà été beaucoup écrite. Il y a du reste surcharge de l’édition, profusion de livres qui souvent tombent des mains. On ne peut pas continuer sur le mode du pensum et de la plomberie théoriques, ni même du récit de cas. Il faut retrouver de nouvelles formes, une manière de communiquer quelque chose de la psychanalyse par d’autres moyens. Cette tâche revient aux jeunes. En tant qu’éditeur, je travaille avec des 30-40 ans. Je travaille aussi à la formation des jeunes analystes. Ce sont souvent des personnes qui ont sacrifié aux parcours intellectuels classiques, littéraire ou scientifique, avant de se tourner vers la psychanalyse. A l’heure contemporaine de la  » contrainte de résultats  » et du bonheur en 20 leçons, ils ont le mérite de ne pas lâcher sur l’essentiel : la psychanalyse est la seule forme de psychothérapie qui ne fuit pas devant le négatif de l’expérience humaine, qui fait que le plaisir côtoie l’angoisse et la détresse. Le jeune psychanalyste est plus que jamais un être intempestif, à la fois en prise immédiate sur son époque et confronté aux énigmes de toujours. On attend de lui qu’il nous parle autrement.

Jacques André, La sexualité masculine, PUF,  » Que sais-je ? « , 128 p., 9 €.

© Le Monde, 8 mars 2013


Fragments d’une psychanalyse empathique

Convaincu de la nécessité de rénover de fond en comble la clinique psychanalytique, Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, évoque sa propre formation sur le divan de Didier Anzieu. Ainsi met-il en lumière le rôle fondamental que joue l’empathie dans le processus de la cure où chacun devient soi en référence à un autre. En racontant avec bonheur et légèreté les moments forts de sa cure, et en évoquant celle de son analyste avec Jacques Lacan, il se propose de transmettre à ses analysants l’héritage qu’il a reçu de son maître.

Serge Tisseron, Fragments d’une psychanalyse empathique, Albin Michel, 206 p., 17 €.-

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L’Ordinaire, symptôme

Dans cet ouvrage, son premier livre publié en français, Radmila Zygouris, clinicienne de grande renommée, a choisi de réunir les textes qu’elle avait écrits entre 1973 et 1981 pour L’Ordinaire du psychanalyste, revue très singulière d’une certaine gauche libertaire où s’étaient retrouvés, au risque de l’anonymat, des psychanalystes lacaniens animés par un désir commun de lier leur pratique à une nouvelle politique de prise en charge sociale des patients de toutes origines : pratique à la fois rigoureuse dans l’écoute et humaniste dans l’approche des souffrances les plus extrêmes.

de Radmila Zygouris, D’Octobre, 220 p., 20 €.-

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Naître prématuré

Psychanalyste dans le service de néonatologie d’un hôpital public, Catherine Vanier travaille depuis vingt ans à l’écoute des équipes qui font vivre pendant plusieurs semaines des nourrissons en couveuses. Elle écoute les parents angoissés par la violence de cette naissance, elle parle aux minuscules créatures et elle tisse des liens subjectifs entre les différents protagonistes de cette bouleversante expérience qui marquera chacun d’eux d’une trace indélébile.

Catherine Vanier, Le bébé, son médecin et son psychanalyste, Bayard,  » La Cause des bébés « , 354 p. 19,90 €.-

© Le Monde


Mieux vaut être en bonne santé

par É. Roudinesco

Coauteur du Livre noir de la psychanalyse (Les Arènes, 2005), l’excellent historien Mikkel Borch-Jacobsen a choisi, dans La Fabrique des folies, de rassembler des conférences et des articles qu’il a publiés entre 1993 et 2010.

Dans la première partie, consacrée à Freud et ses héritiers, il explique que le premier est un gangster et les seconds des caméléons qui ne cessent de promouvoir une escroquerie. Mais cette détestation, qui dure depuis vingt-cinq ans, le conduit à oublier – et c’est dommage – que la véritable éthique de l’historien consiste à ne jamais adopter une vision manichéiste de l’objet étudié. À cet égard, on ne peut que s’amuser de la manière dont il s’acharne encore, selon une version complotiste de l’historiographie freudienne, à exhumer des légendes déjà déconstruites dans de nombreux travaux qu’il cite et qu’il connaît parfaitement (d’Henry Ellenberger à Albrecht Hirschmüller).

Mais le plus étonnant, c’est que dans la deuxième partie de son livre, Borch-Jacobsen ridiculise avec un formidable talent toutes les psychothérapies tout en flanquant une volée de bois vert aux tenants de la psychiatrie biologique mondialisée, accusée d’inventer des maladies, voire des épidémies (dépression, état bipolaire, TOC, etc.), pour mieux faire vendre à prix d’or des molécules inutiles fabriquées par les laboratoires pharmaceutiques. La démonstration, très rigoureuse, est à mourir de rire. Elle tourne en dérision évaluations et statistiques.

Après une telle charge, l’auteur préconise, comme seul remède valable à nos souffrances psychiques, de ne point en avoir. Et il appelle les patients psychotiques, névrosés ou anxieux à se muer en agents d’une politique de soi et du bonheur. Vaste programme de nihilisme thérapeutique, connu depuis la nuit des temps !

Mikkel Borch-Jacobsen, De la psychanalyse au psychopharmarketing, Éditions Sciences humaines, 357 p., 16 €.-

© Le Monde