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27 novembre 2013

La psychanalyse chassée de l’université ? Trente ans d’Histoire pourraient basculer Philippe Grauer

En dépit de l’envie

par Philippe Grauer

Nous pouvons résister au mouvement qui entraîne la psychanalyse française vers ses Trente piteuses. Nous publions ici avec l’aimable autorisation du SNPPsy un article dédié à l’alerte à la suppression de la psychanalyse en psychologie à l’université.

Cet article rejoint celui que nous avons déjà consacré à l’événement, appelant à signer la pétition de nos collègues universitaires. Il importe de comprendre ce qui s’est passé, se passe et risque de se passer. Il importe de discerner les enjeux, et de maintenir notre solidarité avec nos collègues, si souvent méprisants envers nous, s’étant trop tôt réjouis de notre infortune quand ils ont trouvé bon de s’emparer de notre appellation pour en faire un titre à confier aux psychologues, eux les psychologues-psychanalystes devenus depuis ce qu’ils abhorraient par dessus tout, des psychothérapeutes, pourvu que ce soit à notre exclusion. Ce que c’est tout de même comme diraient les kleiniens, que l’envie.

Nous devons nous souvenir de tout cela, et en même temps tendre la main à ceux qui maintenant se trouvent dans la difficulté que nous avions, avec Élisabeth Roudinesco alors seule à y voir clair, prévu. La seule voie qui reste est celle de l’union et du dialogue. Pour le dialogue on verra plus tard. Commençons par la solidarité.

voir également

Pour l’enseignement de la psychanalyse à l’université, précédé de « Comme prévu » par Philippe Grauer [mis en ligne le 26 novembre 2013].
– Philippe Grauer, « Éthique & psychothérapie : de la psychopathologie à l’autoproclamation » [mis en ligne le 7 novembre 2013] à propos d’un remarquable
article de Philippe Grosbois.


Philippe Grauer

La psychanalyse chassée de l’université ? Trente ans d’Histoire pourraient basculer


Par Philippe Grauer

Période Lagache

La psychanalyse s’est vue introduire à la Libération à l’université par les soins du normalien docteur Lagache, premier psychanalyste professeur à la Sorbonne en 1947, qui voulait « L’unité de la psychologie, » expérimentale et clinique (1949). Son parcours résume l’installation de la psychanalyse à l’université. En 1955 le voici dans une chaire de psychologie psychopathologique, après avoir créé en 1952 le Laboratoire de psychologie sociale. Puis il cofonde avec Lacan la SFP en 1953 puis premier président de l’APF en 1963. D’abord psychopathologue selon Karl Jaspers, Lagache analysé par Lœwenstein produira des ouvrages de référence dont un Que sais-je La psychanalyse (1955) et parrainera le Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis (1967). Sorte de Marcelin Berthelot du carré psy, il connaît tout. Enfin presque, il reste hors de sa sphère de compétence la psychothérapie institutionnelle, la non directivité et la psychosociologie. C’est lui en tout cas qui préside à l’installation en psychologie de la psychanalyse, et à ce qu’il voulait comme leur fusion. On peut le considérer comme le père de la psychanalyse universitaire française.

Trente glorieuses psychanalytiques

Dans les vingt ans qui suivent celle-ci s’installe pleinement en psychologie clinique. La voici chez elle en psychologie. Enfin, presque, elle n’est qu’hôtesse. L’intégration se fait telle que bientôt tout psychanalyste français appartenant à une société doit être aussi au moins psychologue, comme tout psychologue s’il aspire véritablement à la clinique est invité à le faire sous les couleurs de la psychanalyse. Le territoire qui sert d’interface c’est la psychopathologie(1). Corrélativement un psychiatre sur deux sous l’impulsion du lacanisme se donnera une teinture de psychanalyse. La psychanalyse aussi aura connu ses Trente glorieuses.

[Image : Sans titre]

le reflux

Cela va durer jusqu’au reflux, à partir des années 75. Le balancier repart dans l’autre sens, avec l’irruption de la psychologie humaniste américaine (depuis les années 60, accélération en 70), la Dissolution lacanienne (1980), la fondation du SNPPsy (1981), l’impulsion a-théoriciste de la psychiatrie réorientant le DSM3 (1980) jusqu’au DSM4 (1996) et maintenant le 5, la Déclaration de Strasbourg (1990) et le premier Congrès de Vienne (1996) qui marquent la montée en puissance des psychothérapeutes (généralement non psychologues, encore moins psychiatres). À partir des années 90 dans le discours des médias si on éprouve des difficultés personnelles on ne va plus voir un psychanalyste mais un psychothérapeute. On n’a plus un inconscient mais un cerveau. Le référentiel culturel et l’imaginaire collectif ont basculé.

C’est alors qu’apparaît l’évaluationnisme(2) et que montent en puissance les neurosciences, le scientisme et ce que nous avons appelé la scientistique. C’est ainsi sur fond d’un statisticisme extravagant scientifiquement parlant que l’INSERM entreprit d’évaluer les effets psychothérapiques de systèmes auxquels les instruments de mesure n’étaient pas adaptés. Peu importe la cause est entendue, la psychanalyse n’est plus dans la course. Bientôt prise à partie par les parents pour ses pratiques dans le domaine de l’autisme, elle se verra éliminée de ce champ de soin hospitalier.

marché de dupes

Marché de dupes, au moment de la bataille des charlatans le Groupe de contact rassemblant le gros des sociétés françaises de psychanalyse a cru avisé de surfer sur la vague anti psychothérapeutes et de passer des accords avec les pouvoirs publics pour « préserver la psychanalyse, » alors qu’on pouvait discerner qu’il s’agissait de grandes manœuvres dont les psychothérapeutes n’étaient que le prélude, visant à liquider l’ensemble des psychothérapies – psychanalyse incluse, centrées sur la dynamique de subjectivation.

À l’issue de l’opération charlatans le plan initial déploie à présent ses phases ultérieures. Il s’agit de rendre la psychologie aux psychologues et de la dégager de ce qui y reste de présence psychanalytique. D’où l’actuelle alerte pétitionnaire.

sauvons ensemble la dynamique de subjectivation

Nous ferons notre devoir, contrairement aux psychanalystes qui n’ont pas fait le leur à l’époque – à l’exception notable de la Cause freudienne, d’Élisabeth Roudinesco et du René Major du Manifeste pour la psychanalyse. Évidemment, nous ne sommes plus en position de force comme c’eût pu être le cas si nous avions bénéficié quand il le fallait de l’appui de toute la psychanalyse. Mais nous appuierons la pétition de nos collègues en difficulté.

La psychanalyse psychologique universitaire n’est pas sans problèmes, mais la question pour l’instant n’est pas là. Toute position perdue est dommageable à l’ensemble du camp subjectiviste. Nous invitons tous nos membres à signer la pétition proposée, cette solidarité les protégera eux-mêmes. Nous devons nous montrer unitaires, conformément à notre intérêt commun. Nous sauverons l’avenir, à condition d’en prendre soin ensemble.