Par Philippe Grauer
Comment cette belle aventure intellectuelle qui nous offre un outil de compréhension et de soins a-t-elle pu en arriver à une telle catastrophe ?
Certaines bouches commencent à s’ouvrir. Il ne s’agit pas d’ « ennemis de la psychanalyse » mais d’intellectuels sensés qui commencent à oser parler. Il faut sortir la psychanalyse incrustée en psychiatrie (les psychologues psychanalystes ne sont pas fatalement mieux traitants) d’une rigidité qui s’est manifestée à l’occasion des homosexuels et de la question de la famille (sans compter une certaine analyse anonyme (« Roger Stéphane ») de Mai 68 restée sinistrement célèbre), et n’a pas désemparé sur la question de l’autisme.
Prenons appui sur ce qui se passe pour bousculer une institution intellectuelle qui s’est sclérosée dans une attitude de mépris envers tout ce qui n’est pas elle. La psychanalyse reste vivante, attachante, intelligente et scientifiquement très honorable quand elle joue l’ouverture. La morgue, le conservatisme, la crainte de l’autre innovateur et le sentiment de persécution constituent autant de dermatoses sur son moi-peau.
Monsieur Homais pèse le pour et le contre de la psychanalyse. « Il a fallu choisir son camp : escroquerie ou sauvetage ? » écrit finaudement Cyrulnik. Mettant ainsi en balance égale un bon et un mauvais praticien. Du fait qu’un mauvais psychanalyste ait pu mal faire son métier, en quoi cela compromet-il la profession ? depuis quand un méchant dentiste invalide-t-il la dentisterie ? Où va-t-on comme ça ? une « telle catastrophe » intellectuelle style y a du contre mais y a du pour conduit à l’hypothèse d’un certain relâchement de vigueur ou de rigueur on ne sait chez notre penseur.
Qui omet – comme ça on reste par le son avec le personnage de Flaubert – de dire que le rapport Inserm représentait une infamie pseudo scientifique. La question, et le débat, demeurent complexes. Enfin on ne raconte pas doctement n’importe quoi. Tout de même, Bowlby, l’auteur de la théorie de l’attachement, célébrissime dans le monde entier, fut introduit en France par une certaine Jenny Aubry, éminente psychanalyste au service des enfants, médecin des hôpitaux, ne pas la citer et émettre une contre-vérité sur le barrage que la psychanalyse aurait dressé contre Bowlby n’est pas si sérieux que le public non averti pourrait l’imaginer, de la part de notre Boris, encore un psychanalyste qui ignore grave sa propre histoire.
Mais son titre est parfait, on lui pardonnera en partie ses à peu près à cause de lui. On veillera simplement à ce qu’au dogmatisme ne se voie substituée la pontification médiatique.
Par Boris Cyrulnik Psychanalyste
in Le Nouvel observateur – 15 mars 2012
LE PLUS. Un rapport de la Haute autorité de santé a mis les psychanalystes en défaut et désavoué leurs pratiques thérapeutiques dans le traitement de l’autisme. La colère des parents d’enfants autistes a fini par faire éclater une guerre jusqu’alors larvée. Pour le psychanalyste Boris Cyrulnik, ce conflit vient aussi du manque de remise en question de la discipline.
Par Boris Cyrulnik Psychanalyste
Edité par Daphnée Leportois Auteur parrainé par Claude Weill
Quand la psychanalyse est née, à la fin du XIXe siècle, jamais on aurait pensé qu’elle deviendrait un jour une arme idéologique.
Sigmund Freud à côté de son fameux divan (Sigmund Freud Museum/SIPA)
Avant les années 1960, on nous apprenait qu’il ne fallait surtout pas que la psychanalyse entre à l’université, où le pouvoir risquerait de lui faire perdre son aspect subversif. À partir des années 1970, il était difficile de devenir enseignant à l’université, ou même d’obtenir un poste d’attaché dans un service hospitalier, sans appartenir à l’association psychanalytique qui se partageait les emplois.
La découverte de Freud ne servait plus à explorer le continent intime, ce n’était plus seulement un outil de découverte et de soin, la psychanalyse était devenue une arme pour prendre le pouvoir dans les formations, accéder aux revues qui facilitaient les carrières et donnaient la notoriété qui remplissait les cabinets.
Comment une telle dérive a-t-elle été possible ? Il y a quelques mois, j’ai été invité à Genève, à participer à une réflexion sur « Psychanalyse et linguistique ». Les communications les plus authentiques se font le soir au restaurant, bien plus qu’au micro des tables rondes officielles. Un jeune universitaire confie :
« On devrait interdire la psychanalyse. Pendant les six mois où j’ai tenté de faire une cure, je pensais à la mort sans cesse. C’est miracle que je ne me sois pas suicidé. »
Stupeur autour de la table, car la femme de l’enseignant qui organisait la rencontre dit à voix haute :
« Moi, je pensais sans cesse à me suicider. C’est un miracle que je ne sois pas passée à l’acte. Le désir de me détruire a disparu, dès la première séance, et n’est jamais revenu. »
On aurait pu faire de ces témoignages une réflexion ou une hypothèse de recherche, ce n’est pas ce qui s’est passé. Il a fallu choisir son camp : escroquerie ou sauvetage ?
Quelques semaines plus tard, une de mes amies, mère d’un autiste, me confie sa difficulté d’avoir à vivre avec un tel enfant et me raconte les insupportables humiliations infligées par les psychanalystes à qui elle demandait conseil. Stupeur dans le petit groupe d’amis, où une autre mère raconte l’apaisement apporté par les psychanalystes.
Ce genre de conflit a été exacerbé quand, à la fin d’un rapport Inserm qui évaluait les psychothérapies, les chercheurs s’apprêtaient à publier que c’était la psychanalyse qui obtenait les résultats les plus fragiles. Fureur de certains grands noms, qui firent intervenir le ministre de la Santé pour interrompre le travail avant sa publication (1).
À force d’être agressés et rendus coupables d’avoir provoqué l’autisme de leur enfant, une association de parents a réalisé une enquête dans les pays étrangers et a découvert que les méthodes de psycho-éducation parvenaient à améliorer beaucoup de petits malades. Les parents demandent aujourd’hui que ces méthodes soient évaluées en France. On leur répond que ces méthodes sont le fait des dresseurs comportementaux et que seule la psychanalyse respecte ces enfants.
Les témoignages de parents accusés s’accumulent, en même temps que les publications d’autistes améliorés parviennent au public et aux parents désespérés. La Haute autorité de Santé (HAS) est alors requise pour remettre un rapport : c’est défavorable à la psychanalyse !
Comment cette belle aventure intellectuelle qui nous offre un outil de compréhension et de soins a-t-elle pu en arriver à une telle catastrophe ?
Au lieu d’en faire une démarche scientifique, donc évolutive et réfutable, certains élèves de Freud en ont fait une arme de prise de pouvoir dogmatique. Ceux qui ne récitaient pas les mêmes « versets » psychanalytiques que les chefs ont été privés d’enseignement, de publications et de rencontres, comme c’est arrivé à John Bowlby, alors qu’il était pourtant président de la Société britannique de psychanalyse.
Quand une théorie excommunie ceux qui posent de nouvelles questions, elle se renforce, puisqu’elle exclut les hérétiques. Mais en devenant dogmatique, elle se désadapte, ne répond plus aux demandes de ceux qui souffrent et s’écroule à la moindre bousculade. C’est ce qui s’est passé avec les évaluations récentes de l’Inserm et de la HAS.
C’est ainsi que la théorie de l’attachement a été longtemps repoussée avant de finir par s’imposer dans toutes les revues et les universités. C’est ainsi que la réalité du traumatisme a été reconnue, pas seulement son fantasme. C’est ainsi que la résilience conquiert les universités et les groupes de recherche… grâce aux psychanalystes non-sectaires, ceux qui aiment évoluer et se frotter aux idées nouvelles.
L’attitude idéologique a mené au pouvoir, grâce aux certitudes que donnent les dogmes. On a donc accusé les mères d’être responsables de l’autisme de leur enfant et certains psychanalystes en poste ont empêché l’acquisition de nouvelles idées psychanalytiques. Il a fallu passer par d’autres institutions pour dire que les mères n’étaient pas responsables, que d’autres psychothérapies pouvaient apporter un bénéfice et que la résilience n’était pas opposée à la psychanalyse [la mise en gras de cette phrase est de la Rédaction].
Cette posture idéologique était même devenue quotidienne : chaque fois que je cherchais à tracer les limites et les échecs de la résilience, certains me demandaient « Pourquoi agressez-vous votre propre théorie ? ». Je ne l’agressais pas, je souhaitais simplement dessiner les limites, comme on doit le faire pour tout nouveau concept. Car le succès de la résilience, son entrée dans toutes les universités et les contresens que l’on entend parfois nécessitent une mise au point scientifique[1].
[1] C’est ce que nous avons projeté de faire, en réunissant à Paris, plusieurs centaines de chercheurs, de quinze pays différents, pour le premier Congrès mondial de la résilience, les 7-8-9-10 juin 2012 à Paris, espace Reuilly.