► Mots clés : psychothérapie relationnelle, relation, éthique, psychanalyse, médecine, médicalisation de l’existence, existence, écologie, technosciences, humanisme
Publié le 09 Juin 2019 par la revue Santé mentale
La loi réglementant le titre de psychothérapeute a causé beaucoup d’insatisfaction chez les professionnels et de confusion chez les patients. En valorisant la formation de type universitaire et en n’exigeant pas des praticiens un travail approfondi sur eux-mêmes, elle tend à rapprocher la psychothérapie d’un modèle médical objectivant, quantifiable et reproductible.
Marcelle Maugin décrit au contraire la psychothérapie comme un moment vivant entre deux partenaires également subjectifs. Elle expose dans ce Manifeste les principes d’une éthique susceptible de fédérer les tenants d’une pratique pleinement relationnelle du métier de thérapeute. Elle rappelle que bien au-delà des méthodes, c’est en effet de la position du thérapeute et de son éthique que dépendra la qualité de la rencontre et son pouvoir transformateur.
Ce livre invite tous les professionnels de la psychothérapie à réviser les conceptions de l’homme et de la relation qui sous-tendent leurs pratiques. Il s’adresse aux professionnels concernés par le soin psychique mais également à tous ceux qui se questionnent au quotidien sur la nature du lien humain et sur notre rapport au monde. Promoteur d’une pratique résolument humaniste de la thérapie, il développe surtout une éthique de la relation qui dépasse les conceptions convenues des métiers d’aide en mettant en relief l’importance vitale de l’engagement personnel du thérapeute.
MAUGIN Marcelle, Manifeste pour une pratique pleinement relationnelle de la psychothérapie, Enrick B Editions, juin 2019, 81 p., 10,90 €.
À lire également :
MAUGIN Marcelle, Être psychothérapeute autrement. De l’écoute à la "rencontre", Paris, L’Harmattan, 2009, 209 p.- L’autrice y explique tout, lumineusement. Capital pour l’étudiant comme pour le public.
GRAUER Philippe, LEFEBVRE Yves, La psychothérapie relationnelle. De la naissance d’une profession à l’émergence d’un champ disciplinaire, Paris, 2018, Enrick B Editions, 270 p.-
LEFEBVRE Yves, L’éthique relationnelle en psychothérapie. Comment la relation peut devenir soignante, Paris, 2019, 182 p., 18,90 € –
Vient de paraître — décidément le relationnelliste se renforce ces temps-ci :
PRATS Philippe, La reconquête du sujet. Le personnalisme d’Henri Ey, Paris, 2019, L’Harmattan, Épistémologie et philosophie des sciences, 276 p.-
par Philippe Grauer
C’est simple, le système relationnel en psychothérapie constitue une alternative. À quoi donc ? Nous vivons sous le règne idéologique de ce qu’en jargon médiatique on pourrait appeler le récit scientiste. Entendons par là un type de discours qui dit que la science peut (et doit) diriger nos existences. Évidemment comme c’est aberrant, sauf le respect qu’elle mérite dans son domaine propre, un correctif automatique intervient spontanément, le discours magique, dans ce cas appelé "spirituel" par dérivation au sens de métaphysique, ou encore irrationnel. En raccourci, le savant et le chaman, ou ses formes dégradées New Age, innombrables. La nature prescrit en matière de savoir de marcher sur deux jambes, la scientifique rationnelle, et l’autre. Tout est là. Définir cet autre. L’appeler sentience.
Avec le discours scientifique la psychologie de même nomination nous dirige à coup de protocoles vers la médicalisation (scientifique bien sûr) de notre existence. Dans le cadre de laquelle malaise existentiel = maladie = diagnostic = traitement = médicament + thérapie cognitivo-comportementale, le tout renforcé par un discours neuroscientifique. Cette voie s’appelle le scientisme. Qui dit que la science est compétente pour pourvoir à notre salut, en termes chrétiens anciens (le salut par le savoir faire de la science c’est le scientisme), en termes laïcs, nous aider à ordonner le sens de notre existence (savoir être).
Erreur méthodologique, la science n’a rien à dire sur la façon de conduire son existence, comment en prendre soin (et non se faire soigner), comment prendre soin de soi, soi. La science nous procure la bombe atomique, mais ne fournit aucune directive sur son emploi. Dans le domaine psy, pour prendre soin de soi, il faut aller voir quelqu’un. Tout autre démarche. Le rencontrer ce quelqu’un. Pour aller à soi faire le détour par un autre. Pour rendre évident qu’ici rencontrer veut dire rencontrer vraiment (ça veut dire quoi "rencontrer vraiment" ?), comme lorsqu’on dit quand j’ai rencontré mon mari, nous recourons parfois à la graphie Rencontre, avec une majuscule, non qu’il s’agisse de quelque idéalité métaphysique mais d’un concept particulier — qui soit dit au passage doit beaucoup à William Schutz. Relatif à un autre monde, ce concept relève d’un autre discours, constitue un référentiel spécifique, la seconde jambe, l’autre savoir, le savoir comment être et que faire en relation.
Autrement dit nous conduisons notre existence selon deux modes de savoir, aussi indispensables l’un que l’autre mais nullement substituables l’un à l’autre — le savoir techno-scientifique courant, celui, d’une part, des téléphones portables, des antibiotiques et protocoles anti cancéreux, comme également des poisons de l’agro-alimentaire qui donnent le cancer et autres joyeusetés, à ne pas oublier
— et d’autre part, le savoir relatif au "savoir-vivre" au sens propre du mot, là où personne ne sait vraiment comment vivre (pas de notice à la naissance), au sens donc de conduire son existence, de savoir être (et devenir), être quoi ? être qui ? disons une personne parmi les autres mais celle-ci et aucune autre, puisqu’elle est à nulle autre pareille. Un savoir tissé de dialogue, de rencontre, d’éducation, de culture, de valeurs, de relation. Un savoir hautement professionnalisé chez ceux qui en offrent le service.
Ce second discours concernant cet autre type de savoir, relève de la philosophie, de l’anthropologie, mais ces disciplines par elles-mêmes ne comportent pas des cliniques comme on dit à la médicale, à savoir des processus pratiques de transformation de soi, d’évolution psychique. Ce second discours à proprement parler relève du champ de la dynamique de subjectivation pour parler savamment, de l’art et la manière de (re)devenir le sujet de son existence. Ce second discours s’occupe de la façon de mener sa vie, selon une logique… psychologique, cela se conçoit, une logique de l’âme, pour employer un mot irrécupérable par le scientisme, et une logique axiologique, selon un système de valeurs (on emploie dans ce cas le terme éthique). Pour faire simple, ce domaine qui fait face au scientifique se répartit en deux vastes champs disciplinaires, la psychanalyse, centenaire, et, concernant notre actuel propos, la psychothérapie relationnelle, à peu près 20 ans aux cerises si l’on considère son acte de naissance officielle en France. Jeune mais incontournable, enracinée dans toute l’histoire de la psychologie puis psychothérapie humaniste nord américaine au XXème siècle (également implantée en Amérique du sud, notamment au Chili), et oh combien porteuse d’avenir pour l’humanité.
Cette alternative au volet scientifique que le scientisme ne saurait fournir se trouve du côté de la relationnellité — oui c’est un néologisme, on verra bien comment il rebondira, l’artiste propose, la langue dispose — mais les concepts tiennent debout tout seuls s’ils consistent. Ce second récit, pour reprendre le terme par lequel nous avons entamé cet article, raconte quoi ? Il dit qu’en matière de sens de l’existence, quand rien ne va plus dans notre vie, il est conseillé de recourir à un spécialiste en remise en sens de sa vie par le moyen d’un certain type de dialogue. Très particulier. Genre un psycho très savant mais d’un savoir humain qui ne vous expertise pas. Vous et lui vous embarquez pour une démarche de restauration ou d’instauration de soi, dont vous serez l’acteur principal, par le moyen d’un travail d’équipe dans lequel votre psy s’engage (tout en restant assez dégagé pour aider à la conduite de l’opération. Un métier très particulier qui exige qu’on y soit passé soi-même longuement d’abord, et qu’on ait appris sur le mode de l’engagement personnel et non du seul savoir académique) en qualité de co-sujet (et cependant guide, guide en improvisation balisée) du processus.
Dans le cadre d’une telle entreprise relationnelle, les deux sujets interagissent, s’impactent, conduisent ensemble, sous la direction du praticien de métier — car il s’agit bien d’un métier —, et à l’initiative du chercheur de sa vérité, sous la direction du praticien n’ignorant pas qu’il improvise, pilotant l’opération avec sa fragilité reconnue, mais expérimentée (qu’est-ce qu’une fragilité expérimentée ?), conduisent ensemble donc, le cheminement de la personne venue voir quelqu’un pour y voir plus clair. À l’occasion de cet entre-deux dynamique irréductible au discours de la science pure et, purement laïque, n’ayant rien à voir non plus avec une aventure de direction de conscience d’inspiration spiritualiste. Cette progression à deux (ou davantage en cas de groupe) à la découverte, son principe date du début du XXè siècle. Il a été mis à jour par deux courants majeurs, relevant, l’un d’une neurologie repensée, Freud, l’autre de la philosophie se repensant, avec l’intentionnalité et la phénoménologie (Brentano puis Husserl, le fondateur), bientôt appliquées à la psychothérapie. Les deux abords diffèrent, se disjoignent, se conjoignent, irriguent le XXème siècle. Dans les deux cas les deux protagonistes de l’action cherchent ensemble. Sujets parties prenantes du processus.
Le XXIème sera-t-il, après avoir été pour une part celui de la psychanalyse, immense phénomène culturel occidental, celui de la relation ? les progrès de la mentalité écologiste permettent de le penser. Si l’humanité ne tient pas compte de sa relation au milieu (écologie, mésologie), et de la recherche d’une autre façon de se comporter pour vivre en commun, "en participant" comme le dit Paul Tillich, c’est-à-dire en relation, elle a de grandes chances de courir à sa perte.
Dans le domaine qui nous concerne, que signifie le principe Relation, ainsi écrit à la façon d’Ernest Bloch et de son principe Espérance ? Nous autres qui le pratiquons, le savons comme de source. Encore faut-il pouvoir l’expliciter, le diffuser, l’afficher. Tâche délicate par le seul moyen d’un livre. Marcelle Maugin le fait lumineusement. Et simplement. Comme toutes les grandes idées, le plus difficile est encore de les exposer de façon que tout le monde puisse s’en emparer.
Rencontre, présence, dialogue en sont les mots-clés, les concepts fondateurs. Présence étant l’équivalent de l’allemand Dasein. Terme philosophique souvent réputé intraductible au motif qu’il s’agit du processus d’appropriation de son existence, présence existentielle, ce dernier terme à présent relevant de la langue quotidienne (sauf sa définition stricte). Expérientielle ferait aussi bien l’affaire, donnant à entendre qu’il s’agit d’un engagement relationnel éprouvé, on peut dire en jargon expériencié, éprouvé mutuellement. Quant à Rencontre, majusculé, il signifie au sens fort le moment où deux subjectivités entrent en plein contact, au sens technique que la gestalt-thérapie donne à ce terme. Rien d’extraordinaire à tout cela, connu immémorialement. Très connu, quand ça surgit à l’insu des intéressés on appelle ça coup de foudre. Une sorte d’accordage relationnel qui s’effectue en profondeur. Puis ça évolue, on ne va pas rester comme ça en distance intime de grande proximité indéfiniment, ça fait des aller retours. Adhérer n’est pas coller. Si on restait collés, cela s’appellerait fusion chronicisée, attention passion (comportant une dimension de dictature létale), aller consulter tout de suite.
Résumons-nous. Engagement de deux subjectivités dans un complexe dialogal dynamique, mobilisant Présence, Rencontre (co-présence, plein contact), éprouvé existentiel processuel. Avec ces éléments nous tenons les ressorts de la psychothérapie relationnelle.
Noter au passage qu’elle peut s’articuler au champ psychanalytique, qui traite différemment l’espace relationnel, comme un écran à fantasmes, neutralisant la part du professionnel qui reste volontairement sur le bord, autre base méthodologique, à l’affût des ouvertures surprises de l’inconscient. Laissons cela pour l’instant, nous en parlons ailleurs.
Tout cela, Marcelle Maugin l’explique, l’illustre, l’expose, le promeut. D’une manière bien plus parlante et claire que ce que nous sommes en train de faire. Il s’agit d’un positionnement d’école. Cela dit qu’en matière de psychothérapie c’est une voie royale. Cela dit qu’en matière d’évolution personnelle à l’heure de la crise c’est par là que nous pensons, nous autres les psychopraticiens relationnels, qu’il vaut mieux passer.
Cela dit que la méthode psychologique classique d’inspiration scientiste, parce que scientiste, n’a pas à ce titre vocation de nous aider à dégager pour nous ce qui fait sens à nos yeux, car la science nous informe sur l’état du monde mais n’a pas vocation d’intervenir sur l’état de notre âme et de notre être au monde (le fameux Dasein). État du monde oui, état d’âme non. La psychothérapie relationnelle est épistémologiquement antagoniste au scientisme. On peut soutenir que le scientisme en proposant de la thérapie, déborde du point de vue strictement logique de son cadre légitime, le savoir scientifique, vers le savoir être qui n’est pas et ne sera jamais de son ressort. À la limite elle peut indiquer comment vouloir mais non que vouloir. Profitons des techno-sciences et de la médecine scientifique, et confions notre évolution psychique à la psychothérapie relationnelle. Alors, "relationnelle sinon rien" ?
Enfin, si, en cas de dépannage momentané, petit accroc sans incidence grave (mais comment savoir ?), vous allez consulter un praticien scientiste : comment s’endormir en dix leçons, se déphobiser sans idée de ce que votre phobie signifie pour vous selon votre histoire. Quelle est l’expertise de cet expert ? son titre d’exercice de psychothérapeute peut signifier qu’il ignore tout de la relation qu’il n’a appris que dans les livres et en suivant des cours (à l’exception des psychanalystes), puis un stage hospitalier. Si ça suffit tant mieux. Ou tant pis. Si ça se renouvelle, attention à l’anguille sous roche.
Bien entendu vive la liberté de consultation, et le désir bien connu de préférer ne pas. Allez voir le quelqu’un que vous choisirez. Comme le dit si bien Sartre, on choisit le conseiller qui nous administrera le conseil qu’on a déjà choisi d’entendre. Avec Marcelle Maugin vous ne pourrez plus ignorer que la démarche relationnelle reste une option alternative de poids et d’avenir.
Et maintenant prenez connaissance du Manifeste de Marcelle Maugin. 80 pages écrites avec une riche simplicité, bien plus lisibles que cet article, 80 pages qui revêtent de mots simples des choses complexes et fortes. Véritable testament scientifique, écrit à l’issue d’une longue pratique par une psychologue d’origine qui a effectué le parcours de se former — pardon "de s’exposer à la relation", elle récuse l’idée qu’on puisse se former à la relation —, de s’exposer donc, "hors cursus universitaire traditionnel" à l’expérienciation relationnelle, bref de s’immerger pour apprentissage dans l’univers de la Relation (allons-y pour la majuscule) là où ça se transmet réellement, dans une école du type de la nôtre. Et qui continue de prêcher par l’exemple et la conviction.
De nos jours, dans un contexte complexe et difficile à déchiffrer le nez dessus, le texte de Marcelle Maugin arrive à point pour nous faire entendre comment l’éternelle bataille pour l’humanisation de l’humanité, de notre humanité chacun pris à part et tous pris ensemble, passe par l’art et la pratique de la relation. Si comme nous l’évoquions pour commencer, le XXIème siècle se trouvait être celui de la Relation, sans plus tarder prenez connaissance de ce livre. Il risque de vous être utile et de vous plaire.