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6 avril 2012

Ne pas laisser la psychanalyse aux mains des seuls psychanalystes Catherine Clément in Huffigton Post


une question de civilisation

Par Philippe Grauer

L’aventure de la psychanalyse en France depuis 50 ans c’est le bien de tous. Ne pas le laisser aux mains des seuls psychanalystes, confits en dévotion et perdus en dissolution, gardiens d’un héritage sanctuarisé. Après le retour à Freud, doublé d’une fermeture sur une psychothérapie humaniste novatrice (pourtant elle-même post freudienne), et de la transmission d’un Lacan clés en main qui autorise la circulation dans d’interminables circuits théorico labyrinthiques qui font plaisir à ses promeneurs enfermés et célibataires idolâtres mêmes, où est passée la voie de l’invention, de la découverte et de l’innovation, bref de l’insolence et du vrai scandale psychanalytique ?

La psychanalyse aimons la vivante, à réinventer avec des mots justes, simples, forts, ni ésotérique lyophilisée ni fossilisée. À ce titre elle appartient à qui sait s’en saisir.

PHG


Catherine Clément in Huffigton Post

Huffington Post

Publication: 6/04/2012 06h00

Ne pas laisser la psychanalyse aux mains des seuls psychanalystes

par Catherine Clément

à propos de

– Alain Badiou et Élisabeth Roudinesco, Jacques Lacan, passé présent , Seuil, 2012.

Ils dialoguent sur Lacan, trait d’union de ce duo apparemment improbable. C’est un petit livret titré Jacques Lacan, passé présent, un livret d’intérêt public rassemblant deux échanges édités par Le Seuil, et considérablement remaniés. Qui sont-ils ?

rencontre des deux gauches

Une femme, un homme, catégorie seniors, lui un peu plus âgé, tous deux lestés d’expériences philosophiques, psychiatriques, et surtout politiques. Élisabeth Roudinesco, formation littéraire, devenue psychanalyste puis la seule historienne de la psychanalyse française, anciennement membre du Parti communiste français, engagée à gauche, vote à toutes les élections. Alain Badiou, formation philosophique, aucune formation psychanalytique, militant appliqué du PSU transformé en maoïste après 1968, s’y maintenant avec ténacité, révolutionnaire sans concessions, ne vote plus depuis la formule anarchiste « élections piège à cons » et persiste dans l’abstention, même aujourd’hui.

Lacan – barrage au terrorisme

Improbable, leur duo? Pas tant que ça. Ils ont écouté les séminaires de Lacan très tôt, avant la foule des snobs ; ils ont suivi les leçons d’Althusser et, comme toute notre génération, ils ont largué la phénoménologie de Husserl pour enterrer l’existentialisme – sans prévoir le rebond de Sartre dans l’aventure de Libération. Grâce à Lacan, comme beaucoup d’autres intellectuels lacaniens des années 60, Alain Badiou a rencontré Mao. Lacan : « ne pas céder sur son désir« , Mao, « On a raison de se révolter » : le passage, dit Badiou, était évident. Pour Élisabeth Roudinesco, c’est presque le contraire : en conservateur éclairé, Lacan a fait barrage aux terrorismes façon italienne et allemand – « Vous voulez un maître, vous l’aurez » lança-t-il aux étudiants en 68. Ils l’eurent ; ce fut Mao.

60-80 formidables – c’est fini

Ce qu’ils en ont retenu est du côté de l’espoir – une denrée rare dans le domaine psychique. Dans tout le parcours des séminaires, Lacan, dont la culture semblait parfois sans limites, réintégrait l’histoire de la philosophie dans la psychanalyse, et attirait les jeunes philosophes marxistes dans la mouvance d’un Freud remodelé. C’était formidable ; c’est fini. Soumise à des coups de boutoirs répétitifs venus des neurosciences, des comportementalistes ou tout bêtement d’antisémites planqués, la psychanalyse se défend mal, se tait, s’adapte ingénieusement, fait son boulot plan-plan sans que de grandes voix de psychanalystes professionnels se fassent entendre.

sauver l’essentiel de la psychanalyse

Or justement, ni Roudinesco ni Badiou ne barbotent dans la nostalgie. Elle n’est plus psychanalyste, mais historienne ; il n’a jamais été analysé et il n’est pas psychanalyste, mais ils unissent leurs voix pour sauver l’essentiel de la psychanalyse : sa capacité d’émancipation. Rien ne compte davantage ; il s’agit de nos libertés à nous. Badiou le dit très bien : « … pour paraphraser une formule bien connue de Clemenceau, nous ne pouvons pas laisser la défense de la psychanalyse aux seuls psychanalystes. » À quoi Roudinesco répond « Chacun doit se sentir concerné : c’est une question de civilisation. »