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25 juin 2018

PSYCHOPRATICIEN un nom de MÉTIER REBELLE

par Philippe Grauer

Ce texte, initialement pensé en fonction du SNPPsy, trouve tout naturellement sa place ici. Notre profession s’accompagne d’une profession de foi. Dans le principe d’une profession de santé non médicale, axée sur la relation, quand c’est la relation qui soigne. Pour user d’une figure foutraquement baroque nous dirons que non seulement elle tourne le dos à la médicalisation de l’existence mais lui fait face. Il faut de tout pour faire un monde. Et pour faire un monde humain, il faut beaucoup de relation.

Sur le même sujet voir également JM Robine, La construction de sens, désormais sur prescription médicale ?


 

Faut-il, et à quel prix, espérer officialiser notre nouveau nom de métier ?

Tout le monde se trompe en le prononçant, et commence par dire psychopatricien, comme si on était à Rome. La classe. Ce nom de métier que nous nous sommes donné n’est toujours pas “reconnu” par les pouvoirs publics. Faut-il le regretter ? Ce nom que votre serviteur inventa et mit en service, si l’on peut dire, à la Présidence du SNPPsy, dès novembre 2010, sitôt perdu le psychothérapeute dont nous nous nommions jusqu’à présent fièrement. Si fièrement qu’il s’était mis à faire envie. Ce nom à présent honorablement connu du public.

courants d’air dans la psychosphère

Jusque là, héritiers de la psychologie humaniste (souvent analysés de surcroît), nous avions propulsé socialement la psychothérapie du même nom, devenue par notre usage psychothérapie tout court. Les lacaniens quand ils nous appelaient les psychothérapeutes, parlaient du diable. Car au regard de leur dogme, précisément "la psychothérapie" faisait figure d’Antéchrist. Les autres psychanalystes (tous médecins ou psychologues, nous étions les seuls à manquer de cette couverture) c’était généralement le mépris, la méconnaissance, la confusion avec d’autres métiers (coaching, développement personnel). Ajoutez à cela que les psychologues considéraient la psychothérapie comme une fonction, relevant de leur seul ressort professionnel, pendant que les psychiatres se considéraient comme tenants légitimes autant qu’exclusifs de l’appellation (à l’extrême rigueur délégable à des psychologues). Quant à nous, présomptueux sans état d’âme, La psychothérapie c’était nous et rien d’autre, soutenue et illustrée principalement par le SNPPsy. Nous ne manquions pas d’air, proclamant à l’instar de chaque locataire du Carré psy[1] que La psychothérapie, la seule la vraie, c’était la nôtre[2]. Sous le bon vent de l’Histoire nous voguions à vive et fière allure. Sous l’œil furax de nos collègues de la psychosphère. Ça a duré une grosse trentaine d’années, jusqu’à ce que nous définissions en novembre 2001 la psychothérapie relationnelle comme champ disciplinaire restreint, propre à notre pratique, méthodologie, théorisation, éthique.

Entre temps l’Académie de médecine, épaulant l’initiative législative du Dr. Accoyer, remet les pendules à l’heure et rappelle les fondamentaux, avec le rapport Pichot-Allilaire du 1er juillet 2003. Ce fut la bataille des charlatans, comme je l’ai appelée en mémoire du fait que c’est en traitant de charlatans (l’insulte de base en médecine) les ni psychologues ni psychiatres que ces derniers coalisés conduisirent leur offensive politique.

double alternative

Résultat, confiscation de notre nom de métier, attribué désormais aux psychologues et psychiatres en tant que titre d’exercice exclusif (ayant valeur de licence professionnelle, aucunement un diplôme). Dépouillés de notre nom nous en proclamâmes l’alternative, psychopraticiens (novembre 2010). Terme auquel fut immédiatement accolé de notre part le déterminant relationnel, du fait que depuis novembre 2001 le SNPPsy avait adopté l’appellation de psychothérapie relationnelle pour désigner le nouveau champ disciplinaire strictement délimité que nous entendions désormais définir comme nôtre, en en finissant avec la prétention de représenter à nous seuls le champ global de la psychothérapie, partagé selon des modes divers par l’ensemble des acteurs du Carré psy.

nom de métier psychopraticien / champ disciplinaire : relationnel

Ce fut le 17 novembre 2011, à l’issue d’une année de négociations AFFOP/FF2P, que le GLPR adopta le nom de métier de psychopraticien. Le SNPPsy et l’AFFOP pour leur compte, optant pour la désignation du champ disciplinaire de psychothérapie relationnelle, spécifiant qu’à leurs yeux c’est la relation qui soigne. Nom de métier, désignation disciplinaire connexe, nos professions et pratiques mobilisent une terminologie complexe. Notons au passage que nous avons tenté, Yves Lefebvre et moi, avec La psychothérapie relationnelle, de la naissance d’une profession à l’émergence d’un champ disciplinaire (Enrick éditions, se trouve en e-book), de contribuer à préciser tout cela.

clin d’œil publicitaire

intégrer le métier de psychopraticien, mais à quel cadre ?

sans vendre son âme au diable ?

Donc, en ces temps de modernisation mondialisatrice et de normation à tout va, il ne suffit plus d’exister, d’exercer sur le terrain, à la satisfaction du public, encore faudrait-il être "reconnu", identifié par l’État, inscrit, digitalisé. Ainsi nos organisations historiques responsables ont-elles la charge de se soucier de solliciter ou non l’inscription de notre métier sur les registres RNCP (Registre national de la certification professionnelle). Le paradigme se rebiffe, impossible d’installer bord à bord un psychologue et un psychopraticien, deux univers psys, deux modèles de formations, deux philosophies, profondément hétérogènes, entre lesquelles jamais en France la psychologie, toute fraîchement instituée — pensez donc, le titre de psychologue ne date que de 1985 —, ni la psychiatrie, n’accepteront un quelconque principe d’équivalence. Alors, mendier, bidouiller un strapontin ? l’équivalent de kiné (pire d’ostéopathe, sachant que leur profession s’est vue écrasée par la médecine) ? mais nous sommes loin d’une telle factice équivalence, qui nous rejette dans le développement personnel avec lequel nous n’avons rien à voir, et le "confort". Ce genre de démarchage auprès des pouvoirs publics et du Ministère de la santé, avait commencé avec une première tentative SNPPsy de normation AFNOR (1993-1999), soldée par un fiasco.

notre travail d’exister

Que faire de la  quadrature du cercle ? il paraît que certains savent comment caresser un cercle pour qu’il devienne vicieux. Mais un carré pour qu’il devienne rond ? et pourquoi vouloir changer de nature pour s’aligner sur les normes paramédicalisantes du Ministère de la santé, si la question de la condition humaine et celle de la maladie ne sont pas de même nature ? Notez en outre qu’il n’a jamais été dit nulle part qu’un métier dût être poinçonné par un ministère. Le nôtre, d’exercice libéral, peut exister sans cela. Au risque de se voir rattrapé, non à la sortie, mais à l’entrée. À l’entrée de nos écoles (une profession c’est aussi son système de formation et transmission). Si vous ne figurez pas sur les listes certifiant que votre formation est professionnalisante, le mot clé qui ouvre les portes du financement aux candidats à la reconversion dans cette branche d’activité, pas de subsides, moins d’inscriptions. Or pour figurer sur les listes administratives, il faut en entamer la démarche. Comme nos psychopraticiens sont massivement des reconvertis (recrutement original, dont le mérite est à signaler), celle-ci devient cruciale. Ainsi va la modernisation néolibérale. À cela il existe une petite parade, le datadocage, une inscription sur catalogue, exercice fastidieux mais d’une relative inocuité, auquel se livrent déjà nos écoles. À ceci existe surtout la parade de soutenir notre travail d’exister (Max Pagès) dans notre identité propre, avec la force d’âme et d’esprit, et la détermination personnelle et professionnelle collective, que nous dicte notre éthique, que nous permettent nos organisations historiquement responsables, chacune dans son style et ses convictions, nous bien dans la nôtre.

une profession rebelle

Pour l’instant la FF2P à ce jour n’a obtenu, en matière de “reconnaissance”, que le statut d’organisme interlocuteur, piétinant dans les corridors ministériels. Rien de la précieuse et tentante “reconnaissance” CNCP (Commission nationale de la certification professionnelle). Ce dont nous sommes… reconnaissants à nos collègues et à leurs interlocuteurs. Car se faire reconnaître n’est pas indispensable à notre métier rebelle, sans chuter sur la pente savonneuse conduisant au mieux à la dégradation de notre identité professionnelle vers une paramédicalisation qui en ruine le principe, au pire à son inscription au catalogue des petits métiers non psys, sur le mode développement personnel avec lesquels nous n’avons rien à voir. Si jamais nos négociateurs acrobates tirent quelque chose de non mortel pour notre métier de leur interminable et périlleux dialogue ministériel, nous les féliciterons. De fait son marathon labyrinthique administrativo ministériel permet à la FF2P de se poser en défenseure assidue de "la profession" (laquelle au juste ?) pendant tout le  temps que ça dure. Sachant que l’issue d’une telle politique demeure problématique vu les termes de l’équation institutionnelle.  Sinon, nous continuerons de pratiquer, garantie par nos organisations professionnelles historiques responsables, en toute indépendance par rapport à la machine de la médicalisation de l’existence, notre PROFESSION DE SANTÉ NON MÉDICALE, fidèle à notre principe de la relation qui soigne.


[1] À l’exception notable des lacaniens, jusqu’au retournement opéré par Jacques-Alain Miller en 2000.

[2] 18 novembre 2000 – Colloque SNPPsy salle Victor Hugo à l’Assemblée nationale, La psychothérapie dans notre société, état actuel et perspectives. Vous avez bien lu : La psychothérapie. Précédé le 23 mars de la même année, toujours dans les locaux de l’Assemblée nationale, par un colloque de soutien à Bernard Accoyer Les psychothérapies et la loi organisé par l’Association française de psychiatrie (présidence Christian Vasseur). La course était serrée, avec notre Proposition de loi J-Michel Marchand du 28 mars 2000.