Communication au Congrès mondial de psychothérapie, Paris 26 juillet 2017.
Dire la psychothérapie, dire la psychothérapie relationnelle. Façons de dire façons de faire façons de penser la profession, le métier, la discipline et les méthodes.
Dire et non se laisser dire, par le jeu d’une terminologie qui a tendance à marcher toute seule, nous la suivant sans nous rendre compte.
Rien ne vaut une bonne théorie rappelait Kurt Lewin. À quoi j’ajouterais ni une bonne terminologie. Les mots, nos mots parlent pour nous. Ceux qui désignent et dessinent les contours de nos institutions et concepts courants ont besoin au terme d’un demi siècle d’usage de se voir préciser, leur maillage gagnant à bénéficier d’une mise en cohérence, ou à l’exposition de contradictions inhérentes dont il pourrait s’agir d’organiser la régulation. Il apparaîtra à l’occasion de ce travail que nos présupposés, à se voir clairement exposés, dessinent les linéaments d’idéologies et de schémas de pensée sous-jacents qu’il vaut mieux être à même de repérer.
En un mot comme en mille les mots pour nous dire, autant faire en sorte qu’ils ne parlent pas à notre place, formatant notre propos à notre insu, et se mettant à l’occasion à penser à notre place.
Rien ne vaut en tout cas une terminologie sûre. Où les mots ne se marchent pas sur les pieds, empêchant l’ordonnancement des concepts. Le syndicat français SNPPsy, par sa qualité particulière d’instance syndicale s’est trouvé dans la situation privilégiée de contribuer de façon originale au système d’appellation d’une profession naissante, qu’en 2001 il a baptisée psychothérapie relationnelle. Dénomination et nomination. Personne n’a en la matière rien inventé, même si cette proclamation a de petits airs de revendication d’auteur. De fait, le terme relationnel apparaît en plusieurs lieux à la fois au cours des années 80. Il est dans l’air. On l’entend sans l’entendre, on le sent venir, on ne le devine pas encore. Disons que nous avons bien contribué à inscrire ce nouveau champ disciplinaire et d’exercice d’un métier dégagé de la psychologie, proche par contre de la psychanalyse. Ce champ disciplinaire[1] se nomme désormais psychothérapie relationnelle. Le métier correspondant s’exerce sous l’appellation professionnelle générique de psychopraticien relationnel, déclinable en noms de méthodes[2] — à ne surtout pas confondre avec elles, insistons sur ce point, la psychothérapie relationnelle n’est aucunement une sorte de nouvelle méthode. Ce système de dénomination d’origine syndicale constitue une contribution décisive à notre combat commun pour promouvoir et garantir collectivement notre profession, telle que proclamée par les méthodes et un syndicat[3] en 1990 par la déclaration de Strasbourg.
La nouvelle psychothérapie naissante ne se ferait reconnaître que lorsqu’elle pourrait émettre une monnaie, un "titre" coté en bourse des valeurs symboliques. Qui allait la certifier ?
Son surgissement en Europe depuis la révolution de la psychologie humaniste américaine (années 1940-60) devait provoquer un bouleversement de l’institution psy dans la répartition des différents postes institués jusque là. Une révolution ne s’effectue pas sans provoquer de remue-ménage. Le dispositif du champ psy jusque là tournait au tour du faux triangle psychiatrie psychologie psychanalyse[4]. La psychothérapie (laquelle ? quelle psychothérapie ?) n’étant alors qu’une fonction des deux premières, qui la revendiquaient sans y former véritablement leurs étudiants.
Un premier exemple.
Dans le cadre du contexte de la triangulation initiale psychiatrie-psychologie-psychanalyse[5], un locuteur N°1, psychologue, prononce la phrase N°1 suivante :
• Proposition N°1 : "La psychothérapie [définition 1] est une fonction de la psychologie[6].
Son propos fonctionne sur la présupposition revendicatrice de domaine impliquée par la formulation même. Il comporte une définition 1 implicite, délivrée comme évidence à valeur universelle, qui stipule que
Déf N°1 : la psychothérapie est un acte psychologique administré par un diplômé en psychologie clinique[7]
jouissant du monopole[8] d’exercice de "la" psychothérapie telle que l’entendait la psychologie française jusqu’à la fin du siècle précédent.
Le locuteur ne dit rien de la psychothérapie du psychiatre : définition possible
Déf N°1 bis : la psychothérapie est un acte psychologique administré par un diplômé en psychologie clinique[1] ou en psychiatrie.
[1] À partir de 1985 titulaire du titre de psychologue.
Lost in formulation : le locuteur N°1 revendiquait dans ces termes "la psychothérapie" telle qu’elle lui avait été transmise et qu’il la concevait. On ne saurait le lui reprocher. Mais locuteur implique interlocuteur. La formulation N°1 enferme son allocutaire dans le consensus du système présupposé du locuteur initial :"nous sommes bien d’accord !". Sur quoi ? sur le sens que moi le psychologue je donne aux mots que "nous utilisons tous (là est le problème !)", et que mon institution de référence émet (comme on dit de la monnaie).
Disjonction. Or, l’Histoire. L’univers psy a évolué. La recherche en psychothérapie (entendue au sens le plus général), qu’on pourrait dater de l’Otto Rank des années 30, a produit un mouvement novateur appelé psychologie humaniste américaine. Si à présent par "la psychothérapie" un autre groupe scientifico-professionnel issu de ce nouveau courant entend :
Déf. N°2 : la psychothérapie issue de la psychologie humaniste bientôt appelée Nouvelles Thérapies implique souvent mais pas obligatoirement un engagement du praticien requérant une formation à caractère existentiel.
Pour simplifier la démonstration nous généraliserons la dimension implicative du praticien, telle qu’historiquement les Nouveaux Thérapeutes l’ont revendiqué.
la proposition N°1 devient inexacte et comporte un objet de dispute et une revendication polémique.
Cette définition 2 de "la psychothérapie" subvertit et "déconstruit" comme on aime à dire ces temps-ci, le sens 1 de la proposition :
• Proposition N°1 bis ¿"La psychothérapie [définition 2] est une fonction de la psychologie"¿
qui n’ayant plus cours devient absurde. Nous encadrons par des ¿ la proposition comme fausse. Le même syntagme nominal, homonyme, ne désigne plus la même chose. Homonymie fatale (pour qui ?) ou propice (à qui ?).
Ainsi voici que lorsqu’on entend la proposition (non numérotée)
• "La psychothérapie [définition flottante, non fournie] est une fonction de la psychologie"
l’expression peut prendre un sens ou pas de sens, son sens, indécidable, varie selon le système de référence présupposé du locuteur, tout autant que de l’allocutaire. Si vous ne prenez garde à l’argumentation interne invisible à l’oreille nue, mobilisée par le locuteur, vous ne pouvez dialoguer que comme prisonnier du système de référence de votre interlocuteur (en espérant que ce dernier sache de quoi il parle, et depuis où il parle. Il peut simplement être confus, ou se mélanger lui-même). Tout le monde pratique cela couramment, en particulier dans le discours politique, où chaque locuteur a toujours raison, à condition qu’on embrasse sa présupposition, qu’il a bien l’intention de glisser dans votre poche tel un prestidigitateur, pendant qu’il attire votre attention ailleurs. Or notre monde psy n’est pas exempt de politique. Parler de la sorte de "la psychothérapie" sans préciser davantage permet de tout dire et laisser entendre, son contraire et le reste [déf. N°4 voir infra] en toute impunité.
Ainsi à partir de la deuxième définition on ne peut plus que dire :
• Proposition N°2 "La psychothérapie [Déf. N°2]" constitue et représente une variante disciplinaire spécifique, distincte, disjointe de la psychologie. Fait nouveau dû à l’apparition des Nouvelles Thérapies. Si bien que
"La psychothérapie N°2" se trouve non plus incluse mais externe à la psychologie.
On rétorquera que "la psychologie" à la française, telle qu’arlequinée par les soins de Daniel Lagache, a bien phagocyté la psychanalyse sous l’appellation de psychologie clinique, pourquoi ne le ferait-elle pas des Nouvelles Thérapies ? parce que l’opération refondatrice d’après guerre de Lagache ne se reproduira pas, l’Histoire cette fois empruntant d’autres voies.
Déf. N°2. Gardons en mémoire que la définition 2 stipule : la psychothérapie entendue comme le processus qui se joue à deux (ou davantage) sujets coactifs également impliquées dans le processus dialogal[9] qu’ils se sont mis d’accord pour enclencher, l’un dans le rôle d’accompagnateur professionnel[10] impliqué expressément formé à cet effet, l’autre dans celui de sujet se cherchant "à l’occasion d’un autre"[11].
Déf. N°3. Elle va bientôt avec l’apparition en 2001 de la psychothérapie relationnelle, définition N°3, stipuler officiellement que dans ce dispositif le moteur même du processus c’est la relation. D’où l’idée fondatrice éponyme que dans cet univers de référence c’est la relation qui soigne. Au sens fort et strict du terme.
Ainsi pour s’y retrouver il faut à chaque occasion déterminer précisément ce que le syntagme "la psychothérapie" signifie pour celui qui l’émet.
On pourrait s’entendre pour déclarer ensemble que :
Déf N°4 — "la psychothérapie", sommairement définie comme "thérapie par la parole" représente [psychothérapie 1] + [psychothérapie 2].
De ce "psychothérapie 1+2" là que déduire ? Il permet pratiquement de parler pour ne rien dire. On touche ici du doigt la complexité de l’univers psy, et la guerre civile latente que cela comporte. Les patients ont tout compris. Ils disent je vais voir mon psy.
Ainsi parler, dans notre domaine (comme dans tant d’autres) est tout sauf innocent, et peut permettre selon la circonstance aux uns et aux autres de brouiller la figure à leur avantage, œuvre bien utile à qui redoute une clarté jugée néfaste à son corps. Autrement dit autant chercher à savoir ce que parler veut dire, à chaque instant, en ce qui concerne le psychisme. Acquérons la maîtrise des terminologies psys pour être à même de développer une pensée déjà simplement pour commencer accessible au bon sens cartésien (faculté de bien juger et de distinguer le vrai du faux).
Et la psychanalyse direz-vous dans tout cela ? fausse fenêtre de l’édifice psy puisque les psychanalystes, professionnalisés comme psychologues ou psychiatres, ne voulaient pas jusqu’en 2010 entendre parler les concernant de psychothérapie, qui leur rappelait la psychologie qu’ils parasitaient en la méprisant, tout en la pratiquant en sous-main, honteusement pourrait-on dire. Les psychologues-psychanalystes et les psychiatres-psychanalystes ont professionnellement parlant dans notre pays réagi en tant que corps en psychologues ou en psychiatres, tout en criant haut et fort la psychanalyse la psychanalyse, comme s’ils étaient disjoints. . Nous n’examinerons pas davantage ce point présentement.
Sortir du jeu ancien une psychothérapie redéfinie, reconçue comme relationnelle (le terme, né en 1969 ne fut dénommé et pour ainsi dire promulgué qu’au tournant du siècle, via le SNPPsy) allait remodeler la configuration d’ensemble du champ psy, qui de faux triangle allait devenir vrai carré (années 90).
Cette sortie de jeu fut l’œuvre d’auteurs comme Jacques Durant-Dassier[1]* clinicien chercheur engagé, auteur d’ouvrages de référence, précurseur, Jean-Michel Fourcade, auteur d’un article fondateur, Philippe Grauer comme formulateur et promoteur du concept proprement dit. Mais pour ces deux derniers, à l’initiative du dernier, l’évolution du concept recoupait le jeu politique syndical SNPPsy. Il apparut à ce syndicat, Fourcade, Randolph, Lefebvre, Gastine, Grauer et plusieurs autres, étant alors au affaires, qu’il était devenu théoriquement incorrect de revendiquer, par jeu de présupposition (argumentation dissimulée), l’ensemble de "la psychothérapie", définition 1, 3 ou 4, au nom de la Déclaration de Strasbourg (1990) proclamée par les Méthodes. Capital qu’au moment où éclatait la bataille des charlatans la psychothérapie dont se réclamait le syndicat dont la tâche instituante avait été déterminante jusque là, se décale par rapport à la pensée des Méthodes (autrices de la Déclaration de Strasbourg) et produise et proclame[2]** le concept de psychothérapie relationnelle. In extremis certes, mais tout de même.
On touche ici du doigt que les façons de dire, de penser, d’argumenter, d’agir, se recoupent et structurent le champ institutionnel et politique. On touche ici du doigt que l’exception française du syndicalisme psy, en particulier incarné par le SNPPsy[13], a permis de commencer à penser un nouveau champ disciplinaire, produisant une avancée déterminante. Certes jusque là le concept de psychothérapie existentielle progressait dans le même sens. Avec celui de psychothérapie relationnelle quitte le terrain du courant de pensée pour accéder au champ disciplinaire. Cela autorisait de parler en termes de dynamique de subjectivation, reliant l’une à l’autre psychanalyse et psychothérapie relationnelle. Le Carré psy prenait du corps.
On ne remodèle pas un champ scientifique, épistémologique, historique, sociologique, philosophique, clinique et j’en oublie, comme ça. Nous faisons partie d’un processus qui se développe sur une période longue. Mais aussi sur une période langue ! Nous sommes en marche (!) depuis presque 50 ans, et pas arrivés au bout du chemin. Pour bien nous conduire collectivement, avec nos différences, en cours de processus, il nous faut des moments comme celui-ci. Des moments où déployer l’énergie conceptuelle et de clarification terminologique et de nos façons de dire qui façonnent notre façon de réfléchir. De moments qui nous permettent de nous comprendre, c’est-à-dire d’écouter, de prêter attention à ce que nous racontons quand nous parlons de nous. Avouez que ça ressemble à notre méthode de base.
Les mots de la tribu, pour nous identifier, sont en effet de la tribu, mais de laquelle, dans un peuple psy très clanique, en même temps métissé. Et nous sommes… tributaires, de ces mots qui nous régissent. Nous vivons sous le règne de la psychothérapie comme allant de soi, c’est-à-dire de moi, celui qui parle les entendant comme il l’entend en les mettant en circulation comme universels, les réputant tels par présupposition[14]. Sur la base du dialogue pervers type :"nous sommes bien d’accord ?" Rendre le dialogue possible revient à définir soigneusement les termes de notre terminologie, afin de repasser de l’argument (échanges faussés à l’insu des interlocuteurs) à une représentation dont on puisse clairement débattre sans que personne ne floue l’autre, que ce soit consciemment ou non, et sans complicité inconsciente.
Bien entendu le langage est plurivoque par définition, et c’est encore heureux, sans quoi on ne pourrait pas parler, nous ne sommes pas des machines ou plutôt si mais la machinerie langagière est ultra complexe. Mais cela requiert que nous prenions la peine de revisiter nos évidences, ces éléments de langage qu’on n’interroge plus à force d’usage.
Prenons un second exemple. En 1981 le Snppsy se fonde en procédant à la titularisation de ses membres fondateurs. Les titulaires le sont du SNPPsy, selon la formule utilisée alors. En fait on était titulaire du titre de titulaire. Maître mot de l’époque. Le verbe se faire titulariser désignait la procédure à suivre pour devenir titulaire.
Changement de décor. Les premiers à utiliser le terme de titre furent en 1985 les psychologues, bénéficiaires de la loi Évin qui leur accorda la jouissance du titre de psychologue[15]. Ils jouissaient de leur diplôme universitaire, garant de leur exercice professionnel. Visiblement ça ne leur suffisait pas, il leur fallait la protection supplémentaire d’un titre non usurpable. Toujours le fantasme médical du charlatan, encore un terme à définir mais on n’en finirait plus je vous renvoie à mon glossaire en ligne, à paraître aux éditions Enrick.
Ce beau titre, les titulaires (SNPPsy) y postulèrent immédiatement [auprès de ministère ?], constituant force dossiers. Que les psychologues fraîchement promus à leur titre bien à eux, rejetèrent massivement. Un psychothérapeute ne saurait se prétendre psychologue par assimilation sur dossier puisque non psychologue. Ils avaient raison, un psychothérapeute (définition s’il vous plait) n’est pas un psychologue. Alors, comment dire ? les psychothérapeutes cherchaient à se faufiler, les psychologues sollicités étaient-ils de mauvaise foi ? les psychothérapeutes parlèrent de paralogisme déni de justice en matière d’homologation. En effet homologuer c’est inclure dans une liste quelqu’un qui n’y figurait pas puisqu’il demande précisément à s’y voir intégrer. Les psychologues, par le biais d’une attitude juridiquement crapuleuse aux yeux des psychothérapeutes, protégèrent leur titre contre des prétendants vécus comme des envahisseurs inéligibles à l’identité de psychologue. Une Commission devait en juger. Quelques psychothérapeutes s’étant déplacés se virent parfois homologuer en effet. L’immense majorité, jugée in abstentia sur dossier, se vit déboutée. Quelque persévérants gagnèrent auprès du Conseil d’État, 10 après. Le tour était joué. Psychologues et psychothérapeutes pas même combat.
On était en train de toucher du doigt que les psychologues, tout cliniciens qu’ils se proclamassent, et les psychothérapeutes nouvellement redéfinis, représentaient bien deux ensembles distincts, relevaient de deux univers de référence, deux mondes psys, ne pratiquant pas la même psychothérapie[16]. Comme on sait cela ne suffit pas, il fallut l’opération titre d’exercice réglementé pour s’efforcer d’éliminer les challengers en faisant l’économie de se former à ce que l’on s’efforçait de leur interdire en ne le pratiquant pas soi-même. Du beau travail.
Finalement donc, les titulaires déboutés restèrent titulaires. On continua de ne pas parler d’un "titre de psychothérapeute". Ce qui restait logique, car un syndicat à lui tout seul (ni même deux si l’on avait voulu faire bonne mesure) n’aurait songé à avoir la prétention de dispenser un tel titre. Il aurait fallu spécifier, titre d’exercice professionnel intersyndical garanti. Le SNPPsy se présentait comme l’auteur d’une amorce ordinale, il n’avait pas l’autorité d’agir en Ordre. Question subsidiaire, eusse été souhaitable ? il suffit qu’il se contente de maintenir suffisamment de son autorité morale de société civile d’autoréglementer son domaine.
On comprend mieux pourquoi et comment le mot clé de voûte du SNPPsy demeura titulaire (ie du SNPPsy), désignant une sorte de distinction, au sens bourdieusien, de grade de praticien, relevant uniquement de l’organisation qui le conférait. C’était signifier que le titre de psychothérapeute titre réglementaire, que seul l’État peut instituer et garantir n’existait pas. Pas encore.
Plus tard, à l’issue de ce que j’ai appelé la bataille des charlatans, qu’on pourrait aussi bien appeler la bataille du titre, la représentation nationale en institua un de titre. Pour ce faire, astuce diabolique, un nom de métier fut détourné en désignation de titre. Cela s’appelle ne plus savoir comment on s’appelle. Par le jeu d’une procédure tout à fait légale, l’État de droit a le droit de pratiquer ce genre de coup tordu. Cela prit encore du temps, quelques années, avant que l’expression totale se fît jour, de titre d’exercice. Le terme n’est apparu qu’à partir de 2012. Ce qui signifie quelque chose comme licence, au sens de licence de taxi. Car il ne s’agit nullement d’un titre universitaire.
Ont accès à ce titre les populations suivantes : psychologues cliniciens, et psychiatres. S’y sont rajouté — allez comprendre pourquoi et comment (il y a des raisons mais je n’ai pas le temps de développer cela, et ça ne change pas grand chose au schéma) —, les psychanalystes. Ceux-ci étant déjà psychologues ou psychiatres, on mesure comment les classifications peuvent contribuer à brouiller les cartes et embrouiller tout le monde[17]. Ces populations ayant accès au titre sur leur demande d’inscription sur un Registre. Une sorte d’annuaire officiel.
Annuaire. Le mot historiquement parlant, nous rappelle quelque chose. La querelle des annuaires. 2003, lors de la convocation par le ministre Mattei les psychanalystes représentant leurs sociétés historiques avaient proposé au ministère de lui communiquer leurs listes de membres, ce qui permit leur dénonciation dans la presse le lendemain même par Élisabeth Roudinesco, présente à la réunion au nom de la SIHPP car on avait pris soin de convoquer tout le monde, à René Major quelques jours plus tard de fustiger les ânes à listes, et à Jacques-Alain Miller, désireux de mettre de l’huile sur le feu de le mettre aux poudres médiatiques d’alors. Le pouvoir est dans la liste. Vous y figurez ou non. La meilleure, c’est la liste autorisée. Dont l’autorité est légitime. Autorisée par l’État. Elle allait à défaut devenir légale. Laissant de côté l’opposition légitimité/légalité. Qui continue d’insister, annuaire contre annuaire.
Dans le cadre des institutions françaises, sortis par la porte de la Santé on pourrait encore tenter de rentrer par la fenêtre du Travail, dans le cadre d’une institution qui autorise, toujours le même principe, les professions, en leur conférant un cadre réglementaire, celui du CNCP[18]. L’État laisserait il entrouverte cette porte de service à l’arrière du bâtiment voisin ? une procédure complexe. Pas si bête, le Travail avise la Santé, et tout recommence. Enjeu, notre domestication comme paramédicaux. Et bien entendu ce qui serait certifié c’est le cadre par nous renommé de psychopraticien. Relationnel : non homologué. Comme le disait le bon Hugo Ces choses-là sont rudes
Il faut pour les comprendre avoir fait ses études
Et tenir en tout point une psy attitude.
Dès le début, en marge des listes produites par les organisations de leurs membres ("titulaires", les seuls légitimes) des auteurs d’annuaires divers se sont présentés, enrôlant le plus monde possible. Le seul sérieux, qu’on ne citait d’ailleurs pas, fut le Guide pratique des nouvelles thérapies[19] d’Edmond Marc, un annuaire raisonné, non mandaté bien sûr, écrit par un des nôtres. Légitime mais non légal. Actuellement, par le jeu d’une négociation de puissance à puissance, les membres du GLPR[20] sont enlistés dans l’annuaire qui "fait autorité", toujours elle, de Psychologie magazine. Finalement, intervention d’une puissance tierce, le media de la presse écrite et d’internet, autre lieu de pouvoir, idéologiquement distinct de la pensée syndicale, devient un partenaire de la nomination.
Ainsi la nouvelle profession en voie d’autonomisation requérait son protocole d’inscription. Proclamation identitaire et affichage de garanties. La Déclaration de Strasbourg (1990) puis l’AEP et ses congrès, Vienne (1995) et les suivants, puis le CEP 95-96), s’efforcèrent d’installer une nouvelle légitimité "européenne", différente dans son principe, ignorant le Cinquième critère syndical, même fragile, puisque seulement "européenne" attention aux guillemets, qui disent seulement légitimité d’origine professionnelle associative à l’échelle européenne. Après 2010 les pouvoirs publics français (subsidiarité) ayant mis en place le titre d’exercice de psychothérapeute, en protégèrent la dénomination. La riposte lexicale vint du SNPPsy avec la dénomination de psychopraticien, finalement adoptée par le GLPR (2011).
Détail, psychopraticien réplique l’ambiguïté de l’ex psychothérapeute, qui requérait délimitation par voie de titulature gérée par voie d’autoréglementation. Tant que nous disons psychothérapie nous revendiquons un territoire immense requérant accord avec une université qui en France du moins ne veut rien savoir de notre spécificité en tant que psychothérapie relationnelle. Et si nous ne sommes pas plus clairs que nos interlocuteurs quand ils ont intérêt à se mouvoir dans une clarté obscurcie, nous perdons la bataille de l’expression et à partir de là ne parvenons toujours pas à nous inscrire comme il faut là où il faut. Ainsi, se contenter de parler des psychopraticiens sans davantage de spécification revient à parler également au nom de praticiens dont nous ne savons rien et que nous n’avons pas la capacité de garantir. Avec lesquels certains collègues psychologues se feront un plaisir de nous confondre pour discréditer des rivaux. C’est que je n’ai pas le temps d’aborder la question du corporatisme.
Emporté par mon élan j’ai dépassé le poteau d’arrivée. C’est pourtant là que je voulais indiquer que nos noms sont aussi des marques. Nous les déposons auprès de l’INPI. Puis ensuite nous ne savons plus quoi en faire. Si nous voulons protéger psychothérapie relationnelle® tout va bien, à condition de savoir à quelles conditions ce label est attribué. Sinon, l’expression libre qui sert de référence à tout praticien qui se réclame du champ disciplinaire et professionnel (oui je sais, le mélange !) de la psychothérapie relationnelle l’emportera sur le logo. C’est infini, et il me faut finir. Je finirai sur une proclamation. Nous dire psychopraticiens relationnels contribuera à nous dégager de la confusion, et nous engagera sur une pratique dont l’idéologie pourra immédiatement parler à son public, et convaincre les professionnels. Il s’agit d’un champ disciplinaire. Indexé du ®, il s’agit d’un titre d’exercice autoréglementaire, à la discrétion de l’AFFOP. Continuons sur la voie qu’ont eu le mérite de tracer les syndicats, et particulièrement le SNPPsy. Comme par chance le GLPR regroupe les Trois mousquetaires responsables historiques de "la-psychothérapie-la-nôtre" dans notre pays, AFFOP, FF2P, Psy’G, SNPPsy, et que son R final affiche le relationnel qui nous distingue, ensemble, partis de ce bon pied là, tâchons de poursuivre en progressant yeux et oreilles grands ouverts.
NOTES
[1] Et professionnel, ne pas se mélanger dès le départ.
[2] Qu’on ne confondra pas avec de simples techniques.
[3] Le Psy’G, signataire "au nom de la France".
[4] Le triangle est faussé du fait que les psychanalystes opèrent actuellement et depuis plus d’un quart de siècle à environ 95% sous mandat professionnel psychologie ou psychiatrie.
[5] Années 50-90 en France.
[6] Laissons pour l’instant de côté la psychiatrie, pour simplifier.
[7] À partir de 1985 titulaire du titre de psychologue.
[8] Partagé de façon complexe, oublions cela pour l’instant, avec la psychiatrie qui entend contrôler le domaine.
[9] Processus dit de subjectivation.
[10] Non prescriptif préciserait Jean-Michel Fourcade, non médicalisateur dirait Roland Gori.
[11] Relationnel implique ou non le recours au concept d’inconscient freudien et de transfert, nous nous égarons pas pour l’instant dans trop de définition.
[1]* Jacques Durand-Dassier, Structure et épistémologie de la relation, Paris, Épi, 1969, 203 p.- Cet Essai théorique de psychologie relationnelle et structurale (partie I du volume) fonde littéralement la psychothérapie relationnelle (ainsi nommée en titre de la partie II, référée au dr. Daniel Casriel). Une recherche sera nécessaire, pour retrouver d’autres auteurs de la période qui utilisent le terme relationnel ; évident que le mot revient souvent dans la littérature, mais pas encore le concept. De ce point de vue JDD fait bien figure de précurseur. Sur qui s’est-il appuyé lui-même ? comment ce courant s’est-il, à partir de l’existentialisme en particulier, lentement constitué sans encore s’articuler nettement ? prenons garde cependant de ne pas diluer le concept dans une notion vague permettant de qualifier par approximation de relationnelle une posture dont la relation ne constitue pas l’axe même de la rencontre psychothérapique.
[2]** Comment un concept peut-il se proclamer ? autre débat. En tout cas il peut s’afficher.
[12] Comment un concept peut-il se proclamer ? autre débat. En tout cas il peut s’afficher.
[13] Le Psy’G finit par se rallier à cette terminologie, à partir des échanges dans le cadre du GLPR.
[14] La langue n’a pas comme but principal la représentation du monde, mais l’argumentation. En d’autres termes, le langage naturel n’entretient pas uniquement (parfois il semble dire pas du tout) un lien de référence au monde, mais constitue le lieu d’échange d’arguments, dont la structure est logée à même le langage.
[15] Attention, pas titre d’exercice.
[16] Comme il n’est pas interdit de cumuler on voit d’ici le tableau. Aucune inquiétude nos psychologues n’ont cure, depuis la loi de 2010 qui consolide pour eux celle de 1985, de se former à une psychothérapie exotique puisqu’ils sont déjà, sur simple inscription, psychothérapeutes.
[17] Je dis bien tout le monde car les acteurs en cette affaire n’y voient pas plus clair les uns que les autres. Sauf le Ministère parfois.
[1] Je dis bien tout le monde car les acteurs en cette affaire n’y voient pas plus clair les uns que les autres. Sauf le Ministère parfois.
[18] RNCP : Répertoire national des certifications professionnelles. Tentant. Dans le cadre des institutions françaises, sortis par la porte de la Santé on pouvait encore rentrer par la fenêtre du Travail, par le cadre de la CNCP, Commission nationale de la certification professionnelle, une institution qui autorise, toujours la même chose, les professions, en leur conférant un cadre réglementaire. Et qui du coup autorise les subventions pour les cursus de reconversion qui alimentent nos écoles. L’État laisserait il entrouverte cette porte de service à l’arrière du bâtiment voisin ? une procédure complexe. La FF2P veut y aller, le SNPPsy d’abord intéressé constate que la FF2P veut y aller seule, et se retire de la démarche, ainsi que l’AFFOP. Le Psy’G résolument contre dès le départ. Un enjeu, notre domestication comme paramédicaux, ou une quelconque lourde aggravation de la situation actuelle, comme la liquidation d’un certain nombre de nos bonnes écoles dimensionnées petites. Ne pas se lancer dans une situation non propice pouvant ressembler à une aventure ? Histoire trop longue à raconter ici. Enjeu terminologique : psychopraticien vs. psychopraticien relationnel.
[19] 1983 – Edmond Marc, Guide pratique des nouvelles thérapies, Retz, première carte d’identité collective de référence de la psychothérapie humaniste en France.
[20] 2010 — Groupe de liaison de la psychothérapie relationnelle. Constitué à l’initiative du SNPPsy il comprend les deux syndicats, Psy’G et SNPPsy, et les deux fédérations, AFFOP et FF2P. Pour la première fois les Quatre se donnent une instance de concertation régulière indépendante. Sous un nom programmatique.