La "psychothérapie sur ordonnance" risque de créer davantage de problèmes qu’elle ne se propose d’en résoudre.
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Par Christiane Laurent, médecin, praticienne en psychothérapie relationnelle
par Philippe Grauer
D’abord, prenez sans tarder connaissance de l’article "Quand la santé mentale peut ruiner celle de l’âme".
Le développement personnel (ne s’adressant pas à proprement parler à la souffrance) que Christiane Laurent définit comme une forme dégradée de la psychothérapie relationnelle, rappelant le Counseling qui embarrasse tant les anglo-saxons, qui ne relève pas de la psychothérapie, n’est pas concerné par le Carré psy. Ensuite,
renvoyant au travail de définition que nous avons dégagé dans notre Glossaire. Oui c’est astreignant, mais sans un travail sur les termes, en la matière on parle dans le vide, et on pense à vide.
La situation réelle est pire que la confusion évoquée par Christiane Laurent avec le Développement personnel forme atténuée disions-nous de psychothérapie. C’est dans la seule case existante au Registre des métiers (RNCP, le passeport pour la reconnaissance administrative) que le Ministère du Travail propose à la FF2P de caser, c’est le moment de le dire, ses psychopraticiens tout courts (non relationnels), la case du Bien-être. On ne saurait mieux y mal être.
Bien-être qui rigoureusement parlant n’a rien à voir de près ni de loin avec la psychothérapie, qui quelle qu’elle soit s’occupe, elle, de la souffrance. L’exact opposé. C’est dans le sens d’une telle proposition inadmissible que pointe le Développement personnel qu’évoque l’autrice de l’article ici par nos soins répercuté. Pendant que la psychothérapie sur ordonnance se met en place, une infamie en cours de négociation prépare en secret notre enterrement administratif. Un malheur ne va jamais seul.
Question de gros bon sens : vaut-il mieux la honte de la dégradation qu’un refus de reconnaissance ? comme en 1940, rien de tel que commencer par reculer pour avoir les deux. Commençons par dénoncer la psychothérapie sur ordonnance, et préparons-nous à rejeter le projet de casse consentie de notre psychothérapie relationnelle.
Nous représentons une profession et un champ disciplinaire émergents, et depuis notre mouvement ascensionnel nous pouvons admirer le spectacle de la tentative multiforme de liquidation de toute psychothérapie de la dynamique de subjectivation (psychanalyse comprise, c’est en cours sous d’autres formes). À nous de maintenir l’honneur de ne pas nous embourber dans le piège à subventions du marigot RNCP.
Une expérimentation en cours dans quelques départements permet de pouvoir bénéficier d’un certain nombre de consultations chez un psychologue sur prescription médicale. C’est un protocole très précis qui fait l’objet d’évaluations régulières de l’évolution des symptômes.
Cette expérimentation a vocation de se généraliser rapidement partout en France.
Le psychologue devient alors tout comme l’infirmier ou le kinésithérapeute, un auxiliaire médical qui applique une ordonnance et un protocole de soins.
Admettons que cela parte d’une bonne intention de la part des pouvoirs publics : moins de médicaments, plus de soutien par la parole et la présence, c’est en quelque sorte une reconnaissance du rôle de la psychothérapie dans le soin psychique.
Or, cette apparente avancée n’en est pas forcément une
— les psychologues sont peu rémunérés pour cet acte et perdent leur autonomie.
— leur formation ne comporte obligatoirement ni travail sur leur propre psyché, ni formation en expérientiel, ni obligation de supervision.
— les thérapies pratiquées sont formatées "médicales" (ordonnance, évaluation régulière, protocoles).
Quel est le problème ? Quelle différence avec les thérapies relationnelles que nous pratiquons ?
La posture du praticien en psychothérapie relationnelle (ou du psychanalyste) est fondamentalement différente et demande également au thérapisant de se positionner d’une tout autre manière.
Dans le premier cas la thérapie est ordonnée et exécutée par des professionnels, qui ont un savoir et en font bénéficier le patient, la thérapie est gratuite ou remboursée.
Le patient est l’objet des soins, pourrait-on dire, même si sa participation active est souhaitée ; nous nous trouvons dans le même cas de figure que les soins purement médicaux qui sont "donnés" par des spécialistes.
Dans le deuxième cas le thérapisant est acteur et sujet des soins qui sont aussi une démarche d’ouverture de conscience, de meilleure connaissance de soi et d’autonomisation. L’avancée se fait essentiellement quelque soit la méthode dans l’expérimentation de la relation humaine qui va traverser tous les modes émotionnels possibles avant d’aboutir à la séparation finale.
Le praticien a effectué sur lui -même un long travail thérapeutique, il a bénéficié d’une formation spécifique, il est inscrit et soutenu dans un dispositif de supervision.
Le patient paie sa thérapie, il en a ainsi la charge. Le cadre mis dès le départ nomme la responsabilité de la personne dans son propre parcours thérapeutique. Le praticien accompagne, guide, sécurise, rassure mais ne peut "faire le travail" à la place du sujet.
Celui-ci, petit à petit pourra ainsi passer d’une position souvent infantile ou adolescente au départ à une position pleinement adulte.
On voit alors que le psychologue qui donne des soins sur ordonnance, ne fait pas vraiment le même métier que nous, praticiens en psychothérapie relationnelle. Il soutient et peut agir sur les symptômes voire améliorer les choses. Mais quelle est son efficacité sur le fond ? Sur la durée ? Voilà qui n’est pas prévu dans l’évaluation.
Notre métier a, je pense, encore de beaux jours devant lui encore faudrait-il qu’il soit connu, reconnu et revendique clairement sa différence et ses spécificités, que ses praticiens se sentent légitimes ?
La loi sur la psychothérapie a causé beaucoup de dommages, elle a brouillé les cartes, auprès du grand public comme des praticiens.
Notre premier travail est donc d’essayer de clarifier les choses.
Bien sûr, la situation comme je la présente peut paraitre tranchée et caricaturale, un certain nombre de pratiques existent aussi sur les frontières, dans les marges et qui peuvent aussi avoir leur efficacité.
Mais allons-nous, pour pouvoir exister, devoir renoncer à nous dire soignants et nous glisser dans la case Développement personnel ?
Je pense que ce serait une erreur. Pour moi nous accompagnons l’être qui va développer ses capacités à se soigner lui même en profondeur, et nous allons avec lui aussi loin que la personne désire aller dans son parcours.
Notre pratique demandera sûrement à être évaluée, mais probablement pas de la même manière que le sont les thérapies "sur ordonnance".
Le long terme et la durée devront être pris en considération, ce qui n’est pas très à la mode dans cette civilisation qui a longtemps privilégié le "tout et tout de suite".