RechercherRecherche AgendaAgenda

Actualités

Revenir

24 octobre 2019

QUAND LA SANTÉ MENTALE PEUT RUINER CELLE DE L’ÂME PAR ORDONNANCE

par Philippe Grauer

Mots clés : psychothérapie, psychothérapie relationnelle, psychanalyse, développement personnel, charlatanisme, légitimité professionnelle psy, médecine, psychothérapie à protocole, DSM, psychiatrie, psychologie, Carré psy.

Ce texte faisait partie d’une brève à double volet, à partir de l’article de Christiane Laurent, Psychothérapies sur ordonnance. Nous l’avons dissocié. lisez-le, lisez les deux.

soigneusement définir les termes

Le développement personnel (ne s’adressant pas à proprement parler à la souffrance) que Christiane Laurent définit comme une forme dégradée de la psychothérapie relationnelle, rappelant le Counseling qui embarrasse tant les anglo-saxons, qui ne relève pas de la psychothérapie, n’est pas concerné par le Carré psy. Prenez,

prenez le temps de cliquer sur le terme psychothérapie

renvoyant au travail de définition que nous avons dégagé dans notre Glossaire. Oui c’est astreignant, mais sans un travail sur les termes, en la matière on parle dans le vide.

définitions bateau : ne pas se laisser embarquer

La pensée à tout faire, à tout mélanger par insuffisance de réflexion critique, s’infiltre et crée l’embrouille, dans la mesure où des "coaches de vie" ainsi que certains psychopraticiens tout court, à l’occasion trop courts,  affichent leur activité comme "psychothérapie" (dont on l’a vu la définition officielle n’est par… définition, jamais produite), sans qu’ils y soient "véritablement" qualifiés. Qui alors définit, évalue et administre la qualification ?

réplique

Les institutions et personnes qui ont entrepris de l’autoréglementer de façon responsable —  en premier lieu le SNPPsy et l’AFFOP — en lui donnant un nom, à tous les sens du terme, propre. Donc par définition (encore elle) en la délimitant et différenciant soigneusement. Nous y avons également pourvu, avec notre Glossaire, et renvoyons ici à la Définition 1 de notre entrée psychothérapie. La définition bateau "soin psychique par la parole" étant parfaitement insuffisante, peut conduire à l’indigence et à toutes les contre-façons.

légitimité et police (municipale ?) de la « véritable psychothérapie »

Alors, qui produit, administre, garantit, la légitimité scientifique, éthique, "syndicale", institutionnelle d’école, de la "véritable psychothérapie" (définition ? celle qui s’adresse spécifiquement à la souffrance) ? qui en délimite le domaine et en garde les abords ? en labellisant la psychothérapie relationnelle comme champ disciplinaire spécifique, historiquement et scientifiquement repérable, en a-t-on construit une/la légitimité suffisante ?

définition véritable

plutôt que parler de "véritable psychothérapie" mieux vaudrait s’attacher à produire une "définition véritable", spécifiée, de ladite. et s’il s’en trouve plusieurs, qu’elles affichent la couleur, ensuite on examine.

un spectre hante la psychothérapie

Le spectre de la sous-catégorie, de ce que la médecine désigne comme charlatanisme (prétendre exercer un métier qu’on ne connaît pas, Freud dixit) est-il exorcisable par l’administration d’un champ clinique, théorique, éthique,  par des pairs qualifiés réunis en groupements identifiables qui fassent référence ? d’où le rôle fondateur et légitimateur des sociétés, syndicats, fédérations historiques. Cf. les Cinq critères du SNPPsy.

double noyau identitaire de la dynamique de subjectivation

L’identité psychothérapique consisterait-elle comme le dit Delphine Horviller de l’identité juive, à souffrir d’une identité ouverte, imparfaite, mouvante, inassignable, comparable en définitive à "l’identité féminine", par là-même si humaine et aux yeux de certains si redoutable ? il doit cependant être possible de constituer un noyau identitaire dur suffisamment consistant pour produire assez de certitude en la matière psy.

les deux cherchent ensemble, chacun dans son rôle

Le ressort d’une relation forte, intersubjective qualifiée, où les deux cherchent ensemble (Et Phèdre au labyrinthe avec vous descendue, / Se serait avec vous retrouvée ou perdue ! on peut espérer une issue favorable, le pôle psy étant suffisamment sain et bien formé) représenterait l’élément de base, uniquement de la psychothérapie relationnelle et de la psychanalyse, les deux mamelles de la dynamique de subjectivation.

santé mentale, éléments d’histoire

Quelle est notre place dans le cadre de la santé mentale ?

Tout d’abord qu’est-ce que cette expression désigne ? lisez à part l’entrée santé mentale de notre Glossaire, sinon cet article serait insuffisant. Oui c’est long à lire mais il faut savoir si l’on veut savoir ou si on préfère rester ignorant. Même prescription pour le texte de Philippe Grosbois indiqué ci-infra. Nos étudiants ne sauraient y échapper, pas davantage que nos syndiqués. Question de responsabilité professionnelle — et citoyenne.

Le Carré psy, régi par la psychiatrie, se met aux ordonnances. La psychothérapie, heureusement jamais définie, ce qui interdit logiquement jusqu’à présent les interdits professionnels, et autorise d’autre part les pratiques les plus exotiques limite à prétention psy abusive, relève aussi bien

a) de la psychiatrie — tout de même en principe réservée aux maladies mentales, mais le DSM, bible de l’actuelle psychiatrie revenue à l’organicisme mâtiné de comportementalisme, colorisé neurosciences, tend à faire de tout et n’importe quoi une maladie, pourvu qu’au créneau épidémiologique soit postée la molécule qui va bien, bonjour Big Pharma.

b) de la psychologie — ensemble de pratiques et méthodes disparates, ne requérant pas d’implication personnelle du praticien, cf. le remarquable texte de Ph. Grosbois.

c) des pratiques diverses à sensibilité plus ou moins spirituelle (autre domaine, mais il existe des mixtes, pas facile à démêler). Faut-il les intégrer au développement personnel (cf. ci-infra) ?

d) de la psychanalyse psychologique même, puisque à présent les psychologues-psychanalystes exercent sous le titre d’exercice de psychothérapeute, ce qui peut donner à penser qu’ils pratiquent de la psychothérapie (attention, une fois de plus on n’a surtout pas précisé ce qu’on entend par là)

e) de la psychothérapie relationnelle. Pas une méthode mais un champ disciplinaire, comportant des méthodes (les techniques c’est de la menue monnaie, au demeurant elles ne qualifient jamais en soi à la psychothérapie — en tout cas pas la relationnelle). Pas la panacée non plus, rien ne guérit de tout — et que voudrait dire guérir de la condition humaine ? Mais tant sur le plan scientifique qu’idéologique, politique et culturel l’émergence de ce nouveau champ constitue un fait d’une importance capitale. Quand on pense qu’on nous annonce que "l’administration française se convertit aux sciences comportementales", instaurant en vie quotidienne l’hégémonie idéologique et pratique du comportementalisme, on mesure combien vitale devient la tâche d’édifier, maintenir et développer l’alternative relationnelle axée sur la subjectivité des personnes et le processus de leur accomplissement.[/voir]

embarqués de gré ou de force ?

Et aussi pourquoi tenir à tout prix (à n’importe quel prix ?) à nous situer dans le cadre de la Santé mentale ? y sommes embarqués de fait, quitte à fournir de l’expression une définition large ? Le terme de santé psychique (extra psychiatrique) pourrait-il constituer une alternative, nous permettant de nous positionner hors champ ?

industrialisation de la santé

De la médicalisation de l’existence[1] à la thérapie sur ordonnance le chemin parcouru depuis la loi impulsée en 2004 par le Dr. Accoyer (les médecins sont légions à l’Assemblée nationale — et solidaires interpartis, l’anesthésiste socialiste Catherine Génisson a voté l’amendement Accoyer dans la nuit du 7 au 8 octobre 2003). Le chemin d’une mise aux normes (d’une psychiatrie mondialisée) sur fond d’idéologie scientiste d’industrialisation de la santé. Dans quel cadre ce soin psychique tendance ? vers l’extincsification de la planète dans la course aux dernières centaines de milliers de dollars agro-industriels et autres à extraire des gigantesque surfaces arrachées à la forêt pour faire de l’or, de l’huile de palme et du soja pour nourrir des "gisements" de vaches alignées par millier en batterie. Côté santé l’alignement du soin psychique sur les critères médicalistes, organicistes, asymptômatiques façon DSM, vise à liquider la psychothérapie à l’ancienne, fondée sur le processus de subjectivation que seules procurent la psychothérapie relationnelle et la psychanalyse.

symptôme : une confusion « trouble »

Le terme de symptôme même se trouve subverti dans ce système, et le Dr. Laurent quand elle mentionne un "protocole d’évaluation régulière de l’évolution des symptômes", pense en médecin pour qui un symptôme est une manifestation morbide qui parle. La psychiatrie post-DSM en a fini avec les symptômes qui parlent. Elle les découpe en tranches médicamentables appelées troubles. Dans la terminologie "santé mentale" en cours, un trouble ça se réduit, à coups de médicaments, de protocoles, et éventuellement d’une série limitée d’entretiens annexes (pour faire passer la pilule c’est le moment de le dire). Une fois aboli, ou réduit votre trouble (parfois appelé symptôme par abus de langage), vous êtes déclaré guéri, ou handicapé. Et voilà le travail. Le travail de la médicalisation de l’existence.

allez vous faire soigner…

Un trouble présentant la caractéristique avantageuse de ne signifier rien, ce qui différencie radicalement la psychothérapie médicale de celle héritière d’un siècle d’apports cliniques féconds de la psychanalyse et de la psychologie humaniste, au regard desquelles le symptôme représente une énigme psychique à déchiffrer et "travailler". Tout cela au cours d’un patient et complexe dialogue relationnel engageant conjointement le praticien et son patient (!), sur les épaules duquel repose la responsabilité dudit travail. Une aventure à deux travaillant en équipe qui n’a rien à voir avec le cochage de troubles, leur médication, leur mise en soin protocolisé. Ce fameux soin médical du "va te faire soigner" qui n’a rien à voir avec notre prendre soin de soi. Un va te faire soigner confié, sous-traité, au bons soins (!) techniques paramédicaux d’un psychologue sous-psy auxiliaire prescrit comme un kiné pour 10 séances renouvelables (une fois ou deux). Une para médicalisation d’abattage d’une psychothérapie en batterie. Dont nos gestionnaires et politiques espèrent la réalisation de considérables économies. Du genre de celles qui coûtent finalement le double quand il faudra financer au bout du compte la réparation des dégâts une ou deux décennies plus tard. Sans compter les désastres irrémédiables. Ainsi va le train du monde libéral.

… ou prenez soin de vous en période de crise de sens

Sauf que les humains ne sont pas des poulets dont gérer la santé, en semi liberté, avec une mentalité de gestionnaire (on pourrait parler de capitalisme si on ne se méfiait de l’impact des terminologies) lancé dans la course au profit mondialisé.

économies d’humanité

Donc économie scientifique par administration massive de scientisme, économie d’humanité par escamotage de la relation quand c’est elle le nœud du problème, économie d’intelligence quand le volet cognitif, neuroscientifique, comportementaliste souvent navrant de débilité prétentieuse, prend le pas sur sa nécessaire articulation avec l’évaluation sensible du registre corporel émotionnel. Sans compter le monde de l’inconscient. Nous sommes dotés non seulement d’un cerveau, neuro passionnant, mais d’une âme, d’une réalité psychique irréductible, nous sommes doués de la capacité de penser notre existence, à des années lumières de la protocolisation conçue pour la médicaliser.

un médecin psychopraticien relationnel élève la voix

Voici qu’un médecin syndicaliste de la psychothérapie relationnelle élève la voix pour mettre en garde contre ce qu’elle appelle justement de la psychothérapie sur ordonnance. Espérons que l’expression fasse mouche. La relation qui soigne ne se prescrit pas, elle s’indique, et dure le temps qu’il lui faut, au cours d’un tête à tête et cœur à cœur, au sens pascalien du terme, unique au monde depuis son invention freudienne renouvelée trois fois, par l’analyse existentielle européenne des années 20-30 puis d’après guerre, puis par les grands psychologues humanistes américains des années 40-80, puis par la psychopratique relationnelle à l’aube du XXIème siècle.

vers une écologie de l’âme

C’est en définitive plus avantageux pour tout le monde, y compris celui dit de la Santé mentale gestionnarisée. L’extension de ce mouvement pour une véritable écologie de l’âme pourrait nous sauver de la régression organiciste en cours, qui n’aura qu’un temps, comme toutes les barbaries, le plus court sera le mieux.


[1] Roland Gori et Marie-José Del Volgo, La santé totalitaire. Essai sur la médicalisation de l’existence, Paris, Denoël, 2005.-