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11 juin 2014

La guerre des subjectivités en islam Robert Maggiori (Libération) chronique Fehti Benslama, précédé de « Non au fanatisme, jamais ! » par Philippe Grauer

non au fanatisme, jamais !

par Philippe Grauer

Voltaire avait raison, écrasons l’infâme. On en revient aux fondamentaux, à la lutte contre le fanatisme, contre précisément lequel ont combattu les Lumières.

vers les Lumières, contre les Lumières, anti-Lumières, les trois programmes

Les anti-Lumières, avec le fanatisme comme propulseur, débouchent sur l’islamo-fascisme. Les derniers anti-Lumières connus avant ce nouvel avatar soit-disant religieux dit islamisme intégriste, aussi venimeux que le Christ-roi franquiste, avaient pour idéologue officiel un certain Rosenberg, pendu à Nuremberg, avec à la clé une barbarie inimaginable. Ça peut toujours recommencer, c’est parti pour le refaire. D’un côté l’islamo fascisme de l’autre le retour européen du néofascisme sous toutes sortes de visages, nous voici à nouveau cernés par les cons : concernés. Alors, courons et recourons aux Lumières, et espérons que les musulmans en nombre suffisant y trouvent avec elles la voie de leur et de notre salut.

La psychanalyse et notre psychothérapie relationnelle, fondées toutes deux sur la dynamique de subjectivation, procèdent de ces Lumières qui ont engendré la Révolution française et la démocratie en Amérique. Elles sont impossibles sans la démocratie.

voir également

Élisabeth Roudinesco, « L’islam sur le divan », chronique de l’ouvrage de Fethi Benslama, [mis en ligne le 2 juin 2014].


Robert Maggiori (Libération) chronique Fehti Benslama, précédé de « Non au fanatisme, jamais ! » par Philippe Grauer

Fethi Benslama

La guerre des subjectivités en islam

La construction du moi musulman, tiraillé entre la raison et la voix divine par le psychanalyste Fethi Benslama.

par Robert Maggiori, Libération

Sans doute sait-on que Freud, dans ses travaux sur la culture et le monothéisme, par exemple son Moïse, n’a pas pris en compte l’islam, «écarté en une phrase assez expéditive, au titre de difficulté». Cette difficulté tient-elle au fait que Dieu, dans le judaïsme et le christianisme, intervient directement dans la procréation du fils, et est donc Dieu-le-père, alors que dans la théologie et la spiritualité de l’islam, où est interdit tout rapprochement entre le créateur et le procréateur, Dieu n’est pas le père et son messager, le Prophète, n’est pas tenu pour le père des musulmans ? Si on ôte en effet la figure de Dieu-le-père, des pans entiers de la psychanalyse freudienne ou lacanienne s’écroulent. En ce sens, l’islam, quant à la construction de son univers psychique et de ses systèmes symboliques, semble «opposer un défi à l’hypothèse freudienne.»

l’expérience de soi musulmane

À ce défi, Fethi Benslama, psychanalyste, professeur de psychopathologie clinique, n’a pas cessé de répondre, depuis ce jour lointain – il terminait ses études à Tunis – où il subit comme un «effondrement joyeux» en lisant Tafsir al-Ahlam, la première (1952) traduction en arabe, par Moustapha Safouan, de l’Interprétation des rêves de Freud. Après la Psychanalyse à l’épreuve de l’islam (2002), il propose aujourd’hui la Guerre des subjectivités en islam. La notion de subjectivité laisse immédiatement apparaître que l’islam contemporain n’y est pas exploré, comme on le fait généralement, d’après une optique politique, stratégique, idéologique, religieuse, sociale ou économique. Fethi Benslama, sans évidemment en négliger les effets politiques ou sociaux, concentre son étude sur l’«expérience de soi» que fait chaque musulman, sur les «processus de subjectivation» produits par l’histoire et la culture depuis la fin de la période coloniale, et met donc en évidence les «modes d’être sujet dans la civilisation actuelle de l’islam».

hostilités

Ces modalités sont loin d’être homogènes et pacifiques : elles participent de violents conflits qui, après l’«éclatement de la structure du sujet traditionnel de l’islam», disséminent les «noms des pères», les valeurs, les mythes, les référents théologiques et politiques par où passent les processus d’identification, et obligent à parler d’«état de guerre» – non au sens d’«hostilités entre États, parfois dans le contexte du terrorisme», mais au sens d’un agonisme conditionnant «la vie psychique des musulmans». Aussi, «à la question : qu’est-ce qui se passe aujourd’hui dans le monde musulman ? un constat s’impose : il y a une guerre civile dans l’islam dont l’objet est le musulman lui-même».

Il faut remonter loin pour expliquer les façons dont des sujets se constituent et constituent leurs identités, si différentes et antagonistes qu’elles mettent en danger la notion même de communauté. Sans doute jusqu’à Averroès, dont «l’histoire des idées a retenu qu’il a tenté, dans un de ses traités, d’accorder la religion et la philosophie», la loi (en tant qu’issue de Dieu) et la sagesse (en tant que discours de la rationalité humaine), alors que, pour Benslama, il a précisément montré le contraire, à savoir l’autonomie de la seconde par rapport à la première. L’«acte» d’Averroès, qui «connaîtra les persécutions, la réclusion, les livres brûlés», n’aura pas simplement pour conséquence l’«affrontement sectaire entre les philosophes et les théologiens» : il marque un «destin de civilisation», et établit une césure qui traverse les siècles jusqu’à nos jours, écartelant l’identité islamique entre, d’une part, une vérité conquise par la raison et, d’autre part, une vérité donnée par la loi divine, par l’«investissement spéculatif de la subjectivité dans la recherche d’une perfection spirituelle à travers le soufisme, et celle de l’assujettissement au littéralisme légalitaire de la Charia».

cassure historique

Cette «cassure historique axiale», Benslama la retrouve dans la réception par l’islam de l’héritage des Lumières. Bien sûr, les Lumières arrivent «avec des canonnières», apportent la science et la technique avec des expéditions militaires et s’implantent avec le colonialisme. Mais elles séduisent aussi les élites musulmanes, qui lancent des mouvements de réforme (Égypte, Syrie, Tunisie…), empruntent «le modèle des devoirs inventés par la civilisation européenne, selon un triptyque : science, travail, liberté», tiennent à donner au pouvoir un «fondement constitutionnel», prônent la fin du despotisme, «la séparation de la religion, de la politique et de l’éducation», ainsi que la promulgation de lois civiles, autrement dit «la sortie de la juridiction de la Charia». Dès lors le principe de «souveraineté théologico-politique» de l’islam se trouve «dédoublé» par «le modèle occidental de l’État moderne, puis écrasé par celui-ci».

Mais comment «rester musulman en étant facteur de l’éclairement européen» ? Ce qui apparaît comme un processus d’«identification à l’étranger» et de «désidentification avec le même» provoque les mouvements des «anti-Lumières», qui prennent appui sur les contre-Lumières, tel Hassan Al-Banna (1906-1949) fondateur des Frères musulmans», et qui, dénonçant «l’action corruptrice des occidentalisés en matière de société et de religion», réaffirment une identité «surmusulmane», forgée exclusivement dans «la demeure de l’islam», où «doit régner l’État islamique par la Charia». De là les écartèlements identitaires, l’islamisme, le jihadisme, la martyrologie, la «guerre des subjectivités», les guerres tout court, les fatwas, les attentats, et les printemps…

désir

Les textes qui composent la Guerre des subjectivités en islam convergent tous vers «la question du sujet en islam». Mais ils interrogent aussi la langue, le corps, la féminité, le statut de l’intellectuel, le désir, la sexualité… On renverra, pour intriguer, à deux passages. Celui où Fethi Benslama explique que la langue arabe, «très riche en termes qui décrivent l’expérience sexuelle», ne pouvait pas dire, jusqu’au début du XXe siècle, les «notions de « sexualité », d’ »instinct sexuel » et encore moins de « rapport sexuel »». Et celui où il expose la façon dont Ibn Arabî, à la fin du XIIe siècle, fomentant une «subversion du sujet théologique», arrive à concevoir un sujet «dont le centre de gravité est le désir de l’Autre, en tant que ce désir échappe à la conscience». Si Lacan («il n’y a pas de rapport sexuel») et Freud avaient su l’arabe…